Madre, un film de Rodrigo Sorogoyen
Après nous avoir éblouis avec ses deux derniers longs : El Reino et Que Dios Nos Perdone, le réalisateur espagnol Rodrigo Sorogoyen nous revient dans un genre sensiblement différent. Délaissant le thriller pur et dur, le voici qui s’aventure sur les chemins toujours très caillouteux de l’intime. Pour ce faire il va donner une suite à son court-métrage, du même nom, nommé aux Oscars en 2016.
Dans un long plan-séquence, sa spécialité, une scène d’ouverture tétanisante nous met en présence d’Elena essayant de calmer, via un téléphone portable, son petit garçon de 6 ans, Yvan, abandonné seul par son père, son ex-mari, sur une plage déserte alors qu’un inconnu s’avance vers lui. Cette scène torrentiellement stressante achevée, le film nous transporte sans plus de ménagements 10 ans après, sur une plage landaise. Elena y travaille comme serveuse. Un jour, elle croise sur le sable une bande de jeunes surfeurs de 15/16 ans. Son regard accroche celui de Jean, l’un d’eux. Il ressemble à celui de son fils disparu… Va naître alors chez Elena une sorte d’obsession liée à l’impossible travail de deuil, Yvan n’ayant pas été retrouvé. Le film change alors totalement d’atmosphère et nous plonge dans des arcanes freudiens tortueux, par définition. Elena se rapproche insensiblement mais sûrement de Jean alors que ce dernier n’est pas indifférent aux charmes de cette jeune femme même pas quadragénaire. De là se crée une ambiguïté qui finit par mettre mal à l’aise. Le gamin est mineur, Elena est-elle alors en possession de toutes ses facultés ? Que cherche-t-elle véritablement ? L’atmosphère s’alourdit sérieusement et nous abandonnera dans une brume totalement opaque, nous laissant dans des questionnements à jamais sans réponses. Si l’on peut raisonnablement être nuancé quant au scénario et au jeune interprète de Jean, un peu « vert » pour ce rôle très en profondeur, on ne peut qu’applaudir à la remarquable performance de Marta Nieto, Elena bouleversante face à la pire catastrophe qui pouvait lui arriver, la perte de son fils. Conjuguant force et retenue dans son approche de Jean, elle est la figure éternellement émouvante et pathétique d’une âme perdue. Remarquable !
Les cinéphiles auront tôt fait de rapprocher le personnage physique de Jean avec celui de Tadzio dans Mort à Venise (Lucchino Visconti, 1971). Cette incroyable ressemblance est certainement un hasard. Dans le cas contraire, le film prendrait une toute autre dimension…