Dans la chronique Les albums culte à écouter, Culture 31 fait honneur à un grand album de l’histoire de la musique.
Un Homme et une Femme (bande originale du film éponyme) – Francis Lai, Pierre Barouh, Nicole Croisille
En 1966, la réalisateur et scénariste français Claude Lelouch signe Un Homme et une Femme, une romance simple et intemporelle, portée par la musique parfaite de Francis Lai. Avec le compositeur Pierre Barouh et la chanteuse Nicole Croisille en interprètes, la bande originale de 29 minutes accompagne parfaitement le film de sonorités jazz et bossa nova, sublimant avec mélancolie l’amour fragile d’Anne et Jean-Louis, joués à l’écran par les très regrettés Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant.
Un voyage musical dans l’intimité
Sorti en 1966, Un Homme et une Femme de Francis Lai accompagne le film éponyme de Claude Lelouch, Palme d’or à Cannes et doublement oscarisé du meilleur film étranger et meilleur scénario. Le compositeur, autodidacte, collabore avec Pierre Barouh, parolier et acteur, et la grande chanteuse de variété Nicole Croisille. Leur alchimie capture l’âme d’Anne Gauthier (Anouk Aimée) et Jean-Louis Duroc (Jean-Louis Trintignant), deux veufs qui vont devenir amoureux. Le titre phare de la bande originale, l’instrumental Un homme et une femme, avec son gimmick de type scat improvisé « da-ba-da-ba-da », se vêtit des douces voix cassées de Croisille et graves de Barouh. Dans le film, l’instrumental onirique, dans sa version psychédélique, met en valeur les allées mythiques de la plage de Deauville. À la fin du film, l’instrumental originelle (la piste 1 de l’album) magnifie le dénouement à la gare.

Anouk Aimée
La deuxième piste de l’opus, Samba Saravah, de Pierre Barouh est une samba et bossa nova joyeuse. L’artiste y évoque les souvenirs du personnage d’Anne Gauthier avec son mari cascadeur décédé (joué justement par lui, Pierre Barouh, lequel a d’ailleurs fréquenté Anouk Aimée ces années-là). En name-droppant les compositeurs et lyricistes brésiliens Baden Powell et Vinicius de Moraes, à qui Barouh emprunte Samba de Benção pour sa propre reprise, le « français le plus brésilien de France » chante l’amour et la samba. La formule de Moraes « faire une samba sans tristesse / c’est aimer une femme qui ne serait que belle » est particulièrement bien sentie. Pierre Barouh salue aussi, en chantant « Saravá » ,(salutation qui signifie « sois béni ») João Gilberto et Antônio Carlos Jobim qui lui répondent la pareille. La pépite de la bande originale Aujourd’hui c’est toi chantée par Nicole Croisille, avec un mystique a cappella initial dans le film, illumine Anne qui marche sur les Champs-Élysées. Inquiète pour l’homme qu’elle aime (Jean-Louis Duroc qui participe au rallye de Monte-Carlo), Anne esquisse tout de même un sourire de bonheur simple. Son regard magnétique, en couleur, s’allie à un jazz qui mue en un uptempo pouvant faire écho à Coltrane. Contrairement à La Foule de Piaf, le texte célèbre celle-ci et les amours qu’elle fait jaillir.
Une alchimie intemporelle
Dans un ton plus aigu, la version chantée d’Un homme et une femme est moins essentielle, mais son outro (la dernière partie, souvent non-chantée, d’une chanson) « chance qui passait là / toi et moi » donne les frissons, encore aujourd’hui. Plus fort que nous (instrumental), avec un saxophone mélodramatique envoûtant, et sa version chantée, dans laquelle Croisille et Barouh alternent les couplets, résument les sujets du film : l’amour au renouveau après le deuil, l’urgence d’aimer dans ce cadre. Les vers « vivre libre en un marécage / ou vivre heureux dans une cage » donnent une définition intéressante et bien pensée de l’amour éloigné de nous ou en nous. Le ballade monochrome et psychédélique À l’ombre de nous chantée par Barouh utilise la grosse caisse de batterie pour évoquer le rythme d’un cœur battant. Barouh y articule comme un Brel ou un Polnareff du Bal des Laze. Dans le film, cette ballade illustre les instants tendres, où Anne, dans les bras de Jean-Louis, pense à son défunt mari avec qui elle faisait des promenades à cheval, s’occupait d’un troupeau. La métaphore du soleil et de l’ombre des paroles traduit un amour passionné et son expression passionnelle.
Aujourd’hui c’est toi (instrumental) dynamise les scènes de rallye de Jean-Louis. Sous des airs de compositions de Percy Faith ou Henry Mancini, la musique dérive vers un moment délicat au piano. À 200 à l’heure, l’instrumental plus rapide d’Un Homme et une Femme, referme le disque. Dans le long-métrage, cette piste accompagne les retrouvailles d’Anne et Jean-Louis à Deauville, sur la plage, accompagné de leur enfant à chacun d’eux : Antoine (fils du second) et Françoise (fille de la première). Qu’ils piaillent, d’ailleurs, ceux qui voulaient voir David Lynch être mis à l’honneur ! En effet, c’est bien l’image de l’émouvante étreinte entre les deux parents amoureux qui a récemment été sélectionnée pour représenter le 78ème festival de Cannes en 2025 sur sa traditionnelle affiche promotionnelle. Cette édition du reconnu festival international du film a lieu du mardi 13 mai au samedi 24 mai 2025. Les tout derniers riffs et runs vocaux des deux chanteurs, Croisille et Barouh, sacralisent la fin du film, l’œuvre qu’il restera.
Un Homme et une Femme est plus qu’une bande originale : c’est un écrin d’amour et de mémoire d’un film français, le meilleur d’entre tous réalisé par Claude Lelouch. De Deauville à Paris, Francis Lai, Pierre Barouh et Nicole Croisille, les fidèles compagnons de route du réalisateur, signent un disque qui, près de 60 ans après, touche encore pour son histoire universelle de l’amour retrouvé après le deuil. Opus à écouter avant, pendant et après avoir vu le film.