Jeudi 27 novembre à 20h à la Halle, c’est le Concert Étudiant devenu traditionnel. Au menu, en ouverture, le Prélude de l’opéra Lohengrin de Richard Wagner suivi de ce monument, la Septième Symphonie d’Anton Bruckner. Les musiciens sont placés sous l’autorité de l’immense chef polonais Antoni Wit.

Antoni Wit © CJ Multarzynski / AMW
Né en 1944, Antoni Wit est l’un des chefs d’orchestre les plus réputés de Pologne, reconnu pour son engagement indéfectible envers la musique polonaise, de Lutosławski, Szymanowski, Karłowicz et Penderecki à Górecki et Kilar. En 1971, après avoir remporté le deuxième prix du Concours international de direction d’orchestre Herbert von Karajan à Berlin, il devint assistant du mécène du concours. Sa brillante carrière de chef d’orchestre l’a amené à diriger les plus grands orchestres polonais et à se produire régulièrement comme chef invité en Europe, en Amérique et en Asie. Musicien prolifique, il a enregistré plus de deux cents disques pour EMI, Sony et Naxos, recevant le prix EMI de l’Année, un Diapason d’Or, un Midem Classique, sept nominations aux Grammy Awards et un Grammy Award.
Sa carrière devenue internationale, Antoni Wit collabore avec l’Orchestre philharmonique de Berlin, la Staatskapelle de Dresde, l’Académie Sainte-Cécile de Rome, l’Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg, l’Orchestre symphonique de Montréal, l’Orchestre philharmonique de Chine, l’Orchestre de Cleveland, le Royal Philharmonic Orchestra et le BBC Symphony Orchestra. Antoni Wit a également enseigné et est professeur. Parmi ses élèves figurent Krzysztof Urbański, Michał Dworzyński, Rafał Janiak et Dawid Runtz. L’artiste est professeur honoraire à l’université Keimyung (Corée du Sud). C’est donc bien une pointure qui honore ce concert, à la tête des musiciens de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse et des futurs musiciens. En France, il a été fait Légion d’honneur en 2015.

Orchestre national du Capitole © Pierre Beteille
Prélude de l’Acte 1 de Lohengrin
Lohengrin est un opéra romantique en trois actes, sur un poème et une musique de Richard Wagner créé le 28 août 1850 au Hoftheater de la République de Weimar sous la direction de Franz Liszt. « Je me souviens que, dès les premières mesures, je subis une des impressions heureuses que presque tous les hommes imaginatifs ont connues par le rêve, dans le sommeil » écrit Charles Baudelaire à propos de ce Prélude. « Je me sentis délivré des liens de pesanteur, et je retrouvai par le souvenir l’extraordinaire volupté qui circule dans les lieux hauts. Ensuite, je me peignis involontairement l’état délicieux d’un homme en proie à une grande rêverie dans une solitude absolue mais une solitude avec un immense horizon et une large lumière diffuse ; l’immensité sans autre décor qu’elle-même. Bientôt, j’éprouvai la sensation d’une clarté plus vive, d’une intensité de lumière croissant avec une telle rapidité, que les nuances fournies par le dictionnaire ne suffiraient pas à exprimer ce surcroît toujours renaissant d’ardeur et de blancheur. Alors je conçus pleinement l’idée d’une âme se mouvant dans un milieu lumineux, d’une extase faite de volupté et de connaissance, et planant au-dessus et bien loin du monde naturel. » Une page inhabituelle, ce prélude se distingue de l’Ouverture traditionnelle par un départ pianissimo par les cordes seules dans une tessiture aigüe, enflement graduel du discours jusqu’au tutti orchestral fortissimo puis retour progressif vers la texture des mesures initiales.

Anton Bruckner
Anton Bruckner, ou l’ascension opiniâtre du petit maître d’école jusque vers les plus hautes destinées grâce à une foi indéfectible dans la musique et une probité absolue à l’égard de son art. Ou quand les flèches de ses cathédrales sonores se fondent dans le ciel.
Anton Bruckner et la Septième
Quelques mots sur le “monument“ que constitue la Septième toujours aujourd’hui la plus prisée des salles de concert, avec la Quatrième. Une place d’honneur qui s’explique par le parfait équilibre architectural de l’œuvre et la beauté de ses thèmes d’une étonnante richesse harmonique qui permettent aux interprètes d’en donner les lectures les plus contrastées et personnelles. Elle possède les quatre mouvements habituels mais les durées moyennes de chacun sont très inégales. Des durées qui peuvent aussi grandement varier en fonction de l’interprétation.
Symphonie n° 7 en mi majeur Édition Novak
I – Allegro moderato
II – Adagio : Sehr feierlich und sehr langsam, « d’une très lente solennité »
III – Scherzo : Sehr schnell « très rapide » – Trio : Etwas langsamer « un peu plus lent »
IV – Finale : Bewegt, doch nicht zu schnell « mouvementé, mais pas trop rapide »
La durée totale peut varier entre 60 à 70 minutes. Le plus court, environ dix minutes est le Scherzo. Le premier Allegro, c’est parti pour 20. L’Adagio peut aller de 20 à 25 et le dernier, le Finale, de 12 à 15.
L’effectif orchestral est assez impressionnant avec tous les bois ou vents par deux, les quatre pupitres de cordes bien sûr mais très fournis, trombones et trompettes par trois mais surtout 4 ou 8 cors ou plutôt 4 cors et 4 tubas wagnériens (2 tubas ténors, 2 tubas basses) et un tuba contrebasse (le tuba normal), puis timbales, cymbales, triangle.

La cathédrale en hiver 1821 – Ernst Ferdinand Oehme
Problème un brin épineux, les symphonies de Bruckner ont subi beaucoup de corrections, et remaniements divers, mais la Septième a l’avantage de n’avoir subi que très peu de révisions, qui de plus, ne remettent pas en cause la structure globale de l’œuvre. C’est la seule pratiquement inchangée après son achèvement énoncé et sa création.
Plongeons-nous un peu dans la période de la création. La première eut lieu le 30 décembre 1884 à Leipzig sous la baguette du très wagnérien chef d’orchestre Arthur Nikisch, et ce fut un triomphe, le plus grand succès d’un compositeur alors âgé de soixante ans. La Septième était dédiée à Louis II de Bavière, en hommage admiratif au souverain qui avait soutenu Richard Wagner, son Dieu musical. A. Bruckner était encore sous le choc de la première de Parsifal, donnée à Bayreuth, en 1882. Quelques mois plus tard, il se recueillait sur la tombe du “roi Richard“, lui dédiant l’Adagio de sa nouvelle Symphonie…Toutefois, les liens entre les deux musiciens s’arrêtent ici : le mysticisme de Wagner n’a rien de comparable avec la spiritualité de Bruckner.
À l’écoute, vous remarquerez les phrases brucknériennes et leurs contours extrêmement sinueux, avec des méandres imprévus. L’orchestre apparaît en plans sonores, les groupes se succédant sans transition. Le pittoresque et l’anecdotique restent discrets et n’entravent en rien la facilité d’écoute de ces monumentales partitions. Le “paysan d’Ansfelden“ ignore le clinquant et le tapage. Son romantisme est bien là, mais s’il est si extériorisé chez Felix Mendelssohn, il reste ici, ô combien intériorisé.
Et vous saurez vous éloigner de ceux qui veulent à tout prix souiller la musique du bâtisseur de cathédrales sonores intemporelles parce que les nationaux-socialistes ont voulu en faire, bien malgré lui, c’est sûr, le chantre de leur règne millénaire. La musique du « Ménestrel de Dieu » est à l’opposé d’une vision du monde totalitaire, réductrice, avilissante. Elle est loin de toute violence, à mille lieues du culte de la puissance. Elle est profondément mélancolique, elle pleure le paradis perdu, elle cherche plutôt et arrive à évoquer comme nulle autre l’apaisement dans la nature, dans la nature maternelle. En ce sens-là, elle est profondément religieuse et nous fait entendre l’essentiel. Dans une actualité si perturbée et interrogative, c’est le moins qu’on puisse dire, la musique de Bruckner chante avec une force aux limites du soutenable la tristesse de l’homme moderne face à sa solitude dans un monde que Dieu s’apprête à quitter, et sa soif d’une rédemption désormais impossible.
« J’ai mis longtemps, non seulement pour reconnaître les arcs grandioses de l’architecture des œuvres de Bruckner, mais aussi pour arriver à les interpréter. Ce qui m’émeut d’une manière presque “irréelle” c’est le reflet d’un ordre cosmique. » Günter Wand (1912-2002), immense chef d’orchestre

Statue d’Anton Bruckner à Vienne – photo de Bella47 (Wikimedia)
Par cette plénitude toute particulière qui vous saisit dès les premières mesures, cette Septième à l’éclat inimitable est la première à avoir suscité d’emblée l’adhésion universelle. Elle passe aux yeux de beaucoup pour l’expression la plus accomplie de l’art du compositeur autrichien. Elle est en son entier d’une inspiration heureuse, réjouissante même. Équilibre de bout en bout, ampleur encore jamais atteinte des périodes {et que l’on espère respectées !!}, l’impérieuse nécessité de l’expression qui ne doit pas faillir une seule mesure, la plénitude épanouie et radieuse des motifs, {vous devez vous sentir en élévation…} et ressentir, finalement, la simplicité et l’homogénéité de toutes les structures. Elle est d’une étonnante richesse harmonique. On espère la présence des quatre tuben wagnériens qui ne sont pas sans effet. Car, au bilan, cette musique est à l’opposé d’une vision du monde totalitaire, réductrice, avilissante. Elle est loin de toute violence, à mille lieues du culte de la puissance. Profondément mélancolique, elle semble pleurer le paradis perdu. Finalement, elle cherche et arrive à évoquer comme nulle autre, l’apaisement dans la nature, la nature maternelle. Une âme qui aspire à un seul but : l’édification de cette gigantesque cathédrale symphonique qui, à la fois chante Dieu et pleure son absence, chante avec une force aux limites du soutenable la tristesse de l’homme moderne face à sa solitude dans un monde que Dieu s’apprête à quitter, et sa soif d’une rédemption désormais impossible. À réfléchir, c’est l’évidence.
Et vous saurez vous éloigner de ceux qui veulent à tout prix souiller la musique du bâtisseur de cathédrales sonores intemporelles parce que les nationaux-socialistes ont voulu en faire, bien malgré lui, c’est sûr, le chantre de leur règne millénaire. La musique du « Ménestrel de Dieu » est à l’opposé d’une vision du monde totalitaire, réductrice, avilissante. Elle est loin de toute violence, à mille lieues du culte de la puissance. Elle est profondément mélancolique, elle pleure le paradis perdu, elle cherche plutôt et arrive à évoquer comme nulle autre l’apaisement dans la nature, dans la nature maternelle. En ce sens-là, elle est profondément religieuse et nous fait entendre l’essentiel. Dans une actualité si perturbée et interrogative, c’est le moins qu’on puisse dire, la musique de Bruckner chante avec une force aux limites du soutenable la tristesse de l’homme moderne face à sa solitude dans un monde que Dieu s’apprête à quitter, et sa soif d’une rédemption désormais impossible.
Un concert symphonique gratuit sur réservation pour les étudiants.

