Révélée jeudi 10 avril par Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, la Sélection officielle de la 78e édition met en appétit, dans un bel équilibre entre vénérables habitués et jeunes talents explosifs.
C’est tout un symbole : le 78e Festival de Cannes ouvrira ses portes, mardi 13 mai, avec un premier long-métrage, « Partir un jour », réalisé par une jeune femme, Amélie Bonnin, dont c’est l’adaptation d’un court-métrage. On y découvrira la chanteuse Juliette Armanet en cheffe de cuisine contrainte du revenir dans le village de son enfance après le décès de son père. Elle y retrouvera un amour de jeunesse… Comme c’est la tradition, « Partir un jour » sortira dans toute la France en même temps que sur la Croisette.

Juliette Armanet dans « partir un jour ». Photo Pathé
Parmi les 18 films de la Compétition révélés par Thierry Frémaux, délégué du Festival de Cannes, aux côtés d’Iris Knobloch, présidente de la manifestation, on cherchera donc la femme, si possible de la jeune garde. De ce côté-là, les sélectionneurs ont bien bossé avec la présence de Julia Ducournau, Palme d’or surprise en 2021 avec le très rock’n’roll « Titane », et Hafsia Herzi, à qui tout réussi, quelques semaines après son César comme actrice dans « Borgo ». La première présentera « Alpha », avec Golshifteh Farahani, et nous plongera dans les années sida avec une fille de 11 ans confrontée à la mort d’un parent. Hafsia Herzi restera elle dans un registre social qu’elle a déjà pratiqué comme réalisatrice avec « La petite dernière », portrait d’une adolescente brillante qui quitte la banlieue pour suivre des études de philosophie à Paris. Sont également conviées dans la Compétition, pour la première fois, Chie Hayakawa (pour le film « Renoir ») et Masha Schilinski (« Sound of falling »). Elles seront notamment confrontées à la plus expérimentée Carla Simon (« Romeria »). On complétera cette Sélection féminine avec Kelly Reichardt (« The Mastermind »), sans doute la réalisatrice américaine la plus passionnante depuis une quinzaine d’années.

« La petite dernière » d’Hafsa Herzi. Photo June Films Katun Arte MK2
La Compétition cannoise reste plus que jamais le rendez-vous des meilleurs metteurs en scène mondiaux, habitués de longue date à présenter leur petit dernier au Palais des festivals. On retrouvera ainsi cette année Jean-Pierre et Luc Dardenne avec « Jeunes mères » (sur 5 adolescentes dans une maison maternelle) et Wes Anderson pour « The Phoenician Scheme » (Benicio del Toro y incarne « L’homme le plus riche du monde »). Souhaitons dans les deux cas qu’ils soient plus en forme que les années précédentes. Au contraire, on ne craint pas trop la panne d’inspiration concernant Sergei Loznitsa, metteur en scène ukrainien s’attaquant aux grandes purges dans l’Union soviétique des années 1930 avec « Deux procureurs » ; Mario Martone pour « Fuori », après le magistral « Nostalgia », sélectionné à Cannes en 2022 ; Kleber Mendonça Filho, qui retrouve sa ville natale, Recife, 9 ans après le merveilleux « Aquarius », avec « L’agent secret », ou encore Joachim Trier qui évoquera la « Valeur sentimentale » après nous avoir fait battre le cœur grâce à « Julie (en douze chapitres) » en 2021.
Rayon France, un seul homme, Dominik Moll, accompagnera Julia Ducournau et Hafsia Herzi en Compétition avec « Dossier 137 », dans lequel Léa Drucker incarne une policière enquêtant sur un homme blessé lors d’une manifestation. Des nouvelles du cinéma hexagonal seront également données dans la sélection Un certain regard, qui fait la part belle aux premiers et aux deuxièmes films. On attend avec impatience de découvrir « L’inconnu de la grande arche », de Stéphane Demoustier, après l’excellent « Borgo » et « Météors », d’Hubert Charuel, dont le non moins réussi « Petit paysan » avait connu un beau succès en 2017. Parmi les 16 longs-métrages venus du monde entier, figurent deux curiosités signées de deux comédiens : « Eleanor the Great », de Scarlett Johansson, et « Urchin », d’Harris Dickinson. Le beau gosse de « Sans filtre » (Palme d’or 2022) et du navet « Babygirl » raconte le quotidien sordide d’un jeune londonien plongé dans l’autodestruction.
Comme c’est souvent le cas à Cannes, le cinéma fera son introspection avec plusieurs films. En Compétition, « Nouvelle vague », de Richard Linklater, nous fera vivre, « de l’intérieur », le tournage d’« A bout de souffle » et « Les aigles de la République », de Tarik Saleh, confrontera un comédien égyptien en disgrâce à un rôle qu’on lui impose, celui du président de son pays. Cinéma encore, hors compétition, avec « Marcel et monsieur Pagnol », de Sylvain Chomet, film d’animation dans lequel l’écrivain et cinéaste se raconte et avec « Dites-lui que je l’aime », de Romane Bohringer, qui met en regard son enfance privée de mère et celle, douloureuse, de Clémentine Autain auprès de la sienne, la belle et tragique comédienne Dominique Laffin.
Fan de chansons et de rock, Thierry Frémaux rêve depuis des années d’intégrer Bruce Springsteen dans le jury de la Compétition. Pas de chance pour lui encore une fois puisque le Boss, en tournée internationale, se produira à Lille le 24 mai, soit à la toute fin du Festival de Cannes. Il réussit pourtant un joli coup avec la projection sur très grand écran du documentaire « Stories of Surrender », de Bono, destiné aux tout petits appareils connectés à Apple TV + De quoi créer un bel événement, près de 20 ans après le mini-concert donné par U2 sur les fameuses marches du Palais.
Et l’Amérique dans tout ça ? Outre Kelly Reichardt et Ari Aster (et son western annoncé comme « horrifique » intitulé « Eddington »), elle enverra sur la Croisette trois poids-lourds: Robert de Niro, pour une Palme d’or d’honneur, remise lors de la soirée d’ouverture, et un autre ex-président du jury, Spike Lee, dont on découvrira » Highest 2 Lowest ». Quant à Tom Cruise, il débarquera, de sa manière fracassante, le 14 mai, dans la suite de la suite de la suite de « Mission : Impossible », signée Christopher McQuarrie (sortie le 21 mai un peu partout dans le monde). Combien de droits de douane pour cette méga-production à plusieurs dizaines de millions de dollars ?