Critique. Concert. 45ème Festival de La Roque d’Anthéron. Parc du château Florans, le 27 juillet 2025. Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Concerto pour piano et orchestre n°5 « l’Empereur » ; Symphonie n°3 « Héroïque ». Alexander Malofeev, piano ; Orchestre national Avignon-Provence ; Direction : Débora Waldman.
Alexander Malofeev et Débora Waldman : une osmose musicale rare.
Dès son arrivée en scène Alexander Malofeev impressionne avec une allure encore adolescente, une décontraction bonhomme et une puissance sous-jacente. Cette alliance de qualités est rare. Dans le concerto « l’Empereur » de Beethoven dès ses deux premiers traits terminés par des trilles ultrarapides le pianiste exprime une force, une puissance et une technique qui signent la prestigieuse école russe dans laquelle il a été élevé. Il ne prend pas le temps et semble pressé, faisant montre d’une virtuosité incroyable. Plus d’une aura frémit en se demandant s’il s’agissait bien du style approprié dans Beethoven. Débora Waldman dirige avec une telle précision, une telle élégance la longue partie orchestrale suivante, qu’elle nous entraine dans un autre monde.
C’est souple, précis, très nuancé et plein de couleurs. L’orchestre d’Avignon-Provence est admirable. Très agréablement vif, capable de réagir aux moindres intentions de la cheffe, on sent que la totale confiance réciproque, fruit de leur travail conjoint depuis des années, magnifie le discours musical. Alexander Malofeev tourné vers l’orchestre écoute avec intérêt et semble déguster ce discours musical si beau. Son jeu va ensuite se mettre au diapason de la délicatesse entendue et nous aurons une interprétation incroyablement belle et pleine de surprises musicales tant du côté de l’orchestre que du pianiste. Cette partition si connue nous révèle des choses nouvelles et prend une dimension plus surprenante que prévue. Ce qui est très particulier ce sont les regards lumineux et réguliers échangés entre le pianiste et la cheffe. Signalons que le podium est placé de biais afin que la cheffe et le pianiste se voient plus facilement. L’adagio con mosso est déroulé avec bonté, beauté et souplesse par Débora Waldman et son orchestre, le religieux semble s’inviter.
L’entrée magique du pianiste ouvre encore plus les portes du paradis. Sous le ciel provençal ce chant éperdu s’adresse directement au créateur. Cette beauté arracherait des larmes aux plus exigeants. Une telle interprétation fusionnelle toute de beauté, crée une émotion très particulière. Tout est magnifique, les instrumentistes de l’orchestre, le tactus souple et amoureux de la cheffe, la beauté des trilles, le chant éperdu comme les nuances incroyables de Malofeev : ce tout est véritablement renversant. Pour le final, la complicité entre la cheffe et le pianiste est prodigieuse, l’humour qu’ils mettent dans les nuances extrêmes du passage entre l’adagio et le rondo tient du miracle. Malofeev semble nous dire « je peux jouer pianissimo mais attendez voir… » Et il attaque le rondo avec une rapidité diabolique, un son plein et riche et une joie communicative. L’orchestre répond sur ce mode joyeux et ils caracolent tous avec un bonheur total. Le public semble tétanisé par cette incroyable interprétation qui semble pourtant facile et évidente. Mais bien peu de musiciens savent créer cette magie. Il faut des moyens techniques fulgurants, un amour de la musique immense et un sens du jeu peu banal. Tout vibrionne, danse, tangue. C’est une danse aussi sauvage que terriblement subtile. Ce mélange détonnant a ravi le public qui a fait un véritable triomphe aux musiciens. Alexander Malofeev visiblement ému salue avec une grâce magique et offre deux bis d’une subtilité irréelle. Un Nocturne et une Mazurka de Glinka enchantent le public. Le début du Nocturne en fa mineur vient du silence même et y retourne, la Mazurka en sol mineur a une grâce indicible. Ce jeune pianiste de 24 ans digne représentant de la superbe école russe habite en Allemagne et sa carrière est incroyablement riche. Il va sillonner le monde sur plusieurs continents et va ravir certainement le public absolument partout. Nous ne manquerons pas de le retrouver dès que possible.
Pour la deuxième partie de programme l’orchestre interprète la troisième symphonie de Beethoven celle qui a le titre d’Héroïque. La direction de Débora Waldman retrouve instantanément ses qualités rares, entendues dans le concerto. Souplesse, précision et bonheur de diriger.
Les musiciens sont à la fête et s’expriment chacun avec passion. Tout coule, avance et surprend. Des détails inconnus surgissent (la timbale) des contre chants sont plus lisibles. Les nuances très précises sont si belles qu’elles semblent naturelles alors qu’elles sont rarement si subtiles. Le premier mouvement avance avec brio dans un tempo assez rapide. Dans le deuxième mouvement la marche funèbre est également prise dans un tempo allant qui permet de belles nuances et une avancée sans lourdeurs. Le scherzo est plein d’humour et fait l’effet d’une fête. Le final fugué est construit de manière admirable et se déroule avec élégance. Ce mélange de précision et de souplesse, qualité incomparable de la cheffe sera le fil tendu de son interprétation. Donnant à cette symphonie une liberté et une modernité, loin des traditions de grandeur et de lourdeur inhérente, héritées du milieu du XXème siècle. Sans avoir recours aux instruments d’époque cette interprétation beethovenienne semble plus proche du génie de Bonn que beaucoup d’autres.
Quelle soirée magique et qui l’est restée tout du long ! Merci à La Roque d’Anthéron de créer de tels moments de bonheur musical et humain. Et d’avoir déjà invité Alexander Malofeev lorsqu’il avait 16 ans.
Écrit par Hubert Stoecklin
Photos (sauf mention particulière) : Pierre Morales

Le jeune pianiste en discussions avec l’un des accordeurs de La Roque. Après sa prestation si exceptionnelle sa simplicité est un autre enchantement ! photo:H.S.