La Cave Poésie* de Toulouse présente jusqu’au samedi 9 juin à 21h 30 Le lanceur de dés par la Compagnie Ici, Là-bas et Ailleurs avec Pascale Becker (comédienne), Samir Arabi (conteur) et Thierry Di Filippo (Oud, clarinette, percussions, flute…) : un récital poétique et musical à ne pas rater dans l’ambiance intimiste de la Cave, un lieu toujours incontournable pour les amateurs de spectacle vivant en dehors des modes manufacturées et des gabegies hypersubventionnées.
Dans une mise en scène sobre (2 chaises et un éclairage volontairement réduit au strict minimum), c’est l’installation du musicien avec ses instruments dont de nombreuses percussions qui compose un décor tout à fait adapté, tant la poésie de Mahmoud Darwich se prête à l’accompagnement musical. Musicale son écriture l’est déjà, et la restitution du poème dans sa langue d’origine donne son rythme et sa mélodie, parfaitement scandée par Samir Arabi, universitaire syrien à l’emphase orientale ; et l’on devine en lui toute la résonnance actuelle du poète palestinien vivant tantôt en exil, tantôt « en état de siège » (assigné à résidence) dans son propre pays. L’enlacement des mots arabes aux mots français ajoute à cette fusion, portée aussi par la belle voix chaude de Pascale Becker, qui dit fort justement quelque strophes en arabe même si ce n’est pas sa langue natale, et même si l’on reste un peu frustré qu’elle ne lise pas davantage de poèmes (peut-être n’est-il pas nécessaire que le musicien en disent cinq, tant son rôle est déjà ample). Et peut importe enfin si l’on ne comprend pas tout, se demandant parfois s’il s’agit d’une adaptation (imparfaite par définition : « traduttore, traditore, traducteur, traître » dit le proverbe italien) texte par texte ou une improvisation libre à partir d’un choix préliminaire qui convient bien au Poète.
Thierry Di Filippo* est un musicien discret mais fidèle qui affirme au fil des ans une volonté « de mélange des gens et des genres, d’ouverture au partage et à l’amitié » : il trouve tout à fait justement sa place ici. Sa musique est un équilibre délicat entre sensibilité et passion, écriture et improvisation, qui entraine dans un voyage ensorcelant aux détours imprévisibles du Jazz manouche aux Musiques du monde. Sa participation au groupe « Latcho Drom » sur des scènes internationales, sa qualité de fondateur du groupe « Axe Swing » ont forgé son style enraciné dans la tradition mais ouvert à d’autres influences. Avec Zarca, il explore aussi des univers orientaux, donnant la parole à son oud. L’éclectisme est le maitre-mot de ses nombreuses expériences musicales.
Avec son refrain, « Qui suis-je », le Lanceur de Dés* est un poème autobiographique dans lequel le poète s’interroge sur l’existence et ses vicissitudes : son chemin de vie est accidenté comme l’histoire de son pays, et il nous livre ainsi un témoignage sur le quotidien de son peuple où la peur, la faim, la soif, la révolte, sont omniprésents, mais il tend à l’universel, solidaire de tous les opprimés passés et présents. Comme dans tous ses textes, il s’insurge : « la beauté de la Palestine dit combien l’occupant reste étranger à la nature ». Avec des mots de poète. Sans oublier de distiller des notes d’humour oriental, noir souvent, mais d’humour quand même.
Mort en 2008 « d’une panne de cœur », Mahmoud Darwich a réussi à semer des graines d’espoir pour une paix juste ; il est toujours vivant chez ses compatriotes et dans l’imaginaire de nombreux artistes (son ami Ernest Pignon-Ernest a par exemple collé son image sur les murs de béton de Ramallah, comme une empreinte de l’histoire à ne pas oublier, pied de nez à ceux qui ont voulu l’effacer) ; et bien sûr des amateurs de Poésie. Mahmoud Darwich, poète et palestinien, devenu le porte-parole de tout un peuple disait qu’il « cherchait depuis dix ans le mot juste pour décrire la fleur de l’amandier au printemps. » C’est sans doute ce qu’un poète peut donner de plus fort à son peuple, de trouver le mot juste dans sa langue pour dire la fleur de l’amandier.
Métaphore d’une hirondelle, Trace du papillon… en tout cas, autant de surnoms pour ce Poète qui fait partie de mon anthologie personnelle, de ma Pléiade éblouissante et fraternelle, avec Nazîm Hikmet, mais aussi Antonio Machado, Miguel Hernandez, Lorca ou Neruda; sans oublier Villon, Ronsard, Hugo, Verlaine, Rimbaud, Francis Jammes, Apollinaire, Aragon et Léo Ferré bien sûr.
Quand j’ai vu son cercueil porté de mains en mains par une foule déchaînée, j’ai murmuré avec Saint Pol Roux :
Allez bien doucement, Messieurs les Fossoyeurs,
Allez bien doucement car ce coffre, il est plein d´une harmonie faite de choses variées à l´infini : cigales, parfums, abeilles, nids, raisins, cœurs, fruits, bêlements, sphinx, amphores, trilles, thyrses, arpèges etc.
Aujourd’hui, il faut aller à la Cave Poésie (et partout où sera donné ce récital) écouter et vibrer à ce bel hommage à Mahmoud Darwich :
Un des plus grands poètes de ce temps
Un révolté de la tendresse palestinien
Métaphore de son pays martyr
Qui fut emprisonné de nombreuses fois
Qui connut l’exil, ce dur métier
Comme Nazim Hikmet, le Turc citoyen du monde,
Qui pouvait psalmodier ses poèmes
Devant des milliers de personnes
Chantant la beauté des femmes et des roses
Fustigeant les extrémistes israeliens
Comme les Intégristes musulmans
Et suscitant l’enthousiasme populaire
Nous aimons la vie autant que possible
Nous érigeons pour les violettes des palmiers et des minarets
Nous volons son fil au ver à soie pour tisser notre ciel
Nous ouvrons les barbelés du jardin
Pour que le jasmin inonde les routes
Nous aimons la vie autant que possible.
Une fois de plus, la grande Poésie, de n’importe quel horizon qu’elle vienne, est un plaisir de l’esprit, un appel à l’intelligence, et « une arme chargée de futur » comme l’écrivait René Char.
Elrik Fabre-Maigné
Chevalier des Arts et Lettres
***Mahmoud Darwich – Le Lanceur de dés, Ed. Actes Sud, avril 2010, 96 pages.
La majorité des œuvres du Poète sont chez cet éditeur (Etat de siège, Au dernier soir sur cette terre, La trace du papillon (pages d’un journal été 2006-été 2007) etc…), mais on conseillera aussi aux Editions de Minuit Plus rares sont les roses, dans la belle traduction d’Abdellatif Laâbi (autre grand poète arabe), et son Anthologie (1992-2005) bilingue aux Editions de poche Babel
On peut aussi voir sur internet sa lecture avec Didier Sandre et les frères Joubran le 18 novembre 2011 dans la salle du Théâtre National Populaire, un moment inoubliable :
www.dailymotion.com/…/x37nmp_mahmoud-darwich