Un Château d’Eau tout beau est à découvrir sur les berges de la Garonne, au bout du Pont-Neuf, à Toulouse. Première exposition dans ce bâtiment restauré : « L’humus du monde », de Sophie Zénon, qui surprendra le public et fera débat chez les amateurs de photographie.

Une installation sans intérêt dans la Seconde galerie. Photo JMLS
On trouve de tout au Château d’Eau, non pas des balais et des brouettes (l’endroit fit longtemps office de remise pour les cantonniers municipaux avant de devenir une galerie) mais des crânes, des branches, des écorces, des herbiers, des feuilles mortes, des sculptures, des tableaux, des ex-voto… Et puis, quand même, quelques tirages, le plus souvent retravaillés, qu’on peut qualifier de photographies. Sophie Zénon, qui a l’honneur d’inaugurer des lieux chèrement restaurés, privilégie « l’hybridation des médiums » et le manifeste avec son exposition « L’humus du monde », sorte de florilège de près de trente ans de travail centrés sur « la beauté et l’effroi ». Il y a donc le cycle « Rémanences », consacré à la mémoire des paysages, « vue sous l’angle du végétal supplicié, fragile mais nourricier et renaissant ». Et puis des œuvres traduisant la reconstitution de forêts, sans intervention humaine, après les meurtrissures de la Première Guerre mondiale. Au sous-sol du Château d’Eau, sous un faible éclairage le rendant encore plus inquiétant, Sophie Zénon a également imaginé une installation dont le thème récurrent est la mort.

Statuettes de l’Egypte antique issues du musée Saint-Raymond et photos de momies de Palerme par Sophie Zénon.
Dans la Seconde galerie, sous le Pont-Neuf, le cycle « Arborescences » est dédié à sa propre histoire familiale, dont les racines se situent en Italie. Et c’est là, après une installation forestière sans grand intérêt, qu’on découvre de magnifiques photographies sous le titre « Dans le miroir des rizières ». La série rend hommage à sa grand-mère, dont le portrait est déplacé, de pièce en pièce, dans une maison riche d’une longue histoire.

Un bel hommage à la grand-mère de Sophie Zénon.
« L’humus, cette couche de terre supérieure, est signe de décomposition mais aussi de ferment vital, a expliqué l’artiste lors de la présentation de son exposition. L’humus illustre aussi le passage du temps, le cycle de la vie et de la mort ; la perte, l’absence. » Outre ses œuvres « dures ou plus légères », Sophie Zénon a choisi des tableaux italiens et flamands, des sculptures, des pots de plantes médicinales, des vidéos, etc. dans les collections de plusieurs musées toulousains ; œuvres diverses répondant à sa propre obsession « pour le comportement face à la mort », qu’elle a étudiée comme ethnologue « auprès de chamanes mongols et sibériens ».

Une photo? Si l’on veut car ce crâne en porcelaine a été réalisé avec Aurélie Lanoiselée à partir d’un IRM de Sophie Zénon. Un peu tiré par les cheveux, non?
Au fil de la visite, l’univers hétéroclite de Sophie Zénon pourra effectivement provoquer « la beauté et l’effroi » ou simplement donner l’impression d’un curieux bric-à-brac. Il devrait aussi agacer les amateurs de photographie qui ont connu tant d’émotions du Château d’Eau depuis 1974. Peu de lieux publics sont dédiés en France à cet art longtemps méprisé par les institutions et l’intelligentsia. Jean Dieuzaide avait dû se battre bec et ongles pour qu’enfin ses amis et confrères – de Willy Ronis à Jeanloup Sieff, de Sarah Moon à Mario Giacomelli – trouvent un lieu d’exposition digne de ce nom. Voir aujourd’hui le Château d’Eau phagocyté par un mélange des genres qui doit si peu à ce que son fondateur défendait corps et âmes a de quoi provoquer l’agacement. Une telle exposition, qui trouvera certainement de nombreux défenseurs, aurait parfaitement eu sa place au musée des Abattoirs ou dans des Augustins eux aussi fraîchement rénovés. Quand, pour créer l’événement, nous aurions préféré admirer quelque géant de la photographie, passé ou présent…
Quelques jours après le Château d’Eau, le Pavillon Populaire, à Montpellier, renaissait à l’issue de 8 mois de travaux. En vedette : Raymond Depardon (1) pour une rétrospective faisant la part belle à la couleur. Un photographe, un vrai, à la fois exigeant et accessible. Pour un lieu rénové qui ne dévie pas de sa mission initiale, plus précieuse que jamais.
Exposition « L’humus du monde », de Sophie Zénon, jusqu’au 8 mars 2026 au Château d’Eau (1, place Laganne), Toulouse.
(1) Raymond Depardon a été exposé fin 2023 au Château d’Eau, en duo avec David Burnett, pour leurs reportages dans le Chili d’Allende et Pinochet. Il n’a bénéficié à ce jour d’aucune rétrospective à Toulouse.


