Les chefs d’orchestre seraient-ils les personnages les plus hors-norme du monde musical classique ? Regarder une partition de chef permet de comprendre tout ce qu’ils doivent avoir en tête. Aussi sont-ils très souvent dotés d’une mémoire phénoménale. Le grec Dimitri Mitropoulos pouvait mémoriser dans le détail une partition nouvelle à la première lecture. Mis au défi par un musicien de l’Orchestre de la NBC de New York de récrire sans préparation la partie de deuxième basson de la scène de rue du 2e Acte des Maîtres chanteurs de Nuremberg, avec toutes les nuances du texte, le légendaire Maestro italien Arturo Toscanini s’exécuta sans commettre d’erreur.
Chaque chef possède sa gestuelle qui est, profondément, l’émanation de son caractère, de sa personnalité. Ce livret des « Grands Interprètes » en témoigne par le biais des signatures laissées par chacun. La main qui signe s’apparente ici à une réduction homothétique du geste du chef. Il y a les introvertis (Dohnányi) et les extravertis (Nézet-Séguin), les concentrés (Boulez) et les expansifs (Rostropovitch), les rationnels (Sawallisch) et les fantasques (Mikko Franck)… et les dessinateurs (Temirkanov) ! Mais ce que souligne avec acuité la cohorte des grands noms réunis ici, c’est l’évolution et la diversification de ce métier depuis cinquante ans.
Car, comme tout artiste, le chef d’orchestre retranscrit l’humeur, les aspirations expressives et stylistiques de l’époque à laquelle il appartient. Les « Grands Interprètes » en témoignent sans exclusive ni impasse depuis trente cinq ans. Les Toulousains ont entendu des Maîtres tels que Carlo Maria Giulini, Yehudi Menuhin, Wolfgang Sawallisch, Georges Prêtre, Herbert Blomstedt, Bernard Haitink, Christoph von Dohnányi, Lorin Maazel, Seiji Ozawa, Zubin Mehta, Riccardo Muti. A l’autre bout du spectre, incarnant une certaine modernité on trouve Nikolaus Harnoncourt, William Christie, Frans Brüggen, Roger Norrington, Philippe Herreweghe, Trevor Pinnock, d’ailleurs précédés par Neville Marriner, Jean-Claude-Malgoire ou Michel Corboz – tous, absolument tous, sont différents. Il y a des profils solitaires, comme Pierre Boulez, ou très américains, façon Michael Tilson Thomas. Les très grands d’aujourd’hui comme Mariss Jansons, Riccardo Chailly ou Daniel Barenboim – lui incarne une catégorie à part : l’omniprésent. Les jeunes loups incroyablement virtuoses tels que Yannick Nézet-Séguin, Mikko Franck ou Gustavo Dudamel.
Et une brochette de personnalités russes Bigger-than-Life comme Evgeny Svetlanov, Mstislav Rostropovitch, Yuri Temirkanov, Valery Gergiev. Et bien sûr Tugan Sokhiev, devenu un enfant adoptif du pays des Comtes de Toulouse et des concepteurs du Concorde. Liste non limitative, bien sûr : « Madamina, il catalogo è questo… ». Précisément : il n’y a qu’une femme dans le lot, l’américaine Marin Alsop, mais elle ouvre le bal ! Chacun y est allé, ou pas, de son mot. Sigiswald Kuijken est l’auteur d’une dédicace que l’on aime infiniment : « … Je crois que l’on n’est jamais assez « grand interprète » pour faire Mozart… Mais on fait ce qu’on peut ». Comment mieux dire?
Rémy Louis
Les Grands Interprètes, dédicaces et souvenirs musicaux / Dédicaces – Volume I (Serge Chauzy)
Les étoiles des Grands Interprètes – volume II (Marc Laborde)
Les Grands Interprètes : dédicaces des grands solistes – Volume III (Serge Chauzy)