Deux pays immenses, l’Australie et le Brésil, seront mis en avant, cet été, aux Rencontres de la photographie d’Arles. L’occasion de découvrir des dizaines d’artistes, inconnus chez nous, ayant œuvré des années 1940 à nos jours. Le festival honorera aussi des grands noms comme Nan Goldin, Louis Stettner, Todd Hido, Letizia Battaglia, Claudia Andujar…ou Yves Saint Laurent, vu par les stars Richard Avedon, William Klein, Jeanloup Sieff et bien d’autres.
Imaginées au début des années 1970 par un enfant du pays, Lucien Clergue, et une poignée d’amis, dont le Toulousain Jean Dieuzaide, les Rencontres d’Arles se sont considérablement développées depuis. En 2024, 160000 personnes – un record – ont visité la cinquantaine d’expositions proposées dans des lieux toujours aussi insolites de la petite ville camarguaise. Car un tel festival vaut autant par les images qu’il montre à profusion, que par l’ambiance régnant dans les sites retenus, sur les places et dans les rues au charme fou.
« Engagement » et « regard critique »
Le directeur des Rencontres d’Arles, Christoph Wiesner place « l’engagement » et le « regard critique » au cœur de la 56eédition, particulièrement dans l’évocation des peuples, si divers, du Brésil et de l’Australie, et la défense des combats féministes et écologiques. Ce qui ne l’empêche pas de soigner quelques sponsors privilégiés comme BMW et Louis Roederer (qui défendent la jeune photographie) ou de donner une large place au monde du luxe, Kering en l’occurrence, avec le prix « Woman in motion » décerné à Nan Goldin, dont la vie et l’œuvre sont pourtant aux antipodes, et une exposition consacrée à Yves Saint Laurent, au casting ébouriffant.

Chico Albuquerque / Convênio Museu da Imagem e do Som / Acervo Instituto Moreira Salles
Rayon découvertes, deux grandes expositions sont très attendues, celles consacrées à l’Australie et au Brésil. « On country : photographie d’Australie » permet à une grande sélection d’artistes contemporains de raconter leur vision d’une histoire des peuples premiers cruellement confrontés à deux siècles de colonialisme. En ressort une image forte, celle d’un adolescent aborigène en superhéros de fortune, signée du trio Tony Albert-David Charles Collins-Kieran Lawson, choisie pour figurer sur l’affiche et le catalogue des Rencontres.
Dans le cadre de la Saison France-Brésil 2025, ce vaste pays est plusieurs fois présent à Arles. « Futurs ancestraux » a pour but de nous montrer à quel point est dynamique la scène contemporaine brésilienne. « A la place des autres », est une rétrospective consacrée au travail militant de Claudia Andujar, 94 ans, connue pour son immersion chez les indiens Yanomami, dans les années 1960 et 1970. Quant à l’exposition « Construction, déconstruction, reconstruction », elle explore un continent pour nous totalement inconnu, celui de la photographie moderniste brésilienne, active de 1939 à 1964.
Nan Goldin en vedette
Festival innovant à la curiosité toujours très vive, les Rencontres nous offrent aussi chaque année quelques moments de retrouvailles avec des artistes très connus. C’est donc le cas de Nan Goldin, qui a fait de sa propre jeunesse, marquée par la violence et la drogue, une odyssée intime bouleversante. L’Américaine née en 1953 présentera à Arles ses derniers travaux sous le titre « Syndrome de Stendhal ». Elle y fait dialoguer dans des diptyques des photographies d’amis et d’œuvres de peintres et sculpteurs classiques. Ses années 1970 et 1980, la Sicilienne Letizia Battaglia (1935-2022) les a aussi vécues dans la violence, celle de la mafia, qu’elle a combattue farouchement en la photographiant. Une rétrospective lui est consacrée, montrant l’étendue de son œuvre.
Né en 1968, l’Américain Todd Hido s’est fait une spécialité de paysages à la fois fantomatiques et cinématographiques. Dans « Les présages d’une lueur intérieure », il les confronte aujourd’hui à des collages de vieilles photos de famille.
Actes Sud, numéro un de l’édition photo
Les Rencontres d’Arles sont, avec Paris Photo en novembre, l’occasion pour les éditeurs spécialisés dans la photographie de montrer leur dynamisme. Leader de ce marché de passionnés, la maison arlésienne Actes Sud est historiquement très attachée au festival. Elle en publie le catalogue depuis longtemps, mine de renseignements permettant de faire son choix dans le foisonnement des expositions. Le livre est à la fois pédagogique (brèves présentations claires) et visuellement excitant (choix d’images impeccable). Il a aussi le mérite d’être très démocratique, chaque exposition ayant une présentation similaire, qu’il s’agisse des vedettes ou des inconnus, dans un panorama unique de la création contemporaine mondiale (460 pages, 48 euros).

Elizabeth Lennard en 1973. Photo Erica Lennard
Parmi les publications de cette année d’Actes Sud, on retiendra « Avec toi et seule », dans lequel l’Américaine Erica Lennard, née en 1950, revient sur sa tendre complicité de jeunesse avec sa sœur Elizabeth. Cette dernière pose, souvent nue, pour Erica. L’une photographie, optant pour un noir et blanc soyeux, l’autre se livre dans ses poèmes. « Nu sans effroi, fier et sans nom. Torse cambré parfait (…) Beauté à vous affrontée », écrit-elle par exemple. Ce dialogue donnera lieu, en 1976, à une exposition chez Agathe Gaillard (1), à Paris, et à un livre, « Les femmes, les sœurs », aux Editions des Femmes. Un texte de Clara Bouveresse, complété par des archives, raconte l’importance de l’ouvrage initial et ce qu’il exprime d’une époque. Il donne aussi à voir quelques beaux portraits réalisés dans les années 1970, d’inconnues et de comédiennes emblématiques : Jeanne Moreau, Delphine Seyrig, Charlotte Rampling… Beau travail de mémoire sous une couverture d’un bleu caressant (160 p., 32 euros).

Le quotidien du métro new-yorkais dans les années 1940 et 1950. Photo Louis Stettner
Actes Sud et la photographie, c’est aussi la collection « Photo Poche ». L’exposition consacrée à Louis Stettner (1922-2016), à Arles, est l’occasion d’une nouvelle édition, différente (changement d’introduction et de choix des images) du volume qui lui avait été consacré en 1998. Le photographe, qui vécut entre New York et Paris, est surtout connu pour une image déclinée en posters et cartes postales, celle d’un homme, assis, bras écartés, prenant le soleil à Brooklyn, face à Manhattan, en 1954. Ses portraits de passagers du métro, à New York, en 1946 et en 1956, sont tout aussi saisissants. Tout comme ce duo de gamins à bérets, à Aubervilliers (144 pages, 14,50 euros).
Pour « La photographie moderniste brésilienne » évoquée plus haut, « Photo Poche » augmente sa pagination. Il fallait bien cela pour réunir une superbe sélection de 120 images de 23 photographes, qui, inspirés par les écoles françaises et allemandes des années 1930, ordonnent le quotidien dans une fascinante géométrie. Ce mouvement, très peu connu en Europe, est actif, dans les années 1940 et 1950, au sein des photo-clubs, dans le photojournalisme et la photographie documentaire. Il accompagne le développement industriel d’une partie du pays, particulièrement fier de mettre en avant l’architecture moderne d’Oscar Niemeyer. Parmi d’autres, sont fascinants les jeux d’ombres et de volumes de Chico Albuquerque, Thomaz Farkas, German Lorca ou de Yosé Valenti. Quant à la photographie documentaire, elle s’attache à confronter ce qu’il reste de traditions spirituelles et festives et un essor économique à marche forcée. L’ouvrage, magnifiquement imprimé comme les autres « Photo Poche » par EBS, à Vérone, est un vrai bonheur pour les amateurs de photographie noir et blanc (216 pages, 19,50 euros).
56es Rencontres d’Arles, jusqu’au 5 octobre dans divers lieux de la ville. Forfait journée toutes expositions : 33 euros. Pour profiter vraiment de l’événement, il vaut mieux passer deux ou trois jours sur place et acquérir le forfait toutes expositions à 40 euros, valable tout l’été.
(1) Cela constituera un hommage à la galeriste, décédée récemment.