[Les arroseurs arrosés] : Quand les acteurs de la culture évoquent librement leurs passions, leurs projets et un de leurs plus beaux rôles, celui de témoin attentif des programmations locales.

@Archive Personnelle – Catherine ALCOVER, au centre de la photo, assise sur une chaise, joue la femme de Bernard BLIER dans « Le Nombril »
Catherine ALCOVER a joué sur toutes les scènes de France, et même sur l’eau, pour la dernière croisière du France… Au théâtre, elle a travaillé avec les plus grands : MAILLAN, BLIER, SERRAULT… À l’opéra, elle a partagé la scène avec des pointures, comme les frères ALAGNA ou Béatrice URIA-MONZON. Quant à ses apparitions au cinéma, elles sont trop nombreuses pour être toutes citées. Mais son magistral « La rue Gustave Flaubert, s’il vous plaît », dans « Calmos », aux côtés de MARIELLE et ROCHEFORT, reste dans toutes les mémoires. En 1983, la tournée de la pièce à succès « Le Nombril », de Jean ANOUILH, faisait escale au Capitole. Pour la petite-fille de Colonna Romano (amie intime de Sarah BERNHARDT) et du comédien vedette Pierre ALCOVER, tous deux sociétaires de la Comédie-Française, cette rencontre avec le Capitole et la ville de Toulouse est un véritable coup de foudre. Aujourd’hui, c’est en spectatrice assidue que Catherine prend plaisir à revenir dans cette salle chargée de souvenirs… Rencontre avec une passionnée, passionnante.
« Avec Bernard BLIER, mais aussi Michel SERRAULT, Jacqueline MAILLAN, Marthe VILLALONGA, et tous les autres, j’ai joué dans tous les théâtres de France ! Mais c’est vrai que, dès que j’ai connu le Capitole, je suis tombée folle amoureuse de ce lieu, de cette ambiance, et aussi de cette ville ! Alors, évidemment, depuis plusieurs années, je me suis abonnée pour pouvoir profiter de cette excellente programmation d’opéras ». En effet, il n’est pas rare de croiser la comédienne Catherine ALCOVER dans le hall du Capitole. Bien volontiers, avant de regagner son fauteuil, elle se remémore son premier passage sur cette scène, c’était en 1983 : « Je n’avais même pas 40 ans, et pour moi, jouer au Capitole, c’était une bénédiction, surtout avec « Le Nombril », qui était un gros succès. La tournée était complète partout, sauf à Perpignan, où, si ma mémoire est bonne, il restait encore quelques places à la location. La seule fois. Bernard [BLIER] était en colère ». Des anecdotes, Catherine en a plein la tête… Il faut dire que sa riche carrière, au théâtre comme devant les caméras, lui a permis de vivre de grands moments et de faire des rencontres hautes en couleur, comme celle-ci, avec le comédien Bernard BLIER. Pendant près d’une année, toute la troupe a vécu comme une petite famille, se déplaçant de ville en ville : « À Toulouse, nous avons quand même été confrontés à un dilemme… Dans la pièce, Éric DESMARESTZ, qui jouait le gendre, était apostrophé par Bernard à propos de son mariage avec sa fille, et de sa région d’origine. ANOUILH avait écrit une réplique cinglante qui séparait la France en deux, au niveau de la Loire ! Bernard, qui me considérait comme sa fille, me demandait toujours dans les villes du sud si on devait garder cette réplique… Et notamment lors de notre passage à Toulouse… Et puis la réplique faisait un carton. Surtout dans les villes du sud et surtout à Toulouse… Toute la tournée était un carton ! Mais attention, si Bernard avait des répliques hilarantes, il a aussi réussi à faire pleurer tout le Capitole avec une très belle tirade. Je le revois, seul, face à la salle, il prenait des temps de sociétaires… Le public était médusé. Ce sont des instants inoubliables. »
Pour autant, même si cette tournée reste un merveilleux souvenir, la comédienne se rappelle également de tout le travail qu’elle a dû abattre pour jouer face à un monstre sacré comme BLIER : « Systématiquement, avec Bernard, les jours de spectacle, on se retrouvait sur le plateau à 14h. Il n’y avait que nous deux, mais pour nous c’était essentiel de pouvoir sentir la scène, de tester la voix. C’était une grande tournée, avec de grandes salles, différentes chaque jour. Je l’entends encore « Tiens, qu’est-ce que tu fais là, la grue ? », « Mais comme vous Bernard ». Il m’appelait la grue parce que dans chaque ville, je retrouvais un nid, des amis, des connaissances ». Elle poursuit : « Le soir, nous passions trois heures en scène. C’était très intense. Il fallait se donner à 300 %, être complètement mobilisé sur le spectacle. Alors la journée, pas le temps d’aller visiter un musée ou autre… Par contre, après la pièce, nous nous retrouvions toujours autour d’un gueuleton et de bonnes bouteilles… C’était vraiment une ambiance formidable. Que de merveilleux moments nous avons vécu tous ensemble ».
Quand Catherine ALCOVER évoque tous ses souvenirs, c’est avec beaucoup d’émotion qu’elle repense à Bernard BLIER qui lui a permis de vivre cette aventure : « Il était absolument fasciné par mon grand-père, le comédien Pierre ALCOVER, et donc il a tout fait pour que je fasse partie de cette tournée. À l’époque, je jouais peut-être « Britannicus » ou « Comment devenir une mère juive en dix leçons » avec Marthe, mais il a lui-même négocié mon contrat avec le tourneur, et m’a obtenu un cachet convenable. C’était un grand professionnel et surtout quelqu’un d’une grande tendresse ! »

@Archive Personnelle : de gauche à droite, Éric DESMARESTZ, Catherine ALCOVER, Annette et Bernard BLIER.
« La rue Gustave Flaubert, s’il vous plaît »
Les liens qui unissent Catherine à la famille BLIER ne se limitent pas à cette tournée avec Bernard. En effet, quelques années plus tôt, à quelques jours d’accoucher, la comédienne avait tourné pour le fils, Bertrand BLIER. Une scène mythique du cinéma français que les médias ont repassée en boucle lors du décès du cinéaste à succès : « Bertrand me voulait absolument dans son film… Mais j’allais accoucher d’un jour à l’autre… Il n’arrêtait pas de retarder le tournage, car la lumière n’était jamais assez bonne. Finalement, nous avons pu tourner la scène avec Jean ROCHEFORT et Jean-Pierre MARIELLE, et j’ai accouché deux petits jours après. Nous n’aurions pas imaginé que tant d’années après, cette scène fasse encore parler d’elle ».
Parmi les très nombreux films et téléfilms dans lesquels apparaît Catherine ALCOVER (plus d’une centaine), deux sont réalisés par le fils BLIER : « Je me souviens aussi de ce tournage rocambolesque avec Nathalie [BAYE], pour « Beau-Père », où Patrick DEWAERE avait un très beau rôle. La scène se passait la nuit, en extérieur, j’arrivais en voiture et il y avait une sacrée pente… Tout était verglacé… À l’arrivée, j’étais persuadée de planter la voiture… Mais Bertrand ne voulait pas me faire doubler pour la manœuvre… Ayant fait du rallye dans ma jeunesse, j’étais convaincue de l’issue… Et ça n’a pas manqué, la voiture a terminé dans le décor ».
Malgré les projets qui accaparent et les chemins qui séparent, Catherine est restée très proche des BLIER : « Au début du mois de mars 1989, pour la Nuit des Césars, Michel [SERRAULT] avait tenu à remettre une récompense à Bernard, pour l’ensemble de sa carrière. Il [Bernard] était déjà très affaibli. Le lendemain, je m’étais empressée de lui concocter une revue de presse dithyrambique, en prenant bien soin de cacher un papier d’une méchanceté sans nom à propos de son état de santé, et de sa légitimité à se présenter ainsi devant un public… C’était abject, je dois encore avoir l’article en question. Bernard est décédé quelques jours plus tard. Je n’ai rien oublié de tous les bons moments partagés ! »
« Quand je vais voir un spectacle, je veux être émue »
Pour la série [Les arroseurs arrosés], Catherine évoque aussi ses émotions en tant que spectatrice. Curieuse et passionnée, la comédienne assiste très régulièrement à des représentations, que ce soit du théâtre ou de l’opéra. Toujours propriétaire du Théâtre de Paris et du Casino de Paris, c’est entre la capitale et son sud-ouest adoré qu’elle assouvit son appétit de spectacle vivant : « J’ai vu des spectacles merveilleux à Paris, quand j’y vivais. Mais aujourd’hui, je me rends compte que je fais presque autant de sorties en province, que certains de mes amis parisiens. Nous avons beaucoup de chance de pouvoir profiter d’autant de beaux spectacles en tournée. Je vois vraiment des pièces formidables dans le Lot-et-Garonne. Même certaines compagnies de théâtre amateur arrivent à monter des projets de grande qualité ».
Ce qui compte pour Catherine ALCOVER, c’est de ne pas rester insensible : « Quand je vais voir un spectacle, je veux être émue. Je ne veux pas me poser de questions… D’ailleurs, je n’aime pas qu’on m’explique ceci ou cela… Et c’est pareil pour un tableau ou une sculpture. Je n’ai pas besoin de savoir qu’Henry MOORE l’a taillé comme ceci, pour que ça rende comme cela… Ça ne m’aidera pas pour apprécier l’œuvre. Pour un spectacle, c’est pareil. J’ai besoin de ressentir, d’être émue, touchée en plein cœur ! Je suis une primaire, pas une intello et donc je veux ressentir avec le cœur ! Si une interprétation, ou un spectacle me touche, alors là, c’est gagné, je suis conquise. Et ce que j’aime au Capitole, ou au MET [The Metropolitan Opera], c’est que les opéras sélectionnés ne me laissent jamais insensible. Je suis toujours rattrapée soit par le casting, soit par la mise en scène soit par l’orchestre… Soit par l’ensemble. »
Toutes ces émotions, cette passionnée aime aussi les partager avec ses voisins de fauteuil, ou durant l’entracte. Un exercice auquel elle s’adonne avec bonheur à Toulouse : « À Marseille, c’est pareil, le public est souvent très heureux de pouvoir échanger son point de vue. Je trouve ça merveilleux ! Je suis une passionnée d’opéra, je connais tous les opéras du monde, mais l’Opéra de Toulouse : c’est une réjouissance ! J’ai d’ailleurs très hâte du « Vaisseau fantôme », évidemment. Et j’ai déjà ma sélection pour la saison prochaine : « Thaïs », « Othello » seront assurément de grands moments ! Et puis, naturellement, hâte d’entendre « La Passagère » ! J’aime beaucoup les opéras modernes ».
L’arroseur arrosé…
Si Catherine ALCOVER est une spectatrice mordue d’opéra, elle a aussi pu assouvir cette passion directement sous les feux de la rampe : « En parallèle de ma carrière au théâtre, j’ai eu l’occasion de travailler dans de merveilleux projets, pour l’opéra. Et notamment aux Chorégies d’Orange, sous la direction de Michel PLASSON… Encore un lien avec le Capitole et Toulouse… Il s’agissait d’une « Carmen » mémorable, mise en scène par Nadine DUFFAUT, avec ma Béatrice URIA-MONZON, qui était – une fois encore – une Carmen absolument divine. J’interprétais le rôle de la mère de Don José. PLASSON n’était pas particulièrement affable… Il avait ses têtes… Mais après les premières répétitions, et ma lecture de la lettre de Don José, tout s’est arrangé. J’ai toujours considéré PLASSON comme un génie de l’opéra. Pour moi, c’est véritablement lui qui a remis toute la mélodie française à la mode ».
Son dernier engagement, avant que le virus Covid-19 vienne remettre en question un nouveau projet, était porté par les frères ALAGNA : « J’étais la récitante pour « Le Dernier jour d’un Condamné », avec Roberto dans le rôle-titre. Quel souvenir… Quelle belle production ! Nous nous recroisons parfois, toujours avec la même amitié. La dernière fois c’était au Capitole d’ailleurs, alors que ça faisait très longtemps qu’il n’était plus venu dans la Ville Rose ! Voilà ce que j’aime aussi quand je viens à Toulouse, retrouver des camarades avec qui j’ai travaillé… Béatrice URIA-MONZON, Jean-Marie DELPAS, Karine DESHAYES, ou Roberto, bien sûr ».

Catherine ALCOVER, la récitante dans « Le Dernier jour d’un Condamné »
Un gala où se mêlent poésie et piano, en août prochain
Nourrie de toutes ces rencontres privilégiées, et de ces projets romanesques, Catherine poursuit sa carrière entre propositions et créations, principalement dans le sud-ouest : « Chaque été, depuis près de 30 ans, j’organise un festival dans ma grange, du côté de Monflanquin, dans le Lot-et-Garonne. Au début, je donnais des tragédies, j’adore ça, et puis année après année la programmation s’est diversifiée… Au fil des rencontres aussi ! J’ai travaillé avec la compagnie Roger LOURET, Les Baladins en Agenais, et donc au fil des éditions de nombreux camarades sont venus proposer leurs propres projets ou jouer dans les miens. C’est un moment très convivial ! »
Cette année, deux spectacles sont prévus, un en juillet autour de l’amour (textes et chansons), et un en août avec la présence d’Emmanuel FERRER-LALOE : « Je l’adore. C’est un pianiste exceptionnel ! Un des rares à ne pas vouloir faire de fioritures sur LISZT et CHOPIN. Il joue la partition… Et il le fait divinement bien ! Nous avons donc concocté un programme où se mêleront des morceaux intimes de ces compositeurs, entrecoupés par des poèmes de Victor HUGO, que j’aurai le bonheur d’interpréter ». Un rendez-vous immanquable pour tous ceux qui vibrent au rythme des grandes émotions… Et une soirée à la hauteur des passions de celle qui a imaginé ce festival, tout simplement.
Retrouvez Catherine ALCOVER dans :
Piano-Poésie
Avec Emmanuel FERRER-LALOE, au piano
Samedi 30 août 2025, à 18 heures
Grange de Piquemil – 814 route de villeneuve, MONFLANQUIN (47)
Adulte 20€ / Enfant 10€
Réservations : 06 14 47 51 24