Tarmo Peltokoski, notre jeune et tout récent Directeur musical à part entière de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse est un grand amateur de défis, assurément. Il a décidé de faire une ouverture de saison à la Halle aux grains en choisissant une partition majeure, et pas des moindres, celle de ce monument de musique du XXè siècle que constitue la Turangalîla-Symphonie pour piano solo, ondes Martenot et grand orchestre d’Olivier Messiaen, cette « symphonie fantastique » de notre époque avec sa musique au lyrisme torrentiel et aux rythmes impérieux. C’est pour le samedi 27 septembre. Pour ce faire, il est accompagné par le pianiste Bertrand Chamayou et à l’instrument dit Ondes Martenot par la musicienne Cécile Lartigau. Les spécialisations instrumentales de cette dernière la font rayonner dans le monde entier. C’est une soirée-événement à tous points de vue.

Tarmo Peltokoski © Romain Alcaraz
Au lendemain de la création à Paris, un poète-musicien “ s’écriait “ : « Cette musique s’étend, coule, rebondit, se rue en rapides ou se précipite en cascades comme les fleuves immenses de là-bas (…). La Turangalîla-Symphonie me prend, me capte, me bouleverse, me soulève. Et pourquoi donc ne le dirais-je pas ? C’est un chef-d’œuvre. » C’est une énorme fresque en dix volets, un inépuisable roman en dix chapitres, constituant un peu le décalogue de son auteur. Les territoires découverts sont immenses et il faudrait un livre de La Pléiade pour en révéler la topographie ! Fourmillante d’idées, de thèmes, de rythmes et de structures, l’œuvre se présente bien comme un résumé de toute la pensée de Messiaen. Mais dans un souci d’authenticité permanente qu’il revendique. Ne dit-il pas : « …l’émotion, la sincérité d’abord, mais transmise à l’auditeur par des moyens sûrs et clairs. », ou encore : « Je crois à l’inspiration (et) ne puis rien écrire que je ne l’aie vécu. »

Olivier Messiaen – Photo Rob C / Wikimedia Commons
Parlons un peu du compositeur. Né à Avignon le 10 décembre 1908 – il aura 117ans en cette fin d’année– disparu le 28 avril 1992 à l’âge de 83 ans, travaillant seul à six ans, le piano et la composition, doué d’une extraordinaire acuité auditive, Olivier Messiaen, le musicien religieux (dixit lui-même…), rythmicien d’abord, compositeur ensuite, apparaît dans l’histoire de la musique comme un géant du siècle passé, accumulant les paradoxes au cours d’une vie toute simple, studieuse, entre son orgue, son piano, sa classe d’élèves turbulents (Boulez, Xenakis, Stockhausen, Pierre Henry…), sa table de travail, ses voyages, et son « musée imaginaire de chants d’oiseaux ». En effet, il aura consacré une part essentielle de son activité à l’étude des chants d’oiseaux, agissant à la fois en tant qu’ornithologue, poète et compositeur. Le musicien disait retrouver dans la gent ailée un symbole de liberté au-delà des ressources musicales qu’elles lui révélaient.
Féru de gammes et de rythmes hindous, attentif également aux manifestations les plus spontanées de toute musique dite exotique, des gamelans balinais aux bols chantants en passant par les oiseaux de l’Extrême-Orient, Olivier Messiaen nous livre la plus monumentale des symphonies françaises, près de quatre-vingts minutes en dix mouvements, la Turangalîla-Symphonie, dans laquelle on retrouve le piano, instrument qui, avec l’orgue, fut toujours au centre de ses préoccupations. Deux ans de travail pour une création à Boston le 2 décembre 1949 par le jeune chef d’orchestre Leonard Bernstein dirigeant l’Orchestre Symphonique de Boston. Les deux solistes sont alors, au piano, Yvonne Loriod, et aux ondes Martenot, Ginette Martenot. Accueil triomphal. Boston, tout simplement car l’œuvre est une commande de Serge Koussevitski, chef de son orchestre de la ville, et ce, en 1945. Compositeur peu connu encore mais pour lequel le chef semblait avoir ressenti beaucoup d’affinités, lui ayant simplement dit : « Faites-moi l’œuvre que vous voulez, dans le style que vous voulez, de la durée que vous voulez, avec la formation instrumentale que vous voulez, et je ne vous impose aucun délai pour me remettre votre travail… » Décédé auparavant, il n’assistera pas à sa création.
Création en France au Festival d’Aix-en-Provence le 25 juillet 1950. Les avis seront plus partagés, et certains esprits dits éclairés auront une digestion de l’ouvrage plus délicate comme un Francis Poulenc, Pierre Boulez évidemment, ou des critiques comme Jacques Longchamp. Un autre résumera fort bien l’accueil. Il fut chaleureux de la part du public, immédiat, à peu près inversement proportionnel avec celui des connaisseurs, critiques et compositeurs. Jalousie ? vacuité ? suffisance ?

Bertrand Chamayou © Marco Borggreve
« Tourângheulî-lâ » vous dira Messiaen, (avec accent et prolongation du son sur les deux dernières syllabes) « Turangalîla est un mot sanscrit voulant dire tout à la fois, chant d’amour, hymne à la joie, temps, mouvement, rythme, vie et mort », nous dit Olivier Messiaen. Cette œuvre est donc un chant d’amour, un hymne à la joie, une joie surhumaine, débordante, aveuglante, démesurée. L’amour y est présentée sous le même aspect : c’est l’amour fatal, irrésistible, qui transcende tout, tel qu’il est symbolisé par le philtre de Tristan et Yseult.
Vous aurez compris, pour de tels paroxysmes, il faut une instrumentation hénaurme !!, mais des plus variées. A la fête donc, les bois, les cuivres et toutes les percussions métalliques possibles. Le plateau se doit d’être gigantesque. Celui de la Halle sera-t-il suffisant ? Heureusement les ondes Martenot sont là, cet instrument de musique électronique présenté en …1928 !! Autant dire datant de la préhistoire de l’électronique. Pourtant, il est capable par le jeu de ses sept octaves de remplacer bon nombre d’entre eux. Aux commandes, Cécile Lartigau.
Au total, l’entreprise est colossale, excitante à souhait. Sans parler de la partie piano solo qui est d’une telle importance, son exécution nécessitant une telle virtuosité que l’on va jusqu’à parler de concerto ou presque pour piano et orchestre. Le piano fut toujours au centre des préoccupations du musicien, et aura droit à des apports essentiels servis alors par une interprète exceptionnelle, son élève devenue sa deuxième femme, Yvonne Loriod. Et là, ce 27 septembre, on le sait, Bertrand Chamayou sera à son affaire ! Aucun doute à ce sujet.

Cécile Lartigau
Effectif orchestral : environ 103 exécutants pour, environ, 75 à 80 minutes
Cordes : près de 70 exécutants !
16 premiers violons, 16 seconds violons, 14 altos
12 violoncelles, 10 contrebasses,
Bois
2 flûtes, 1 piccolo, 2 hautbois, 1 cor anglais
2 clarinettes en si bémol, 1 clarinette basse en si bémol
3 bassons
Cuivres
4 cors en fa,
1 trompette en ré (pour donner du brillant à l’orchestration et ajouter un cran de plus au fortissimo),
3 trompettes en ut
1 cornet en si bémol, 3 trombones, 1 tuba
Claviers
1 jeu de timbres, célesta,
Solistes
Piano (partie importante et exigeant une réelle virtuosité, car l’œuvre est presqu’un concerto)
Ondes Martenot dont le rôle est aussi important dans certains passages paroxystiques, ou au contraire dans des passages plus doux)
Percussions – outre les claviers, il faut ici 5 exécutants pour,
triangle, temple-block, wood-block, petite cymbale turque, cymbales, cymbale chinoise, tam-tam, tambour, tambour de basque maracas, tambour provençal, caisse claire, grosse caisse, vibraphone, huit cloches tubulaires. Ici, divers instruments qu’Olivier Messiaen n’a pas utilisés uniquement dans la Turangalîla mais aussi dans les Trois petites liturgies de la Présence Divine surtout l’une la Psalmodie de l’Ubiquité par amour (créées en 1945).

Orchestre national du Capitole © Pierre Beteille
Titre des dix mouvements
Introduction (modéré, un peu vif)
Chant d’amour I (modéré, lourd)
Turangalîla I (presque lent, rêveur)
Chant d’amour II (bien modéré)
Joie du sang des étoiles (vif, passionné, avec joie)
Jardin du sommeil d’amour (très modéré, très tendre)
Turangalîla II (un peu vif – bien modéré)
Développement de l’amour (bien modéré)
Turangalîla III (bien modéré)
Final (modéré, presque vif, avec une grande joie).
Orchestre national du Capitole