Au Théâtre du Capitole, le jeudi 22 janvier 2026, ce sera à 20h, un concert unique de musique de chambre mettant à l’honneur deux compositeurs, Weinberg et Chostakovitch, véritables passagers du XXè siécle. Le Quatuor Danel partage l’affiche avec Elisabeth Leonskaja.

Elisabeth Leonskaja © Marco Broggreve
Le programme annoncé est le suivant :
De Weinberg, le Quatuor à cordes n° 2 de 1940 suivi du Quatuor n° 6 de 1946
Puis, de Chostakovitch, la Sonate pour piano n° 2 de 1943
Et pour clore, le Quintette pour piano et cordes en sol mineur, op. 57 de 1940
Est-il besoin de présenter le Quatuor Danel, responsable du premier enregistrement intégral des 17 quatuors du compositeur russe d’origine juive polonaise ? compositeur qui, au milieu de tant de moments tragiques dans sa jeunesse a eu un moment irénique à savoir sa rencontre salvatrice avec Chostakovitch quittant Leningrad pour Moscou, rencontre qui s’est scellée par une amitié indéfectible de plus de trente ans. Ce même Quatuor a enregistré aussi les Quatuors de Chostakovitch.
Dans la Sonate n° 2 et dans le Quintette, intervient la “Grande dame de l’École soviétique“, soit Elisabeth Leonskaja. Tout admirateur à Toulouse des artistes du clavier ont obligatoirement assisté au moins à un concert de ce personnage tant admiré, en tant que pianiste mais aussi en tant que personne.

Quelques mots : « Le chemin de Leonskaja est un chemin de cimes. Par le dépassement de soi, l’exigence, la passion et l’intelligence, elle se place au rang des plus grands, non seulement d’aujourd’hui mais de l’époque ». Depuis plusieurs dizaines d’années, Elisabeth Leonskaja compte parmi les pianistes les plus fêtés de notre époque. Dans un monde dominé par les médias, elle reste fidèle à elle-même et à la musique, dans la pure tradition des grands interprètes soviétiques comme David Oïstrakh, Sviatoslav Richter ou Emil Gilels qui, malgré les conditions politiques les plus pénibles, restaient toujours soucieux de la quintessence de la musique. Sa modestie quasi légendaire accentue encore sa timidité face aux médias. Mais dès qu’elle entre en scène, le public sent la force qu’elle tire de son dévouement pour la musique.
Née d’une famille russe à Tbilissi en Géorgie, elle fut considérée comme une enfant prodige et donna ses premiers concerts à l’âge de 11 ans. Son talent peu commun lui ouvrit les portes du Conservatoire de Moscou. Alors qu’elle y était encore étudiante, elle gagna des prix aux concours internationaux de renom : Enesco, Marguerite Long et Queen Elisabeth.
L’évolution musicale d’Elisabeth Leonskaja a été marquée par sa coopération avec une gloire passée du clavier, Sviatoslav Richter. Ce pianiste de génie a su reconnaître son exceptionnel talent dont il a assuré la promotion non seulement par des leçons et des conseils, mais également en l’invitant à jouer en duo avec lui dans le cadre de différents concerts. Un tel duo est un événement musical ! L’amitié musicale et personnelle qui liait Sviatoslav Richter et Elisabeth Leonskaja n’a pris fin qu’avec le décès de Richter en 1997. En 1978, elle quitte l’Union Soviétique pour s’établir à Vienne. Son remarquable concert au Festival de Salzbourg en 1979 a marqué le début de sa carrière concertante dans les pays de l’ouest. Et quelle carrière !

Quator Danel © Marco Borggreve
Marc Danel | violon
Gilles Millet | violon
Vlad Bogdanas | alto
Yovan Markovitch | violoncelle
Sur le Quatuor Danel, cliquez ici
Le Quatuor n°2, initialement composé alors que Weinberg est réfugié à Minsk, entre novembre 1939 et mars 1940, et qu’il ignore ce qu’il est advenu de ses proches, s’applique à éviter toute dramatisation. Il est largement repris cinquante ans plus tard par Weinberg. C’est d’ailleurs cette deuxième version qui devrait être jouée ici. Y alternent un premier mouvement presque classique, étonnamment harmonique et mélodique en comparaison du premier quatuor, avec des mouvements plus sombres et dramatiques, beaucoup plus proches de l’écriture usuelle de Mieczyslaw Weinberg.

Mieczyslaw Weinberg
Lorsqu’il compose son Quatuor n° 6, entre le 20 juillet et le 24 août 1946, il le dédie à son ami compositeur Gueorgui Sviridov (1915-1998) qu’il a connu dans l’entourage de son autre ami, Chostakovitch. Deux ans plus tard, l’œuvre, au langage radical, figure au nombre des compositions que le régime soviétique classe parmi les « non conformes ». La notice d’un certain David Fanning, auteur d’un ouvrage sur Weinberg en 2010, rappelle que, malgré la levée assez rapide de l’interdiction, celle-ci marquera le compositeur, qui ne produira aucun quatuor au cours des onze années qui suivront. Il n’a pas été non plus joué de son vivant, semble-t-il, et ne sera donné pour la première fois qu’en janvier 2007, à Manchester, par le Quatuor Danel.
D’une exceptionnelle inventivité, il est de vastes dimensions, quasi symphoniques (trente-cinq minutes). En six mouvements, ce n° 6 se révèle audacieux dans sa conception. Très virtuose, l’ensemble, inclassable, est d’une grande difficulté technique et nécessite une maîtrise rigoureuse des couleurs sonores. Entre fluidité et sauvagerie, présentes dans les parties extrêmes, avec des moments lugubres, on découvre aussi deux mouvements dramatiquement brefs, avant un Adagio travaillé et un Moderato comodo à la fois passionné puis apaisé, avec des arpèges bourdonnants. Il se conclue par un finale d’une beauté exceptionnelle.
Une partition qui demande aux interprètes de grandes facultés de concentration et de discipline collective.
Quelques mots sur Dmitri dit Mitia Chostakovitch du temps de sa Symphonie n° 5, en 1937. Il aborde la trentaine quand tout n’est que compromission permanente : cliquez ici.

Dmitri dit Mitia Chostakovitch / Wikimedia
La Sonate n° 2 de Chostakovitch est composé dans les années 1942-43 et son langage musical semble vouloir s’opposer au côté spontané et avant-gardiste des compositions précédentes. Comme si le musicien voulait retrouver le langage habituel des compositeurs passés. Cette œuvre est dédiée à la mémoire de son professeur de piano du Conservatoire de Leningrad, un certain Léonid Vladimir Nikolaïev. Plutôt conséquente puisque d’une durée d’environ 26 minutes, ses nombreux aspects la font qualifier de traditionnelle. Avec un premier mouvement Allegretto de 7 minutes donné sur un tempo apparemment rapide. Le mouvement qui suit Largo d’environ 6’ est plein d’émotions et fait penser à la Symphonie n° 7 Leningrad toute récente. Quant au finale, conséquent, sur 13’ Moderato con moto, il n’est qu’une longue série de variations ininterrompues sur un thème très développé et énoncé de façon monophonique. C’est une œuvre en hommage, au piano, à un excellent professeur de piano mais aussi que Chostakovitch estimait au -delà de sa pédagogie, en un mot, un hommage à l’Homme.

Chostakovitch au piano / Wikimedia
Le Quintette de 1940 est en cinq mouvements sur une durée de, environ, 32’ :
Prélude. Lento
Fugue. Adagio
Scherzo. Allegretto
Intermezzo. Lento
Finale. Allegretto
On ne développera pas sur la période qui se met en place et qui frappera de plein fouet Chostakovitch. Citons juste l’attaque virulente subi par son second opéra, “ Lady Macbeth de Mtsensk“ et cette période qualifiée de “Grande Terreur“, la révolution culturelle stalinienne, une “orgie de violence étatique“ sans précédent. Le compositeur pourra lire dans la Pravda son nom dans la liste des condamnés à mort au milieu d’autres musiciens, compositeurs, poètes, écrivains, …
C’est le climat régnant quand son Quintette est créé à Moscou en novembre 1940 par le Quatuor Beethoven avec le compositeur au piano. Il fut applaudi par le public, tout autant que par la critique officielle ! Un an plus tard, il sera même couronné du prix Staline. Et si le climat peu favorable perdura, bizarrement ce Quintette continua à recevoir les louanges officielles.
Entrons dans ce Quintette par Prélude et Fugue enchaînés de même que les deux derniers, Intermezzo et Finale avec au milieu un Scherzo énergique. Et remercions Chostakovitch d’avoir su composer au milieu de toutes ces turpitudes ne pouvant déclencher que des états d’abattement, d’épuisement total ou de peur de la mort car celle-ci rode. Elle est partout.



