L’espoir du retour à une vie culturelle et musicale authentique s’est enfin concrétisé à partir du 19 mai dernier et se transforme peu à peu en réalité concrète. La Halle aux grains retrouve enfin sa raison d’être et accueille à nouveau son public fidèle, même si ses rangées doivent rester encore quelque peu clairsemées. Le 29 mai marquait la reprise « grand public » des concerts de l’Orchestre national du Capitole. L’institution musicale toulousaine a attiré ce soir-là les plus fervents de ses admirateurs qui ont donc fait le plein de la jauge limitée par les conditions sanitaires au tiers des capacités de la salle.
Ce 29 mai, une certaine fébrilité accueille les acteurs de cette reprise, à savoir les musiciens de « notre » Orchestre et les artistes invités pour l’occasion. Tous retrouvent à leur tête le grand chef catalan Josep Pons qui fait partie des invités récurrents de l‘Orchestre avec lequel il a établi une collaboration profonde et chaleureuse. Rappelons que Josep Pons occupe la fonction de Directeur musical du fameux théâtre Liceu de Barcelone depuis la saison 2012/2013. Il a auparavant été successivement directeur musical et artistique de l’Orquesta Ciudad Granada (1994 à 2004) et de l’Orquesta de Cambra Teatre Lliure (1985 à 1997). Il a également été chef principal et directeur artistique de l’Orquesta y Coro Nacionales de España (de 2003 à 2011/2012).
Le programme de cette soirée d’ouverture est entièrement consacré à la version de concert de la première œuvre lyrique de Maurice Ravel, L’Heure espagnole. Cette joyeuse comédie musicale fut composée en 1907 sur le texte de la comédie en un acte de Franc-Nohain qui venait de triompher en 1904 au Théâtre de l’Odéon.
L’intrigue repose sur l’habituel trio constitué de la femme, du mari et de l’amant (ce dernier en triple exemplaire !) ceci dans le cadre d’une horlogerie espagnole. Les cinq interprètes invités pour incarner les personnages hauts en couleurs de cette pétillante comédie musicale sont : la mezzo-soprano Marion Lebègue, dans le rôle de la piquante horlogère Concepción, le ténor Kévin Amiel dans celui de son amant en titre, l’étudiant-poète Gonzalve, le ténor Marc Laho dans celui de l’époux ridicule Torquemada, le baryton Alexandre Duhamel dans celui de Ramiro, le solide muletier, futur amant, et le baryton Lionel Lhote, le riche banquier Don Iňigo Gomez, lui aussi amoureux de la belle.
Privés de véritable mise en scène, les acteurs-chanteurs n’en animent pas moins la représentation avec talent, humour et vitalité. S’ouvrant sur les tic-tacs obsessionnels de métronomes, succédanés des horloges du lieu unique, la partition orchestrale de Ravel, d’une incroyable modernité, rutile de mille feux. Les couleurs explosent, les contrastes collent à l’intrigue, les rythmes s’exacerbent… La direction de Josep Pons anime l’œuvre d’une vitalité débordante tout en soignant les équilibres entre toutes les composantes de l’orchestre. Le chant colle ici à la parole. Comme Debussy dans Pelléas et Mélisande ou Moussorgski dans Boris Godounov, la prosodie dicte le débit musical.
Soignant l’intelligibilité de la diction, les chanteurs font vivre cette vitalité comique avec talent. Un grand bravo à Marion Lebègue que l’on retrouve avec plaisir, après son 1er Prix au Concours international de chant de Toulouse de 2014, dans le rôle pétillant de Concepción. La belle rondeur du timbre, la solide projection vocale, le musicalité des phrasés, le parfait contrôle du souffle confèrent à son interprétation une authenticité, une vérité qui transcende l’absence de mise en scène. Dans le rôle du mari, Marc Laho joue parfaitement, avec astuce, la victime béate des circonstances. Le jeune Kévin Amiel confère au rôle de l’amant poète toute son ambigüité : la beauté de son timbre, la subtilité de son chant, son sens du legato vont de pair avec l’incarnation du personnage nettement décalé de Gonzalve, l’étudiant poète. Le riche banquier Don Iňigo Gomez trouve en Lionel Lhote l’interprète parfaitement adapté, aussi cynique que bien sonnant. Quant à Alexandre Duhamel, il confère à la silhouette solide, sympathique et un peu naïve du muletier Ramiro toute sa vraisemblance, sans négliger à aucun moment la beauté, l’ampleur et le relief d’un chant parfaitement maîtrisé.
Le final de l’œuvre réunit tout ce beau monde dans une polyphonie aussi délirante qu’irrésistible à laquelle chacun contribue avec ardeur.
Le beau succès de ce premier contact avec un public trop longtemps écarté des salles augure d’une belle reprise de cette riche vie musicale si indispensable à notre Ville rose.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole