Le retour à Toulouse de Martha Argerich constitue toujours un événement musical particulier. Ce 10 avril dernier, la rencontre entre l’éblouissante musicienne et son accompagnateur violoniste à la baguette, Renaud Capuçon, a enthousiasmé, à juste titre, une Halle aux Grains pleine à craquer. Ce concert restera comme l’un des grands moments de l’actuelle saison de l’Orchestre national du Capitole.
Depuis quelques années, Renaud Capuçon s’investit de plus en plus dans la direction d’orchestre. En septembre 2021, il est devenu Directeur musical de l’Orchestre de Chambre de Lausanne. Pour son premier concert à la tête de la formation symphonique toulousaine, il a conçu un programme musical associant deux grands chefs-d’œuvre du répertoire et une découverte.
Ainsi, il ouvre la soirée avec l’œuvre d‘une compositrice française peu connue, Charlotte Sohy (1887-1955), qui fut élève de Vincent d’Indy aux côtés de Nadia Boulanger, née la même année qu’elle. Son poème symphonique intitulé Danse Mystique, qui date de 1923, évoque « l’angoisse, dans les nuits sans lune, des femmes primitives, apeurées par l’absence de lumière… » selon un journaliste de l’époque. Emergeant du silence dans lequel elle retourne finalement, cette pièce colorée et puissamment orchestrée ne renie pas le style musical de son époque ni celui de son maître. Les menaces alternent avec l’éclat rutilant que le chef obtient de ses musiciens survoltés.

Orchestre national du Capitole © OnCT / Romain Alcaraz
Avec l’arrivée sur le plateau de Martha Argerich s’instaure un dialogue fervent entre le piano et l’orchestre. Et quel piano ! La plus extrême musicalité de cette interprétation transcende la perfection technique du jeu de la grande artiste. A la suite de la longue introduction du Concerto n° 1 en ut majeur, partition solaire du jeune Beethoven, malgré les circonstances chaotiques de sa composition, l’entrée du piano rayonne comme un soleil. Tout au long de l’œuvre, la soliste déploie en même temps une énergie stupéfiante et une profonde poésie. La fluidité de son toucher, son infinie palette de nuances font merveille. Un double équilibre caractérise cette interprétation mémorable : celui que la pianiste établit naturellement entre ses deux mains et celui qui se poursuit tout au long de l’œuvre entre le piano et l’orchestre. Le dialogue ne cesse jamais d’avancer. Dans l’Allegro con brio initial, le contraste entre les deux thèmes souligne l’aspect éclatant du premier et la délicatesse du second. Par instants, le piano semble sourire. La cadence qui conclut ce volet évoque un hymne à la liberté.

Orchestre national du Capitole – Martha Argerich
Le mouvement lent, Largo, prolonge avec émotion le dialogue entre le clavier et l’orchestre. La mélodie s’enrichit d’ornements qui semblent naître spontanément sous les doigts de la soliste dont quelques instruments, notamment la clarinette, prennent parfois le relais. Le piano laisse éclater sa joie dès l’ouverture du Rondo final. Brillante, gaie, dynamique, la réponse de l’orchestre renforce encore cette exaltation irrésistible. Jusqu’au tutti final, véritable apothéose de jubilation générale.
Un bis ardemment réclamé par le public enthousiaste est généreusement offert par Martha Argerich. Il s’agit de Traumes Wirren (Rêves confus), extrait des Fantasiestücke opus 12 de Robert Schumann. Une nouvelle explosion de joie !

Renaud Capuçon et Martha Argerich au salut – Photo Classictoulouse –
L’exécution de la Symphonie n° 8 en sol majeur d’Antonín Dvořák prolonge encore cette manifestation d‘exubérance extrême. Renaud Capuçon dirige cette œuvre avec une énergie débordante. Dans l’Allegro con brio initial, vif et nerveux, il accentue encore l’animation nerveuse de la partition. Si l’Adagio s’ouvre sur une ferveur quasi religieuse, le chef souligne avec vivacité la soudaine irruption d’un dramatisme exacerbé. La belle intervention du violon solo de Jaewon Kim apporte un élément bienvenu de respiration.
Dans le scherzo qui suit, Allegretto grazioso, une mélodie populaire, d’un lyrisme simple et léger, est bientôt reprise avec une énergie plus intense. Une sonnerie impérieuse de trompette ouvre le Finale : Allegro ma non troppo, avant l’intervention chaleureuse des violoncelles qui déploient une mélodie ardente soulignée par la direction animée de Renaud Capuçon. Une vitalité irrésistible parcourt tout ce mouvement jusqu’à l’explosion finale, accueillie par une ovation enthousiaste du public.
Les retrouvailles de la grande Martha Argerich avec Toulouse resteront dans les mémoires.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole