L’Orchestre national du Capitole de Toulouse poursuit sa saison à la Halle aux Grains avec la retransmission en ligne d’un concert dirigé par Gábor Káli qui invite le violoncelliste hongrois István Várdai.
Malgré l’absence de public en raison du confinement, la saison de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse se poursuit à la Halle aux Grains, avec la retransmission en ligne de certains concerts qui se tiendront comme prévus. Ainsi, le concert dirigé par Gábor Káli, avec le violoncelliste hongrois István Várdai (photo), sera diffusé en direct sur les pages Facebook et Youtube de l’ONCT, notamment. Né en Hongrie en 1985, István Várdai a remporté de nombreux prix internationaux ; il joue sur un Stradivarius légendaire, le violoncelle appelé «ex du Pré Harell», fabriqué en 1673.
István Várdai © Balazs Borocz
Il interprètera à la Halle aux Grains les « Variations sur un thème rococo », de Piotr Ilitch Tchaïkovski, composées en 1876 en hommage à la musique du XVIIIe siècle. Violoncelliste d’origine allemande et professeur au Conservatoire impérial de Moscou, Wilhelm Fitzenhagen fut le dédicataire de ces huit pièces, souvent virtuoses jusqu’à l’acrobatique, qui demandent à l’interprète une maîtrise absolue de son instrument. Le compositeur remerciait ainsi le musicien d’avoir participé à la création de ses Quatuors à cordes opus 11, 22 et 30. Jugeant la partition «maladroite», Fitzenhagen modifia l’ordre des variations, ainsi que leurs registres, afin de mettre en valeur la progression dramatique de l’ouvrage: la septième prit la place de la troisième, laquelle se retrouva à la sixième position, etc. La nouvelle version comportait dorénavant une introduction, un thème et huit variations.
Opus 33 de Tchaïkovski, les « Variations sur un thème rococo » furent créées le 18 novembre 1877, au Conservatoire de Moscou, par Wilhelm Fitzenhagen et le pianiste Nikolaï Rubinstein. Reconnaissant le mérite des changements proposés, Tchaïkovski demanda au violoncelliste d’assurer lui-même l’édition de l’œuvre, publiée l’année suivante. De nouvelles modifications apparurent alors, l’édition ne comptant plus que sept variations, la cadence étant placée au niveau de la quatrième. En 1889, Tchaïkovski orchestra la pièce sous le regard du musicien, car il considérait que la partie de violoncelle était de la main de celui-ci. La version orchestrale fut créée en 1941, par le violoncelliste Daniel Schafran, sous la direction d’Alexandre Melik-Pachaiev.
Si la version originale, non corrigée par le soliste, révèle des maladresses, elle brille toutefois par son inventivité et sa proximité avec l’esprit de la sérénade. L’édition de Fitzenhagen répond aux règles du concerto romantique, son interprétation étant plus valorisante pour le violoncelliste. Sur le plan stylistique, la partition témoigne de l’attachement du compositeur à l’égard des univers baroques et classiques: la sinfonia italienne, le style galant français et le divertissement viennois y sont habilement réunis. Œuvre représentative du postromantisme académique russe, son orchestration, dénuée de percussion, correspond à la «formation Mozart» avec des pupitres de vents par deux. Pour le soliste, la partition est techniquement très exigeante: elle représente un catalogue de la virtuosité du violoncelle au milieu du XIXe siècle, notamment pour le registre aigu de l’instrument.
Selon le violoncelliste István Várdai, qui interprètera à Toulouse la version de Fitzenhagen, «c’est l’une des plus belles œuvres concertantes pour violoncelle, probablement une de celles que j’ai le plus jouées. Je connais ces « Variations » depuis l’enfance et je les joue depuis une vingtaine d’années. Tchaïkovski y réussit la rencontre organique entre deux styles : le style classique du XVIIIe siècle et un romantisme léger, d’une grande élégance. Ce n’est pas une pièce dramatique ou échevelée, mais plutôt un modèle de distinction. La forme à variations est très intéressante par la grande créativité qu’elle suscite. Son interprétation nécessite de parvenir à un juste équilibre de formes, de couleurs, avec juste ce qu’il faut d’émotion…».
«J’ai beaucoup de respect pour la version originale de Tchaïkovski, qui est originale par son atmosphère de “nocturne”, mais j’apprécie davantage celle de Fitzenhagen dans la mesure où je la trouve plus construite et mieux graduée sur le plan émotionnel. Elle est aussi plus porteuse pour le public qui vient entendre une œuvre concertante, en ce sens qu’elle répond mieux à la structure usuelle d’un concerto. Dans la version de Tchaïkovski, la cadence du soliste survient après seulement deux-trois minutes de musique, ce qui perturbe la ligne émotionnelle. La version de Fitzenhagen est pour moi plus démonstrative et convaincante», assure István Várdai.
Jeune chef né à Budapest, Gábor Káli dirigera lors de ce concert la Neuvième symphonie, « Du Nouveau Monde », d’Antonín Dvořák. Nommé directeur du récent Conservatoire national de New York, en 1892, par la riche mécène Mrs. Jeanette Thurber, Dvořák est alors au sommet de sa carrière: ses œuvres sont appréciées et reconnues du public, son talent de chef d’orchestre est recherché partout dans le monde. À son arrivée aux États-Unis, où il séjournera jusqu’en 1896, le compositeur écrit : «Les Américains attendent de grandes choses de moi. Et avant tout, selon leurs dires, je dois leur indiquer le chemin menant à la Terre promise et au royaume de l’art nouveau et indépendant. Autrement dit, leur fournir une musique nationale.»
Gabor Kali © Ludwig Olah
Mrs. Thurber voit en effet en Dvořák le musicien capable de s’imprégner de la culture américaine pour la porter et la diffuser au-delà des frontières, elle attend de lui qu’il fasse entendre la voix de l’Amérique. Le compositeur étudie la musique locale et découvre avec intérêt la musique des Indiens et des afro-américains, il est ébloui par la beauté des Spirituals et des Plantation songs. À propos de sa partition en gestation, il prévient: «Cela différera considérablement de mes symphonies précédentes. Après tout, l’influence américaine doit être ressentie par quiconque a le nez fin…».
Composée en 1893, la Symphonie « Du Nouveau Monde » est créée en décembre de la même année, au Carnegie Hall de New York. Dvořák écrit alors : «Je n’ai utilisé aucune des mélodies indiennes. J’ai simplement écrit des thèmes originaux englobant les particularités de cette musique et, utilisant ces thèmes comme sujets, je les ai développés avec les moyens des rythmes modernes, contrepoints et couleurs orchestrales.» Remportant aussitôt un immense succès, cette symphonie deviendra une des œuvres les plus célèbres de l’Histoire de la musique. À la fois épique et mélancolique, elle a les allures d’une grande fresque romantique.
Dès le premier mouvement, noté «adagio», les cors font entendre le premier thème qui parcourt l’ensemble de la symphonie, réapparaissant dans chacun des quatre mouvements. Pour les mouvement suivants, Dvořák a puisé son inspiration dans le poème d’Henry Wadsworth Longfellow, intitulé « le Chant de Hiawatha », narrant la vie d’un Indien : le «Largo» reflète un épisode de famine et la mort de la femme du héros, puis le Scherzo fiévreux, noté «molto vivace», évoque «une scène de danse des Indiens dans la forêt». Enfin, l’«Allegro con fuoco» final synthétise en apothéose les mouvements précédents.
Concert retransmis sur les pages Facebook et Youtube de l’ONCT,
en direct de la Halle aux Grains, samedi 28 novembre, 18h00.