« Pour être classées par l’Unesco, les « forteresses royales du Languedoc » ne s’appellent plus « châteaux cathares » titrait un article du journal le Monde en date du 5 août 2025: il s’agit d’un projet proposé par un pays – la France – et par le Conseil départemental de l’Aude, à une organisation internationale – l’UNESCO – pour la candidature des Forteresses royales du Languedoc, et non des « châteaux cathares » qui ont été rasés pour laisser place à celles-ci.
Même si la mise en avant de ces symboles d’un pouvoir centralisateur, ces « forteresses royales du Languedoc », peut blesser une sensibilité occitane toujours bien vivante, même s’ils évoquent une époque très douloureuse de notre Histoire régionale.
J’ai un petit pincement de cœur tant j’aime cette région appelée « Pays Cathare » (nonobstant le fait que cette appellation à été mise à toutes les sauces) et que le livre magnifique de Michel ROQUEBERT et Christian SOULA aux Éditions Privat, « Les citadelles du vertige« est l’un de mes livres de chevet.
En tant qu’ancien élève de l’École des Chartes, je me rappelle avec émotion de Maître Paul LABAL, notre professeur d’Histoire ancienne, nous apprenant (pour la première fois dans ma scolarité), que « Contrairement à la doctrine catholique, les religieux cathares considéraient qu’il existait deux principes supérieurs, actifs et puissants chacun dans leur « domaine », le bon (Dieu) dans la sphère céleste qu’ils aspiraient à rejoindre par une vie exemplaire et le mauvais (Satan), le monde où ils vivaient. »
Et que « Quand le pape Innocent III a demandé à Philippe II dit Auguste de prendre la tête de la Croisade contre les Albigeois, tout en laissant le butin à son Légat Arnaud Amaury, un moine soldat, le roi s’y est refusé: il estimait que la décision de confisquer les fiefs d’un seigneur vassal soutien de l’hérésie n’appartenait qu’à son suzerain, en l’occurrence lui-même; c’est l’un de ses baronnets, Simon de Monfort, qui s’en est chargé. Avec une cruauté sadique qui est devenue proverbiale. »
Grand zélateur de l’esprit des Lumières et de la création d’une nation française enrichie par ses particularités régionales, notre professeur maintenait qu’il ne faut pas nier, ni occulter l’apport de la part occitane à l’unité culturelle française, et en particulier ce qu’a révélé la Croisade des Albigeois, non seulement l’intolérance religieuse et la résistance à l’oppression, mais aussi l’existence de ce que l’on a pu appeler la « civilisation des Troubadours », qui m’a depuis fasciné.
Je me suis donc précipité à la Bibliothèque d’Études du Patrimoine, rue du Périgord à Toulouse, pour me plonger dans les ouvrages de René NELLI, Anne BRENON et Michel ROQUEBERT, des auteurs méridionaux qui ont travaillé d’arrache-pied sur des sources contemporaines des événements.
J’ai découvert un peu plus tard une adaptation en français par Henri GOUGAUD de La Chanson de la croisade albigeoise qui se présente comme une longue chronique, un poème manuscrit de 9578 vers, écrit à l’époque en langue d’Oc, narrant le conflit militaire, qui relevait du genre épique de la Chanson de Geste.
conservé à la Bibliothèque nationale de France
Dès qu’il faisait beau, je prenais mon sac à dos et j’allais dormir à la belle étoile dans les ruines des fameux « châteaux cathares », de Peyrepertuse, Quéribus, Lastours, Puilaurens, Montségur. A la fin des années 60 du siècle dernier, l’accès en était encore libre et je ne croisais que des randonneurs passionnés, il n’y avait pas de guérite pour faire payer un droit d’entrée.

Château de Montségur par Dronehyven — Travail personnel
Et surtout à Puivert, en haut de la haute tour carrée, dans la Salle des Musiciens représentés avec leurs instruments (la cornemuse, la vièle, la guiterne, le tambourin à flûte, le luth, le psaltérion, le rebec et l’orgue portatif) sur les culs-de-lampe des croisées d’ogive, où se tenaient des Cours d’Amour.

Château de Puivert par Bridom — Travail personnel
On dit qu’Aliénor d’Aquitaine, cette grande Dame, femme politique remarquable mais aussi érudite versée dans la poésie, aurait honoré l’une d’elles de sa présence.

Aliénor d’Aquitaine
Bercé par le Vent des Monts d’Olmes, j’ai commencé à écrire Le Chant des Brûlés, Lo Cant dels Cremats, où je racontais la Croisade des Albigeois par la bouche d’un Troubadour contemporain des événements. Ce long poème est devenu un concert poétique avec mes ami.e.s Christophe DESLIGNES (organetto (1), flute (2), Eva FOGELGESANG (chant, harpe médiévale, rebec (3) et Caroline DUFAU du groupe Cocanha (4), (récitatif et chant occitan, tun-tun (5), de merveilleux musiciens.
Alors qu’aujourd’hui circule la théorie d’une prétendue « ‘invention du Catharisme par des clercs romains », des historiens du monde entier, ayant travaillé sur ces évènements historiques, l’ont confirmé depuis longtemps: il y a bien eu au XIIIème siècle dans les territoires de langue d’Oc des dissidents, chrétiens mais non catholiques, il y a bien eu des procès pour hérésie et il y a bien eu une répression terrible par l’Inquisition (tortures, bûchers…). C’étaient bien des personnes réelles, absolument pas « inventées », se battant pour la liberté de conscience qu’il s’agissait; et qui ont payé le prix fort.
J’ai bien compris à cette époque que je n’aurais pu être un Cathare, un Parfait, que je n’aurai pas supporté leur discipline, ni le jeune (!), ni l’abstinence (!). Et qu’il n’y a pas besoin d’être croyant en un autre monde pour se rendre compte que celui où nous vivons est souvent le royaume du Diable, que le seul moyen de s’en évader, c’est d’avoir la tête dans les étoiles.
Mais je crois toujours que tout le monde a droit à sa différence, qu’elle soit religieuse, sexuelle ou sociale. Qu’on ne pourchasse pas les gens, de quelque origine que ce soit, qu’on ne les torture pas, qu’on ne les viole pas, qu’on ne les brûle pas, qu’on ne les spolie pas de leurs biens, sous le prétexte fallacieux de celle-ci. Que la différence et le partage enrichissent. Et que la résistance à l’oppression est un devoir, à quelque époque que ce soit.
D’autre part, je me suis persuadé que si j’avais vécu au XIIème siècle, j’aurais voulu être un troubadour, héraut d’une Poésie et d’une Musique sans frontières, amoureux des belles Dames, chantre d’une société plus juste et plus tolérante. C’est pour cela que je suis aujourd’hui, 55 ans plus tard, un jongleur de mots, un saltimbanque, un colporteur ambulant de rimes et de chansons.
Mes chers, nos chers « châteaux cathares », vont-ils être relégués dans les oubliettes de l’Histoire ?
En tout cas, je suis sûr qu’ils survivront dans l’Imaginaire, et pas seulement dans celui des gens d’Occitanie, cette si belle région à laquelle j’ai déclaré ma flamme il y a plus de 50 ans:
Occitanie, ma doulce amie-Occitania, doça amiga meuna
(E.FABRE-MAIGNÉ/Christophe DESLIGNES + Nota sebissa (MARCABRU circa 1110-1150)
Pour ceux de nos lecteurs intéressés par le sujet, il y aura un colloque à Mazamet les 5 et 6 septembre, organisé par le Collectif International de Recherche sur le Catharisme Et les Dissidences (CIRCAED) d’Anne Brenon, sur le thème Portraits de l’hérésie: les dissidences médiévales vues par les sources polémiques et inquisitoriales, avec la participation de chercheurs universitaires des Universités de Toulouse, Aix-Marseille, Lodz (Pologne), Pardubice ou encore Brno (République Tchèque).
> https://circaed-heresis.com/
> Colloque International sur le Catharisme
Le mercredi 24 septembre à 18h, Arnaud FOSSIER, historien médiéviste enseignant à l’Université de Bourgogne, présentera à la Librairie Ombres Blanches (3 rue Mirepoix) son nouvel ouvrage: Les Cathares, ennemis de l’intérieur (La Fabrique Éditions)
Il existe une association d’Études du Catharisme, tout ce qu’il y a de plus sérieux:
Adresse postale : AEC – Maison des Mémoires 53 rue de Verdun, 11000 Carcassonne – e-mail : aec.nelli@gmail.com – Tél. : 09 52 83 18 73
Pour en savoir plus :
1) organetto, orgue portatif médiéval :
4) Cocanha
5) tun-tun: tambourin à cordes pyrénéen :
Bibliographie succincte :
Anne BRENON: Les Cathares (Albin Michel Spiritualités vivantes 2007) etc. etc.
Jean DUVERNOY: Le registre d’inquisition de Jacques FOURNIER (1965 (transcription latine) et 1968 (traduction) – Éditions Privat (Toulouse) – ré-édition 2006) etc.
Zoé OLDENBOURG: Le bûcher de Montségur (Gallimard 1989)
René NELLI: L’érotique des Troubadours (Hachette 1979) etc. etc.
Henri GOUGAUD: Poésie des troubadours (Points), La Chanson de la croisade albigeoise (Le Livre de poche)
Pierre BEC: Nouvelle anthologie de la lyrique occitane du Moyen-Âge (Classiques d’Oc), Chants d’amour des femmes-troubadours: trobairitz et chansons de femme (Paris: Stock, 1995) etc.
Michel ROQUEBERT et Christian SOULA: Les citadelles du vertige (Privat 1995), « Cathares, encyclopédie d’une résistance occitane », avec Patrice TEISSEIRE-DUFOUR (Éditions Privat) etc.
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