Rare sur l’estrade à la Halle, Jonathan Nott dirige ce concert du jeudi 9 octobre à 20h. Les musiciens de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse ouvrent avec une œuvre de Pierre Boulez, Notation I-IV pour grand orchestre. Pour suivre, la Symphonie espagnole d’Édouard Lalo, une symphonie dite pour violon principal qui aura pour soliste Letitia Moreno. Le concert se poursuit avec Maurice Ravel dans ses Valses nobles et sentimentales pour clore par son autre pièce fétiche La Valse. Une superbe affiche de concert, c’est le moins que l’on puisse dire.

Jonathan Nott / Wikipedia
Le chef britannique Jonathan Nott n’est pas un inconnu pour quiconque est quelque peu assidu aux chaînes Mezzo car nombre de concerts qu’il a pu diriger à la tête depuis 2017 de son Orchestre de la Suisse Romande y sont retransmis. Orchestre qui verra sa fin de contrat en 2026. Jonathan Nott quittera Genève pour Barcelone puisqu’il sera le nouveau directeur musical du Grand Théâtre du Liceu à partir de la saison 2026/2027, pour une durée de cinq saisons. Un coup d’œil sur sa biographie suffit pour noter qu’il a dirigé les plus belles phalanges orchestrales, dans les salles les plus réputées et qu’il est aussi friand des œuvres tout à fait contemporaines que l’on retrouve dans son gigantesque répertoire.

Léticia Moreno © Omar Ayyashi
« Interprétation fougueuse, lyrisme et expressivité exaltés. Puissance, virtuosité et brillance captivantes, » voilà en quelques mots résumées les qualités de la violoniste Letitia Moreno, née à Madrid, en sachant que les plus grands orchestres l’ont déjà accueillie, les plus grands chefs, dirigée, et qu’elle est aussi recherchée en tant que récitaliste et pour faire de la musique de chambre.

Orchestre national du Capitole © Pierre Beteille
Et si nous évoquions cette fameuse Valse ?
Cette partition de Maurice Ravel est largement connue du public en tant qu’œuvre orchestrale. C’est même un “tube“ de notoriété moindre que le Boléro mais très appréciée et courue. Ce que l’on sait moins, c’est qu’elle n’a pas le parcours traditionnel puisqu’elle fut d’abord écrite pour un seul piano puis la version pour deux pianos suivit assez rapidement. Et enfin, la version orchestrale. Laissons parler le compositeur : « J’ai conçu cette œuvre comme une espèce d’apothéose de la valse viennoise (projet1906) à laquelle se mêle, dans mon esprit, l’impression d’un tournoiement fantastique et fatal (vision de 1919). Je situe cette valse dans le cadre d’un palais impérial, environ 1855. »
Sans épiloguer sur le 1855, on en arrive à l’argument publié en 1921 avec la partition de ce poème symphonique pour orchestre, avec pour seule précision rythmique « mouvement de valse viennoise » : « Des nuées tourbillonnantes laissent entrevoir par éclaircies des couples de valseurs. Elles se dissipent peu à peu : on distingue une immense salle peuplée d’une foule tournoyante. La scène s’éclaire progressivement. La lumière des lustres éclate au fortissimo. Une cour impériale vers 1855. »
On sait que le premier titre avait été Wien. Retiré dans les Cévennes, il réélabore la version pour deux pianos puis, passant de 20 pages à 76, il termine la partition pour orchestre en 1920. La création privée de La Valse aura lieu semble-t-il le 16 avril 1920, en version deux pianos pour plus d’efficacité !! Ravel et Marcelle Meyer, en présence de Diaghilev, car l’œuvre au départ est destinée à la création d’un ballet par l’illustre chorégraphe russe, qui n’adhèrera pas à la composition. Stravinsky est aussi présent.
Sept thèmes s’enchaînent dans un rythme imperturbable à ¾. Elle est en deux parties allant crescendo. La création de la version définitive, orchestrée, eut lieu aux Concerts Lamoureux le 12 décembre 1920. Il n’est pas inintéressant de rapprocher cette création de celle 8 jours auparavant de La Ville morte de Korngold, et on ne saurait méconnaître que La Valse rejoint inconsciemment les tendances les plus virulentes de l’Art et notamment de l’expressionnisme germanique. On est loin des valses de l’époque “straussienne“ et davantage dans l’expression du refus des horreurs de la guerre, tout comme l’horreur invaincue de sa propre solitude, et toujours dans son esprit même trois ans après, la mort stérilisante de sa mère.

Édouard Lalo
Quant à la Symphonie espagnole d’Édouard Lalo, lointain descendant d’une famille espagnole, émigrée en Flandre au XVIè siècle, né à Lille, sa création eut lieu le 7 février 1875 par Pablo de Sarasate aux Concerts populaires à Paris, 24 heures avant celle de Carmen de Georges Bizet. Sa découverte par Tchaïkovski en 1878, au repos au bord du Lac Léman, grâce au jeun Kotek, ancien élève, l’enthousiasma. Il le fera savoir derechef à sa mécène Nadezhda von Meck. Ce sera aussi un élément déclencheur dans l’écriture de son unique concerto pour violon en 1879.
« Cette pièce a été popularisée par Pablo de Sarasate, un violoniste virtuose à la mode. Elle est écrite pour violon et orchestre et consiste en cinq mouvements séparés, basés sur des motifs populaires espagnols. Cette œuvre m’a beaucoup plu. Beaucoup de fraîcheur, des rythmes piquants, de belles mélodies remarquablement harmonisées. Elle s’apparente beaucoup aux autres œuvres que je connais de l’école française à laquelle appartient Lalo. De même que Léo Delibes et Georges Bizet, il ne recherche pas la profondeur, mais il évite soigneusement la routine, cherche des formes nouvelles et se soucie davantage de la beauté musicale que de l’observation des règles établies, contrairement aux allemands…… ». P. I. Tchaïkovski
Signalons que les thèmes, en effet toujours d’allure populaire – le but étant de créer une couleur locale, pas une œuvre typiquement espagnole – et pas question de la confondre avec les concertos de Brahms et Tchaïkovski : « il faut colorer sans barioler, garder des pieds ailés sans donner dans la musique légère. » Ces thèmes révèlent un compositeur possédant une connaissance parfaite du violon, si bien qu’il ne faut pas s’attendre à moult acrobaties dans les traits de virtuosité qui découlent de ces thèmes. Ainsi l’équilibre est-il pleinement réalisé entre le soliste et l’orchestre tout au long de : I. Allegro non troppo – II. Scherzando-Allegro molto – III. Intermezzo-Allegro non troppo – IV. Andante et enfin V. Rondo-Allegro.

Pierre Boulez en 1968 par Joost Evers / Wikimedia
Notations I-IV de Pierre Boulez est une œuvre pour grand orchestre, composée en 1980, d’une durée de huit minutes environ, courte mais à l’effectif orchestral impressionnant puisque 70 cordes affrontent 17 vents, 15 cuivres, 8 percussionnistes, 3 harpes, piano et célesta ! Elle fut créée le 18 juin 1980 à Paris, Salle Pleyel par l’Orchestre de Paris dirigé par Daniel Barenboïm.
Les quatre pièces qui constituent l’œuvre, c’est le premier recueil réalisé d’un ensemble qui aurait dû en compter douze puisqu’elles ont pour origine les Notations pour piano, composée en 1945, soit, pendant ses études au Conservatoire dans la classe d’…Olivier Messien. Brièveté des pièces contrastant avec un tel effectif orchestral, on devine leur écriture extrêmement fouillée, et le travail du chef ! Observez les dimensions de la partition, si le chef ne fait pas sans, sur le pupitre, comme à son habitude !
Modéré-Fantasque
Rythmique
Modéré
Très vif-stridents

Maurice Ravel en 1925 / Bibliothèque nationale de France
Avec l’œuvre qui suit, quel contraste ! les Valses nobles et sentimentales constituent une œuvre importante pour piano de Maurice Ravel mais la version pour orchestre a gagné tous les suffrages aussi. Datées de 1911, la première audition fut donnée…anonymement et le public fut invité à en deviner l’auteur. Avec son lot de propositions incongrues et bien peu y virent “la pâte“ du compositeur de Ciboure. Il avait placé en tête de la partition, une phrase du poète Henri de Régnier : « Le plaisir délicieux et toujours nouveau d’une occupation inutile. » qui traduit bien l’esprit de ces sept valses et de l’épilogue, paraissant simples mais qui, en fait, constituent la somme de l’écriture subtile et raffinée de Ravel. Debussy écrira : « C’est l’oreille la plus fine qui ait jamais existé. » Extrêmement différentes dans leur expression, elles alternent entre la langueur, l’ironie et la rigueur jusqu’à ce que l’épilogue les rassemble dans un pianissimo désolé, qui pourrait rendre tout applaudissement incongru…
Sur une durée de moins d’un quart d’heure :
I. Modéré II. Assez lent III. Modéré IV. Assez animé V. Presque lent VI. Assez vif VII. Moins vif VIII. Épilogue : Lent
Orchestre national du Capitole