Quoi de plus beau comme cadeau qu’un livre de photographies ? Sélection d’ouvrages remarquables, classiques ou contemporains, beaux objets ou formats poche, signés de grands noms et de jeunes talents.

« Eight Eyed Boy ». Photo Hyunmin Riu
L’enfance est un sujet rebattu en photographie. Hyunmin Tyu parvient cependant à le renouveler avec « Mon neveu coréen », suite de portraits mis en scène du jeune Kim Saehyun, alors qu’il avait entre 11 et 15 ans. On le voit, visage poupin, sous un cerisier en fleurs ; visant un dinosaure avec un flingue-jouet entre deux immeubles gris ; en figure de proue sur un matelas pneumatique puis, plus âgé, la silhouette affinée dans le couloir de son collège ou sur un terrain de base-ball. Les photos, aux couleurs soignées, sont à la fois tendres etsurprenantes, livrées sans la moindre explication sauf une interview du garçon en fin d’ouvrage. Kim Saehyun a beaucoup aimé participer à cette série, qu’il considère comme « un jeu avec (sa) famille » dont le résultat a provoqué chez lui « une sensation étrange et agréable ».

Sentiment partagé par le lecteur, heureux de découvrir un jeune photographe récompensé par le prix Maison Blanche 2024 dans le cadre du festival Photo Marseille. « Mon neveu coréen », de Hyunmin Ryu (Le Bec en l’Air, 76 pages, 40 euros).

« Montperrin ». Photo Marion Gronier
Marion Gronier a été exposée au printemps 2025, à Toulouse, alors que le Château d’Eau, encore en travaux, occupait provisoirement l’ancien musée de l’Affiche. On avait alors été saisis par ce travail réalisé dans deux unités de soins psychiatriques à Aix-en-Provence et au Sénégal. Sous le titre « Quelque chose comme une araignée », Marion Gronier nous montrait ceux qu’on refuse souvent de voir ; corps tronqués, désarticulés, le plus souvent photographiés de dos. Elle s’en approchait avec respect et délicatesse, dans un noir et blanc épuré qu’elle construisait sous forme de triptyques proposés en hauteur. Cette exposition au sujet fort et au dispositif original est complétée aujourd’hui par un livre tout aussi étonnant. On y lit d’abord une sorte de poème en prose déstructuré qui, on le découvre peu à peu, est la retranscription d’enregistrements de patients commentant à leur manière les images que la photographe leur a montrées. Images en noir et blanc qui se déroulent de haut en bas, comme un accordéon, dans un tourbillon de sensations fortes exprimant la peur, la douleur, le vide et le trop-plein, la solitude et l’enfermement. Un « livre-objet » remarquable pour un sujet difficile – et un traitement remarquable – qui a obtenu le prix Photo sociale 2025. « Quelque chose comme une araignée », de Marion Gronier (Le Bec en l’Air, 30 euros).

Sophie Calle a toujours plus d’un tour dans son sac, multipliant les projets, les expositions et les livres étonnants. Les Toulousains se sont familiarisés avec son univers en 2007 grâce à son installation sur le « transport amoureux » (laissez un message à un inconnu que vous avez croisé dans le métro) à la station Jeanne-d’Arc. Les Parisiens ont pu découvrir, en 2023, comment l’artiste s’était appropriée le musée Picasso sous un titre qui lui ressemble bien : « A toi de faire, mignonne ». Le catalogue de cette exposition est enfin édité, sous une forme tout à fait originale. Le livre est inséré dans une chemise cartonnée rigide doublée de cuir fermée par deux boutons pression. Au fil des onglets de l’ouvrage, qui forment le titre « L’inachevé », on plonge dans un florilège réjouissant d’« idées inabouties », de projets foutraques, d’éclairs furieusement créatifs qui associent textes aussi drôles que profonds et photographies à la fois banales et étranges.

Le « Catalogue de l’inachevé » de Sophie Calle.
Sophie Calle a ainsi envisagé la répétition générale de ses funérailles ; une « Star Ac’ » pour plasticiens ; « cherché en vain des gens qui avaient vécu quelques heures avant d’être informés de la mort d’un proche, pour décrire ce temps insouciant alors que leur vie venait de basculer » ; « songé à entrer par effraction dans des maisons pour déposer un cadeau » et bien d’autres choses. L’artiste a aussi tenté de faire publier un roman à l’eau de rose écrit à quatre mains ; proposé une photo de vache lui léchant les seins pour une boîte collector de la Vache qui rit ; s’est passionnée pour des faits divers comme celui d’une famille de quatre personnes retrouvée pendue et ayant laissé ce mot énigmatique : « On a trop déconné. Pardon » ; a conservé la « longue table en bois massif » sur laquelle elle a aidé à pratiquer des avortements au début des années 1970 alors que c’était illégal ; s’est amusée à intégrer des couvertures de bandes dessinées olé-olé de la série « La loi de la rue » (« La ley de la calle » en espagnol) juste à cause du clin d’œil à son nom de famille; a fait rechercher des femmes s’appelant comme elle, un détective n’en trouvant que deux, travaillant dans la même usine de pâtisserie industrielle, etc. Autant de pistes prometteuses qui ont fait phosphorer Sophie Calle un moment avant de la mener à des impasses…vite oubliées par le fourmillement d’autres idées à explorer. Idées mises en pages de manière ludique dans ce catalogue de « L’inachevé » alors que beaucoup traitent de la quête des origines, de la violence du monde et de l’angoisse de la mort. « Catalogue raisonné de l’inachevé » de Sophie Calle (Actes Sud, 240 pages, 200 illustrations, 49 euros).

« Photo Poche », la précieuse collection d’Actes Sud continue sa publication de nouveautés tout en maintenant un rythme soutenu de rééditions, sous de nouvelles couvertures. Les parutions récentes d’ouvrages consacrés à Letizia Battaglia, Sabine Weiss, Pentti Sammallahti et Daido Moriyama sont autant d’occasions de jolis cadeaux à petits prix (à savoir, 14,50 euros le volume). Et de raviver des souvenirs chez les Toulousains, les trois premiers ayant bénéficié de belles expositions chez nous grâce au festival Manifesto, au Château d’Eau ou à la programmation en plein air dans le jardin Raymond-VI. Letizia Battaglia (1935-2022) est surtout connue pour son travail sur les assassinats de la mafia, à Palerme, sa ville, au début des années 1980. Des images choc, prises à chaud pour un quotidien local, devenues des références dans le domaine du traitement des faits divers. Mais celle qui fut reporter, éditrice, animatrice d’associations, conseillère municipale écologiste sut aussi briller dans le registre du portrait (notamment d’enfants) ou de l’actualité politique, festive et religieuse, loin des drames liés au crime organisé.

Palermo.1980. Quartiere La Cala – La bambina con il pallone – Photo Letizia Battaglia
Amie de Jean Dieuzaide, Sabine Weiss (1924-2021) avait beaucoup de traits en commun avec le photographe toulousain. Comme lui, elle cultivait un sens aigu de l’humain, lui donnant toute sa beauté sans jamais sombrer dans le mièvre. Comme lui, elle multiplia les activités (reportages pour la presse, travaux de commande, publicité) à une époque où la plupart des photographes se considéraient comme des artisans avant d’être reconnus, sur le tard, comme des artistes. La réédition de son « Photo Poche », qui met en couverture une jeune gitane en train de danser, fait la part belle aux enfants qui jouent, aux artistes en action (Alberto Giacometti, Françoise Sagan, Romy Schneider…), aux anonymes de Berlin, New York ou Budapest trimballant un quotidien pas toujours facile à porter.

Le monde poétique de Pentti Sammallhati
La réédition du volume consacré au Finlandais Pentti Sammallahti s’orne de flamands dont la blancheur se détache d’un océan d’ajoncs. Né en 1950, le photographe est un miniaturiste dont les images, souvent prises en hiver, sont d’une intense délicatesse. On les approche à pas de loups avant de découvrir toute leur force évocatrice. L’univers de l’artiste est une Arche de Noé tendre et apaisante, remplie de chiens, lapins, singes, chevaux et oiseaux. Pour un voyage qui mène tranquillement, comme une longue marche, à l’autre bout du monde.

Photo Daido Moriyama
Né en 1938, Daido Moriyama est en quelque sorte l’homme qui photographie plus vite que son ombre. Nuit et jour, il plonge dans la ville comme dans un bain bouillonnant, mitraillant les gens sans soucis de cadrer, saisissant les ambiances dans un noir et blanc charbonneux, très bien rendu par l’impression toujours parfaite des « Photo Poche ». Un tourbillon de sensations qui vous explosent à la figure. « Photo Poche » numéros 103 (Pentti Sammallahi), 141 (Daido Moriyama), 166 (Sabine Weiss) et 182 (Letizia Battaglia). Chaque volume : 144 pages, 14,50 euros.





