Cette année, les chaleurs estivales sont arrivées de manière précoce, après un mois d’avril et de mai où il ne fallait pas se découvrir d’un fil. Après la réouverture des bars et des restaurants, comme des cinémas et des musées (il était temps), nous attendions chaque jour avec une impatience grandissante le retour des spectacles vivants.
Selon le comédien et sociétaire de la Comédie française Philippe Torreton, qui s’est indigné à haute voix de la fermeture des salles de théâtre et de cinéma cataloguées par nos gouvernants comme « non essentielles », « la Culture est un outil du décloisonnement, de notre envie de partager des émotions artistiques ». Surtout dans un pays comme la France qui a mis la culture tellement en avant.
Dans une période de souffrance qu’est la pandémie, se passer des spectacles vivants est un luxe : nos gouvernants l’ont bien compris qui ont prolongé les droits des intermittents. Il faut rappeler que l’intermittence (qui a été instauré en 1936 par le Front populaire, et reste une exception française) est un outil génial. Il permet cette vivacité culturelle en France. « C’est grâce à ça que nous avons une telle vitalité sur le territoire » a ajouté Philippe Torreton.
Avant de retrouver la magie noire et blanche des salles de spectacles et les concerts en plein air, nous avons aussi le bonheur de reprendre le chemin des salles d’exposition. À Toulouse, deux expositions ont attiré mon attention, à la Galerie 21 et à l’Instituto Cervantes. J’y ai sans attendre porté mes pas, et mon regard.
Un pas pour l’Arménie Exposition-vente caritative au bénéfice d’Ambionics à Toulouse du samedi 29 mai au dimanche 6 juin 2021 (1)
Une trentaine de plasticiens de France, de Belgique, du Liban, aux styles très variés ont été fédérés par Saténick « Saty » Emrinian, elle-même sculptrice, directrice de la Galerie L’Âne Bleu de Marciac (dont le nom m’évoque un beau poème de Francis Jammes qui voulait aller au paradis avec les ânes) pour un projet caritatif lancé par l’Association des Arméniens de Toulouse et de Montpellier. Et malgré la conjoncture peu favorable aux artistes, plus particulièrement aux plasticiens, malgré le désarroi qui pourrait les guetter, et même si certains n’ont aucun lien avec l’Arménie, ils ont fait don, pour une cause concrète, de leurs œuvres exposées actuellement à la Galerie 21 et à la Factory de Toulouse, jusqu’au 6 juin, avant de l’être à Montpellier et à Marciac.
Le principe est simple : une œuvre achetée, c’est un pas pour la conception d’une prothèse pour une victime civile de la guerre en Arménie. Ces prothèses sont conçues par la Startup arménienne Armbionics, spécialisée dans la conception et la fabrication de prothèse des membres supérieurs. Les sommes récoltées permettront à Ambionics à développer son activité orientée vers l’assistance aux mutilés de la récente guerre au Haut-Karabagh. En effet, c’est un ingénieur arménien et toulousain qui a mis au point une prothèse révolutionnaire pour les blessés de guerre du Haut-Karabakh.
Une action totalement d’à-propos alors qu’un rapport d’Amnesty International et d’Human Right Watch vient de stigmatiser le fait que 80% à 90% des victimes des guerres modernes sont des civils!
Il est impossible de citer toutes les œuvres exposées (on se limitera à celles qui ont retenu mon regard lors de l’accrochage à la Galerie 21, dont la majorité créées par des artistes en résidence dans ladite galerie ; ni toutes celles et ceux qui ont participé généreusement à la manifestation.
Anne Pourny – L’homme et la mer
inspiré par la 1èrestrophe du poème de Baudelaire aux belles rimes embrassées, dans la section Spleen et idéalde son recueil Les Fleurs du mal, voué aux gémonies par la justice rétrograde de l’époque; elle a ainsi illustré chacune des 4 strophes.
Je vous encourage vivement à aller vous « rincer l’œil » (comme disait ma grand-mère Eugénie quand elle m’emmenait au Musée des Augustins) : vous serez transportés ; et cela vous donnera aussi envie, je l’espère, de partager cette sensation avec les bénéficiaires de l’action caritative qui en ont grand besoin, étant des victimes de guerre.
Il faut signaler que de nombreux et nombreuses bénévoles apportent leur concours logistique à cette opération, par exemple Jean Pierre Seferian (lui-même sculpteur et peintre), ou Sylvie Amigo, directrice de la Galerie 21, pour la communication (elle a créé l’affiche très parlante), avec son époux, co-animateur de la Galerie. Celle-ci est un lieu culturel indépendant où l’on trouve même de la Poésie (j’y suis très sensible, vous vous en doutez).
Guillaume Toumanian
Et préciser qu’à Toulouse, la Galerie 21 se trouve au numéro 3 dans l’Impasse de la Trésorerie qui s’enfonce le long du Temple à l’angle du Restauration Héliopolis Place du Salin. Il est conseillé de prendre rendez-vous au 06.86.12.41.83.
Galerie d’art Galerie 21 Sylvie Amigo-Soulet – 06.86.12.41.83 – galerie21.tls@gmail.com – www.galerie21-toulouse.fr
Galerie l’Âne Bleu (Marciac) : Saténick Emrinian (dit Saty D’Amico) Tel : 06 87 54 70 17 Mail : ane.bleu.galerie32@gmail.com
À L’Instituto Cervantes, une exposition intitulée ExiliArte, a ouvert ses portes le 20 mai et ce jusqu’au 23 juillet 2021, consacrée à l’immense poète, grande figure de l’exil républicain, Rafael Alberti, qui fut aussi peintre et dramaturge (2).
L’Instituto Cervantes de Toulouse est le 1er en France après la réouverture des lieux culturels à présenter cette exposition qui ira ensuite à Rome et à Naples ; ce qui n’aurait pas déçu Rafael Alberti qui disait en plaisantant : « avec mon nom je suis un peu italien ».
Antonio Saura (Fotografia Joaquin Hernandez KIKI)
L’exposition se compose de plus d’une cinquantaine d’œuvres qui lui avaient été offertes lors d’un hommage organisé à la Mutualité à Paris en 1966 par l’Association culturelle franco-espagnole dont Jean Cassou (ce grand Résistant qui nous a laissé 33 superbes sonnets écrits au secret alors qu’il était incarcéré par les Nazis à la prison Furgole de Toulouse) était alors président. Toutes les œuvres présentées – parmi lesquelles celles d’Antonio Saura, Josep Grau–Gariga entre autres- ont été retrouvées par hasard dans un carton à dessin. Au delà de cette découverte, cette exposition dit la relation d’amitié et d’admiration qui liait tous ces artistes et Rafael Alberti.
Vela Zanetti
Avec ces œuvres originales offertes au poète lors de l’hommage à Paris en1966, très variées qui vont de la caricature à la création pure, toujours en correspondance avec des poèmes de celui-ci, la lutte contre le régime franquiste est omniprésente.
J Pacheco (Fotografia De Joaquin Hernandez KIKI)
On y trouve aussi des émissions en espagnol collectées par l’université d’ Alicante années avec les voix de personnalités intervenues en 1966 (Jean Cassou en particulier) sur Radio Paris ; ainsi que des messages de soutien de personnalités absentes. Et des extraits de presse de l’époque présentés par Miguel Delibes, avec par exemple un message de Dolores Ibarruri, alors que suite à la Loi Fraga de 199, comme il le soulignait avec humour (noir), les journalistes avaient gagné quelque chose: « avant ils vous forçaient à écrire ce que vous ne ressentiez pas; maintenant ils se contentent de vous interdire d’écrire ce que vous ressentez ».
Ainsi que la pochette originale de l’hommage de 1966 conservée par commissaire et galeriste- plasticienne Sol Parena.
Comme le souligne Monsieur Juan Pedro De Basterrechea, Directeur de l’Insituto Cervantes de Toulouse, « Poésie, arts plastiques, dans cette exposition, tout concourt à la volonté de mise en lumière de la mémoire républicaine ».
Et cela est tout à fait de circonstance, car Rafael Alberti consacra sa vie aux expérimentations dans de nombreux domaines artistiques : peinture, poésie et théâtre. Avec Antonio Machado, Luis Buñuel et Federico Garcia Lorca, il forme la Génération 27, l’un des grands courants littéraires espagnols. En exil en France puis en Argentine, parmi ses amis on comptait Pablo Picasso, le grand poète péruvien César Vallejo, les prix Nobel de littérature Miguel Angel Asturias et Boris Pasternak, le cinéaste Sergueï Eisenstein, le compositeur Sergueï Prokofiev ou encore Louis Aragon, et André Malraux.
Dans son recueil À la peinture (écrit en 1945, traduit en français en 2001 par Claude Couffon et illustré par ses dessins aux Editions Le Passeur), qui comporte quarante-huit poèmes dédiés à la beauté plastique de la peinture, il rend d’abord hommage aux grands artistes, classiques ou contemporains qu’il admirait, à la manière de Baudelaire et ses phares (Goya, Botticelli, Joan Miró etc.), compose de petites odes aux outils du peintre, comme dans « Au pinceau ». Il fait également l’éloge du peintre lui-même dans « À la main » ou « À la rétine », analyse les couleurs associant une image à chaque couleur, et enfin les techniques picturales (Clair-obscur, Perspective etc.). Le poète livre ainsi sa propre conception des couleurs et leur symbolique, lui qui dont la première vocation était la peinture.
De la peinture
À toi, lin sur le champ. À toi, extension
De la surface, oeils-en-attente.
À toi, imagination, hiver ou brasier,
Dessein fidèle ou flamme délacée.
À toi, ligne impensée ou conçue.
À toi, brosse héroïque, roc ou cire,
Obéissant au style ou à la main,
Docile à la mesure ou à l’excès.
À toi, forme; couleur, engagement sonore
Parce que déjà volumes parlent de vies,
Ombre entre lumière, lumière entre soleil, nuit.
À toi, feinte réalité du rêve.
À toi, matière plastique palpable.
A toi, la main, de la Peinture le peintre.
Je n’oublie pas que Rafael Alberti, membre du Parti Communiste, s’exila en France après la guerre civile; mauvaise idée car un peu plus tard le Maréchal Pétain lui retira le permis de travail le considérant comme “dangereux” (ce qu’il fit pour de nombreux Républicains, quand il ne les livra pas directement à la police de Franco la Muerte comme le chantait mon cher Léo Ferré)… Il partit alors pour un long exil en Amérique du Sud et ne revint en Espagne qu’en 1977, après la mort du dictateur et le rétablissement de la démocratie. Il nous quitta en 1999.
En sortant dans le patio nimbé de soleil de l’Instituto Cervantes, après m’être approché de ce poète qi fait partie de ma Pléiade personnelle, et de celle de milliers de gens, résonne dans ma tête cette inoubliable chanson de Paco Ibanez sur un de ses poèmes, devenu en quelque sorte l’hymne des Républicains : A Galopar, au grand galop, dont vous pouvez trouver des enregistrements sur You Tube, en particuliercelui lors du concert mémorable avec Paco Ibanez au Théâtre Alcala de Madrid le 21 mai 1991.
Las tierras, las tierras, las tierras de España
las grandes, la sola desierta llanura
galopa caballo cuatralbo, jinete del pueblo
que la tierra es tuya
A galopar, a galopar, hasta enterrarlos en el mar (bis)
Les terres, les terres, les terres d’Espagne,
les grandes, solitaires, désertes étendues.
Galope, cheval balzan
cavalier du peuple
sous le soleil et la lune
Au galop, au grand galop, jusqu’à les ensevelir dans la mer!
Galopa, caballo cuatralbo,
jinete del pueblo,
que la tierra es tuya.
Galope, cheval balzan
cavalier du peuple
car la terre est à toi.
Pour en savoir plus :
1) Une expo, 3 villes (Toulouse-Montpellier-Marciac), 5 lieux, du 29/05 au 04/07
Les galeries d’art « À l’Âne Bleu » (Marciac) et « Galerie 21 » (Toulouse), soutenues par l’Amicale des Arméniens de Toulouse MP et l’Amicale Arménienne de Montpellier LR, organisent une exposition-vente caritative d’œuvres d’art offerts par plus de 25 artistes reconnus internationalement, de France, d’Europe, du Liban… mobilisés tous ensembles pour aider la Startup arménienne Armbionics spécialisée dans la conception et la fabrication de prothèse des membres supérieurs à décoller son activité orientée vers l’assistance aux mutilés de la récente guerre au Haut-Karabagh.
L’exposition-vente caritative d’environ 80 œuvres sera présentée dans 5 lieux différents à Toulouse (dans deux galeries), Pibrac, Montpellier et Marciac du 29 mai au 4 juillet 2021.
2) Cette exposition a été réalisée sous l’‘égide de la Diputación Provincial (Cádiz), Real Academia de Bellas Artes de Cádiz, Fundación Rafael Alberti (Cádiz)
Le vernissage a eu lieu le jeudi 20 mai, en présence de la commissaire Carmen Bustamante, des officiels de la Ville de Cadix, ainsi que de Pedro Soler (qui avait participé à l’hommage à Paris en 1966.)
INSTITUTO CERVANTES / 31 rue des Chalets – 31000 Toulouse Tél. 05 61 62 48 64
Galerie ouverte du lundi au vendredi, de 14h30 à 18h30 – Entrée libre