Culture 31 vous présente Rencontres de collectionneurs toulousains et vous emmène à la découverte de pointures qui ont fait du soutien à l’art contemporain, leur cheval de bataille. Leur témoignage est suffisamment rare pour être entendu, à l’instar d’un monde culturel en profonde mutation. Ces passionnés soutiennent des artistes avec lesquels un lien s’est créé, une émotion, et finalement une histoire.
La première concerne une figure emblématique de Toulouse, une ambassadrice qui a connu la mode et fait de l’art contemporain, sa raison d’être. Collectionneuse à partir des années 1970, Mimette Drommelschlager a beaucoup acheté, par passion et estime pour les grands talents que certains galeristes, dont Brice Fauché, lui ont fait découvrir.
Mimette Drommelschlager est un personnage haut en couleurs qui avant de parler de collection d’art contemporain parle avant tout d’une rencontre marquante et salvatrice avec la peinture, dans laquelle elle a littéralement plongé, pour faire de sa propre vie une oeuvre d’art.
Avec ses dents du bonheur et son style pétillant, difficile d’imaginer la femme timide et ultra-sensible derrière le personnage. C’est pourtant ce qui fait toute la complexité et la profondeur de Mimette Drommelschlager, devenue collectionneuse presque malgré elle dans les années 1970 : « C’est un mystère, dit-elle. Je viens d’une famille médicale avec de nombreux médecins. Mon frère, décédé l’année dernière, était un grand chercheur (Roland Chisin – ndlr) et a créé à Jérusalem le Département de médecine nucléaire. Lorsque que je me suis mariée à l’âge de 18 ans avec un enfant de la Shoah, j’avais un besoin existentiel de l’art, ce n’était pas prédestiné. Pour moi, c’était comme une psychothérapie ce rapport à l’invisible, à la peinture. »
Tout naît souvent d’une rencontre. A Toulouse, ce fut le galeriste Brice Fauché, qui lui présente François Morellet, Fabrice Hybert, Sophie Calle mais aussi Bertrand Lavier. A l’époque des artistes émergents qu’elle s’empresse de soutenir, en achetant un peu, beaucoup, passionnément. « Auprès de mon ex-mari, j’ai commencé à vouloir acquérir certaines peintures. La première pointe sèche de Hans Bellmer à 20 ans puis Serge Poliakoff, toute la série de peintures des années 1950 avec Atlan, mais également Pierre Soulages à 22-24 ans. J’ai pu aider et soutenir la galerie Sollertis, fondée en 1987 par Brice Fauché, un homme extraordinaire qui m’a beaucoup appris. ». Son fils, Raphaël, édité chez Dargaud, Casterman et Delcourt, illustrateur toulousain de renom tient certainement de son regard aiguisé : « c’est un garçon très élégant avec beaucoup de talent, de sensibilité… J’entretiens avec lui une relation privilégiée, nous avons beaucoup d’affinités intellectuelles… » Mimette Drommelschlager parle aussi du galeriste toulousain Jean Galvani, le précurseur, qui détenait « la plus belle collection de Design en France », reconnu pour avoir notamment formé Yves Gastou, grand marchand d’art parisien d’origine toulousaine.
A Paris, ce sera Yvon Lambert, « prince de l’art » à ses yeux dont elle ne tarit pas d’éloge : «Yvon Lambert était et demeure pour moi le prince de l’art, d’une érudition incroyable. J’aime tout chez cet homme, j’aimais déjà ses choix artistiques, sa façon de présenter des oeuvres qui vous donnent une dimension spirituelle et vous anoblissent. J’aime l’invisible. »
Rencontre de l’invisible
A l’image de beaucoup de collectionneurs pour lesquels la réserve est de mise, Mimette Drommelschlager est une femme discrète sur ses acquisitions, sur son imposante collection d’artistes français et internationaux. En 1977, elle découvre l’oeuvre de Mark Rothko, grand peintre de l’expressionnisme abstrait américain, lors de l’inauguration du Centre Georges-Pompidou. Cet événement marque définitivement son existence d’une pierre blanche : «Rothko a déstabilisé et stabilisé ma vie, il est devenu l’élément le plus fondateur de mon existence et avec lui, la peinture abstraite, essentielle à mon propre équilibre.» Ainsi en va-t-il de ce rapport à la matière et plus encore à ce qui ne se voit pas mais se ressent, dans les tripes, cette émotion qui vous tient et fait jaillir un besoin viscéral d’acquérir un peu de l’univers du peintre mais surtout de ses mystères, de son essence.
Pour Mimette Drommelschlager, sa passion pour l’art se cache dans son propre inconscient et finalement se nourrit de rencontres et d’intuition : « Dès le départ, acheter des oeuvres est devenu un besoin fondamental de liberté, une respiration, une alliance avec mon moi le plus profond, je retrouvais à travers ses peintures, un équilibre. J’avais l’impression de voir toute l’histoire de mon identité, je suis juive, agnostique, laïque et mystique. J’ai approfondi la lecture du Talmud avec l’errance, toute cette transmission de la voie orale, car aucune ligne chez Rothko n’est une ligne droite, l’idée de transgresser la loi tout en restant dans la loi et cette couleur porteuse de sens… J’aime l’interrogation, je suis très cérébrale et très charnelle, l’un sauve l’autre selon le moment. Cela me permets de déambuler dans ma complexité et de comprendre réellement qui je suis. J’avoue que c’est quelque chose qui vous tient en éveil. J’aime l’invisible et j’y suis comme un poisson dans l’eau. Les gens qui aiment la matière font partie d’une famille de pensée, c’est une famille très intime où l’on va directement à l’essentiel. »
« L’art, c’est l’anti-décoration »
L’enjeu n’a donc jamais été de spéculer mais d’aller au plus près d’une culture dont elle se sent proche intellectuellement, d’un courant de pensée qui sous-tendrait les lois de l’abstraction. Avouant être passée à côté des artistes chinois ou africains, se rapprochant des artistes américains qui la faisaient vibrer – Brice Neumann, Pollock et bien sûr Rothko, Mimette Drommelschlager voyage et découvre de grandes collections internationales, dès les années 1980 : « Avec le temps, précise-t-elle, j’ai compris qu’il fallait acheter avec son ventre et sa tête, c’est à dire acheter avec l’émotion que cela suscite tout en étant capable de vivre avec les oeuvres, sans avoir forcément besoin de le partager. Toulouse pour moi s’est malheureusement arrêtée avec la fermeture de la galerie Sollertis en 2013… Brice Fauché défendait ses artistes avec passion. »
Plus de galeries toulousaines capables de relever le défi de l’art contemporain aujourd’hui, où manquent à l’appel des talents capables de s’exporter dans les plus grandes foires : « L’art n’est pas de la décoration, c’est l’anti-décoration. » Elle ajoute : « Personne ne comprenait comment je pouvais aimer, et le baroque de Christian Lacroix, et l’oeuvre abstraite de Rothko dans son approche métaphysique. Je peux passer d’un Bertrand Lavier à un Boltanski, à Olafur Eliasson, comme à un Adel Abdessemed, où réside un paradoxe émouvant entre ce cri contre la violence et une grande tendresse. »
Le sens du détail
Sa connaissance affinée des grandes collections, des artistes comme des marchands internationaux ont fait de Mimette Drommelschlager l’une des plus grandes collectionneuses de l’art contemporain en France. Pour elle, pas de demi-mesure lorsqu’il s’agit de dénicher un jeune artiste dont elle perce les mystères : « Une oeuvre d’art doit être pensée et réfléchie, comme un vêtement. Je déteste le mot « fringue ». Un vêtement demande réflexion comme une oeuvre d’art. C’est la base. D’où ma passion pour la Haute-Couture, comme toujours, par ce que l’on ne voit pas et qui me parle. Avec Monsieur Lacroix, la personne la plus exceptionnelle que j’ai rencontrée, nous sommes nés ensemble dans l’art contemporain. Nous nous sommes rencontrés sur ce terrain-là. La somme de petits détails raconte toujours ce que vous êtes, un détail dans une oeuvre d’art pose son équilibre ou non. Ainsi la signature d’Adel Abdessemed par exemple contribue à l’énergie et à l’équilibre de la toile elle-même. C’est aussi ce qui en fait un grand artiste. Un artiste contemporain se doit de rompre avec l’histoire de l’art tout en marquant son lien à l’histoire de l’art. La frontière est subtile. Presque invisible. »
Soutenir les galeries d’art
Aujourd’hui spécialisée dans le négoce de l’art à Paris, vice-présidente des Amis des Abattoirs et présidente d’honneur des Amis français du Musée d’Israël dont elle a été la présidente durant huit ans, Mimette Drommelschlager cultive son jardin et conseille de jeunes collectionneurs. Et d’insister sur « l’importance d’acheter une qualité et pas une signature », d’aller dans des endroits où figure déjà une pré-sélection: « Par respect pour le galeriste d’abord, qui reste un élément déterminant, je n’ai jamais acheté une oeuvre en direct. J’ai participé à une découverte et à une communion. La plus grande injustice sociale dans la vie est le milieu dans lequel on naît, vivre dans un monde où il n’y a pas de livre est une injustice. La culture est la base même de l’inégalité sociale, elle est déterminante et l’essence même dans la vie pour acquérir la curiosité et le savoir. Apprendre pour moi est un luxe profond. »
Dans ses entretiens avec Otto Hahn, « Mémoires accumulés » datant de 1992, le peintre français Arman révèle que l’art contemporain relève pour lui de l’irrationnel. Cette notion d’irrationnel dans la capacité d’acheter une oeuvre hors de prix plutôt qu’un diamant de dix carats vaut pour l’acte de collectionner mais peut-être plus encore, pour les raisons qui nous motivent à placer l’art et l’invisible au-dessus de tout. Quelle valeur donner à une émotion, à notre équilibre existentiel ? L’art contemporain est en soi essentiel à notre humanité.