Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre à redécouvrir.
La postérité d’un écrivain est souvent un mystère. Auteurs à succès, écrivains couverts de prix et d’honneurs disparaissent des mémoires – injustement ou pas – parfois très vite après leur mort quand des auteurs pour happy few, comme par exemple Paul-Jean Toulet ou Jean de La Ville de Mirmont, aux œuvres aussi brèves que leurs vies, traversent le temps avec une jeunesse intacte. Frédéric Berthet (1954-2003) sera-t-il de ceux-là ? On peut le penser tant ses livres continuent d’être réédités à La Table Ronde et ses textes inédits exhumés. De son vivant, Berthet ne publia que deux recueils de nouvelles (Simple journée d’été et Felicidad), deux romans (Daimler s’en va et Le Retour de Bouvard et Pécuchet) et un récit (Paris-Berry). Deux recueils posthumes – Journal de Trêve en 2006 et Correspondances en 2011 – établis par Norbert Cassegrain complétèrent cette singulière panoplie littéraire.

Frédéric Berthet
On trouve chez Berthet de la fantaisie, une mélancolie fantasque, des êtres épuisés de douceur, des détails insolites, des portraits de femmes tellement insaisissables que seule la littérature peut les cerner. Son sens de l’ellipse, son art très poétique de la suggestion et des fulgurances n’ont pas pris une ride. La preuve avec L’Impassible, recueil d’articles et de chroniques publiés dans la presse entre 1988 et 1999, qui vient d’arriver en librairie toujours à l’initiative de Norbert Cassegrain et de La Table Ronde.
Une nostalgie qui vient très tôt
Ce bel objet, appelé à devenir un « collector » car tiré à seulement 2500 exemplaires, rassemble donc une cinquantaine de textes. Critiques littéraires, chroniques sur l’air du temps ou des thèmes imposés, microfictions : les talents de Berthet font merveille dans ces formes brèves. D’Alberto Moravia à Marcel Aymé en passant par Peter Handke, Thomas Bernhard, Jean Raspail, Raymond Carver ou Patrick Besson, la variété des enthousiasmes de cet inlassable lecteur de Kafka et de Fitzgerald est l’un des plaisirs qu’offre L’Impassible.
Par ailleurs, Frédéric Berthet distille de précieux conseils comme celui ne pas adresser la parole aux gens qui n’ont pas lu tous les livres de Salinger ou de regarder de profil nos amis borgnes. Des sortes de moralités s’invitent : « La liberté, prétend l’impassible, consiste à pouvoir remettre au lendemain, ou à la semaine prochaine, ce qu’on aurait dû faire la veille. » Une magnifique lettre ouverte à Antoine Blondin permet au cadet de saluer l’auteur de Monsieur Jadis. De façon troublante, certaines remarques sur des écrivains s’appliquent parfaitement au propre style de Berthet : « l’émotion n’est pas absente, elle est seulement infiniment contenue, fragilement contenue ». On songe encore à cette belle définition de la littérature, « une nostalgie qui vient très tôt. »