John Eliot Gardiner et le Monteverdi Choir
Quelle ouverture en fanfare du festival « Passe ton Bach d’abord » organisé par l’Ensemble Baroque de Toulouse sous l’impulsion de Michel Brun !
Il nous aura donc été donné de nous approcher de la perfection sonore.
Grâce à Odyssud, ardent défenseur de la musique baroque, le Monteverdi Choir a donné à la cathédrale Saint-Étienne son premier concert à Toulouse après près de cinquante d’existence. Si son chef et créateur John Eliot Gardiner était déjà venu au moins quatre fois en tant que chef d’orchestre (Mahler, Brahms, Stravinsky, Berlioz bien sûr, Bach, Haendel…), c’est humblement, avec ferveur qu’il est revenu avec son merveilleux chœur a capella dans un programme très original et pourtant très cohérent.
Thomas Tallis (1505-1585), William Byrd (1543-1623), sans doute son élève, Robert White (1538-1574), Thomas Morley (1557-1602) lui élève de Byrd, Peter Phillips (1560-1628), Thomas Tomkins (1572-1656) lui aussi élève de Byrd, joués lors de ce concert donnent un panorama presque exhaustif de cette musique entre renaissance et début du baroque, où se mêlait encore musique anglicane et musique catholique, et donc où les textes étaient soit en latin la plupart du temps, puis, peu à peu en anglais. Certes viendra plus tard le grand Henry Purcell (1659-1695), mais ce programme remarquablement intelligent veut mettre en lumière la musique religieuse de ce temps qui n’a rien à voir avec celles des contemporains comme Palestrina ou Lassus, et qui est profondément originale et fervente. Tallis et Byrd sont les plus représentés dans ce concert avec des compositions orantes et bouleversantes, du moins quand elles sont interprétées par un des meilleurs chœurs mondiaux. Fondé déjà en 1964, il aura été patiemment façonné, sculpté, poli et repoli par son créateur. Certes beaucoup de ses membres ont changé, l’ensemble s’est profondément rajeuni, mais la perfection initiale demeure.
Beauté et précision des articulations, netteté miraculeuse de la diction qui fait que chaque mot sonne clairement, qualité du fondu des voix, indiscernables tant elles sont une seule coulée, font que ces 25 chanteurs résonnent, vibrent, s’élancent sous la direction attentive, souple et chantante du démiurge John Eliot Gardiner.
D’une incroyable justesse sonore, ce chœur est un seul souffle, un seul corps. Aguerri depuis 2000, par un pèlerinage dans le monde entier à l’occasion du 250ème anniversaire de la mort de Jean-Sébastien Bach, il a pu se souder dans tant d’églises différentes, dans tant d’acoustiques diverses, qu’il est devenu une sorte d’organisme vivant, se nourrissant au bon pain de l’intégrale des cantates sacrées de Bach. Mais aucune major du disque n’a plus voulu de Gardiner et de sa troupe. Celui-ci a donc dû fonder propre label, Soli Deo Gloria. Pauvre marché du disque où l’on lance des produits commerciaux et où l’on réduit au silence des géants comme Haitink et Gardiner.
L’entrée et la sortie du concert se font spectaculairement par une procession impressionnante du chœur au travers de toute l’église, et les voix sont alors au milieu des spectateurs qui sont alors partie prenante d’une sorte de cérémonie. Puis prenant place au fond de la partie romane, sous la rosace, se met en place une autre rosace infinie des nuances de l’indicible.
Et l’on est saisi par l‘absolue perfection des voix, portées au ciel par l’intercession d’un chef aux gestes de chaman, sachant extraire la plus profonde beauté de ses chanteurs, avec amour, attention et vigilance. Le plus stupéfiant est le fondu sonore obtenu dans les plus infimes pianissimi. Souvent l’entrée des voix masculines semble une irruption du réel au milieu de tous ces souffles planants. Car souvent le chœur chante à mi-voix. Toute la cathédrale semblait d’ailleurs en lévitation et le public à la fin du concert en était sidéré.
Ce chœur fait de tant de gouttes d’eau sonores semble s’assembler en un fleuve unique et transparent où l’on ne peut plus discerner une voix parmi une autre. Comme les parties solistes seront assez rares, on est pris dans un temps suspendu. John Eliot Gardiner sculpteur de sons, fait se déplacer souvent les membres du chœur pour obtenir exactement le timbre qu’il souhaite. Son balancement du corps fait naître le balancement des sons.
Et tout est harmonie, une sorte d’éternité retrouvée.
Ces cercles de voix confondues, parfois emportés par des montées d’intensité font penser à une vague apaisée, à un balancement de houle sonore. Et quand les voix, le plus souvent à l’unisson, s’éteignent à peine séparées du silence, l’effet est stupéfiant. Le silence reste habité.
Ce sont bien sûr des voix anglaises, donc blanches et immaculées, de la neige qui chanterait en nous. Le concert est si bien conçu qu’il est vain de distinguer un morceau parmi d’autres, si ce n’est juste avant l’entracte l’extraordinaire Exaudiat te de White et vers la fin un Alléluia tourbillonnant de Philips.
Toutes ces voix presque murmurées au bord de l’ineffable sont de l‘ordre de la magie sonore. Tant d’équilibre, de projections contrôlées des voix, d’harmonie globale, sont presque de l’ordre du miracle choral.
Ce grand murmure orant, hymne et prière autant à l’art sacré qu’à la beauté même, va rester longtemps dans les mémoires des privilégiés qui ont pu assister à ce concert, car hélas des centaines d’autres n’ont pu rentrer, car une partie de l’église gothique est demeurée fermée.
Ce moment presque de transcendance va rester comme l’un des plus beaux concerts donnés à Toulouse pour longtemps. Grâce soit donc rendue à Odyssud et à Passe ton Bach d’abord de nous avoir amenés à de telles hauteurs.
Gil Pressnitzer
John Eliot Gardiner © sonningmusik.dk
Monteverdi Choir © monteverdi.co.uk
Passe Ton Bach d’abord
Odyssud