C’était le samedi le 8 février à 20h, au Théâtre des Mazades où Détours de chant (1), (qui comme Jazz sur son 31, a la bonne idée de naviguer entre les différentes salles du grand Toulouse) nous invitait pour clore en beauté l’édition 2025 du festival.
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© Francis Vernhet
Comme l’a souligné la Présidente de cette association aux 40 bénévoles, c’est un plaisir de retrouver des salles pleines après le black-out du COVID, même si plane l’inquiétude générée par les baisses drastiques des aides publiques au spectacle vivant, pourtant indispensable à une démocratie… (quand on a un déficit abyssal, on taille à grands coups de serpe dans les budgets de la Santé et la Culture, et dans les pensions des retraités, c’est bien connu; c’est tellement plus simple).
Premier concert de la tournée « Le Tour Inattendu » de Magyd Cherfi (2), qui présente son nouvel album (3), Le propre des ratures, un disque émouvant, bourré de références à la ville rose, sorti en 2024, la même année que la publication de son livre La vie de ma mère et la sortie du film Ma part de Gaulois au cinéma.
Le Théâtre des Mazades est à deux pas des Izards, un de ces quartiers Nord de Toulouse de « mauvaise réputation », où le chanteur est né en 1962, où il a grandi, et dont il a été le premier bachelier du quartier à 18 ans. Les 500 places ont été allégrement remplies par un public très disparate de 7 à 77 ans (et peut-être plus), de très jeunes en particulier qui avaient envie de danser. Magyd Cherfi, l’idole des jeunes de 7 à 77 ans ?
![CHERFI MAGYD 2](https://blog.culture31.com/wp-content/uploads/2025/02/cherfi-magyd-2-scaled.jpg)
© Francis Vernhet
Il était entouré Samir Laroche (claviers), Etienne Choquet (guitares), Kevin Balzan (basse) et Fabien Tournier (batterie), un excellent combo, qui font aussi les chœurs.
Le timbre de la voix est toujours aussi familier, même pour mon voisin, l’ami Alain Bréhéret, pianiste exceptionnel, non-voyant: voilée comme celle d’un chanteur de Blues ayant abusé du Bourbon, métissée avec des pointes d’accent maghrébin et occitan toulousain.
La musique festive sent bon les îles sous le vent: calypso, biguine, cumbia sénégalaise (« cumbé », terme wolof qui veut dire « danse », CQFD) etc. Sur Tamalou, j’ai retrouvé ce bon vieux reggae des Wailers qui métissait déjà le rock des Clash…et de Zebda. (4).
![CHERFI MAGYD 4](https://blog.culture31.com/wp-content/uploads/2025/02/cherfi-magyd-4-scaled.jpg)
© Francis Vernhet
Ça dansait dans les travées et sur les escaliers, mais aussi sur les sièges, ce qui m’a rappelé Mamadou m’a dit par François Béranger au même endroit il y a bien longtemps, quand je répétais ici mes créations théâtrales en résidence sous les auspices du régisseur général de l’époque Patrice Linares.
Magyd Cherfi a fait monter sur scène pour danser des spectatrices, en particulier une petite fille craquante dont la main disparaissait dans la grosse pogne du maître de cérémonie et qui s’en souviendra toute sa vie, je n’en doute pas.
![CHERFI MAGYD 6](https://blog.culture31.com/wp-content/uploads/2025/02/cherfi-magyd-6-scaled.jpg)
© Francis Vernhet
![CHERFI MAGYD 7](https://blog.culture31.com/wp-content/uploads/2025/02/cherfi-magyd-7-scaled.jpg)
© Francis Vernhet
Entre les chansons il a lu de petits poèmes, il a raconté des petites histoires vécues à la Joan Nadau (qui sera à la Halle aux Grains le dimanche 6 avril à 16h30). Avec un humour corrosif: les racistes de tout poil en ont pris pour leur grade, car il n’a pas la langue dans sa poche et l’assume. Il publie de temps en temps des tribunes pour Libération; récemment, il en a écrit une particulièrement remarquée sur le conflit Israélo-Palestinien où il assurait pleurer pour tous les morts du conflit: « Je suis né Palestinien, mon père me le rabâchait à longueur de journées. Israël a droit à un État. Et la Palestine aussi » y affirmait l’artiste-citoyen. Celui qui se définit comme « gaulois, sarrasin et toulousain » n’a jamais caché qu’« Être français d’origine algérienne est un combat de boxe intérieur permanent ».
Et il enfonce le clou avec Tu dédiée à son père ouvrier du bâtiment, algérien méprisé de la première génération, La chanson du crocodile, Rue des Hyènes, Le Pont du Carrousel en souvenir de Brahim Bouarram, jeune maghrébin qui s’est noyé dans la Seine le 1er mai 1995 (il y a 40 ans) après avoir été passé à tabac et jeté du haut de ce pont de Paris par des militants racistes d’extrême droite ( un pléonasme), etc.
![CHERFI MAGYD 8](https://blog.culture31.com/wp-content/uploads/2025/02/cherfi-magyd-8-scaled.jpg)
© Francis Vernhet
Mais il est vite revenu à sa tendresse naturelle, par exemple dans un moment très émouvant du concert lorsqu’il reprend, dans un silence recueilli, cette chanson poignante dont il a offert le texte à la chère et regrettée Florence Chapuis, trop tôt partie, des Femmouzes T, La femme du soldat inconnu:
ou avec Mimi la douce de Pierre Perret qui a un petit côte Bonnie and Clyde:
et Nous les filles, une déclaration d’amour d’une rare pudeur, comme celle dévoilée dans Inch Allah peut-être:
et dans La vie de ma mère, ce roman qui met en lumière la question du féminisme, Nous les filles:
Nous les filles, on est des poires
Nous les filles, de toujours y croire
Et si on choisissait d’enfin être celles qui
Choisissent les couleurs et dessinent le croquis
De plus être des putes ou des saintes
Pas la Joconde mais celui qui la peinte
Oh plutôt qu’être sur la piste
Devenir le marionnettiste…
Sur Oualalaradime, un tube de Zebda, toute la salle debout a chanté le refrain avec lui.
Des chansons d’espoir
il n’en a pas plein ses tiroirs
demain décourage l’avenir,
mais il chante quand même:
Je voudrais pas mourir
Pas avant d’avoir vu
Le paradis sur terre dans ma rue
Je voudrais pas mourir
Pas avant d’avoir vu
Ma ville la plus belle devenue…
Je voudrais que ma ville ose
Être la cité des amants
Et déclarée ville ouverte
Pour Maritie et Gilberte
Et qu’ils soient ou pas chrétiens
Pour le beau et le Sébastien
Babakar et Fadéla
aux enfants des favélas
Leur souhaiter la bienvenue
Rue des promesses tenues…
Je voudrai pas mourir
qui me fait penser un instant à Je voudrais pas crever de Boris Vian chanté par Serge Reggiani (un français d’origine italienne).
![CHERFI 1](https://blog.culture31.com/wp-content/uploads/2025/02/cherfi-1-scaled.jpg)
© Francis Vernhet
Ce soir-là, c’était aussi l’occasion de fêter les 40 ans de scène (déjà) du bonhomme Cherfi (bonhommie: simplicité dans les manières, unie à la bonté de cœur in Le Robert) qui cisèle ses textes en orfèvre tel un nouveau Brassens, car il est doué comme celui-ci d’une grande culture littéraire et musicale, et chante à cœur ouvert comme le vieil anarchiste bourru qui était si fier d’être un méditerranéen (ce n’est pas un hasard s’il a repris sa Supplique pour être enterré sur la plage de Sète).
Magyd Cherfi a fait mentir le proverbe Nul n’est prophète en son pays; n’en déplaise aux pisses-froids obsédés du « grand remplacement »: il est bien chez lui à Toulouse, et en France… Comme (Hamid) Idir, Yves Montand (Ivo Livi), Francis Bébey, Marina Vlady d’origine russe ou Maria Casarès (que j’entends encore se faire traiter d »’espingouine » au Festival d’Avignon dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes en 1956 (!), ces artistes que nous avons tant aimés…
Le concert s’est terminé par une standing ovation et le chanteur nous a donné rendez-vous « au même endroit dans un an et un jour ». Le rendez vous est pris.
D’ici là entre ses tournées et ses passages dans les émissions littéraires, une chose ne changera pas: on pourra toujours le croiser à la terrasse du Florida en face du Capitole prenant un pot avec ses vieux copains; comme il l’a dit ce beau soir de février 2025, « tu ne quittes jamais la rue (et la ville NDA) qui t’a vu naître. »
Après le concert, dans le grand hall d’accueil, il y avait foule autour du stand de la toujours fidèle au poste Roseline de l’indispensable Librairie de la Renaissance (6) proposant les livres de Magyd Cherfi à côté de ses disques, mais aussi autour de celui de SOS Méditerranée pour faire des dons en dégustant du thé à la menthe et des makroutes (délicieux gâteaux maghrébins pleins de sucre).
Avec la chanson On part l’artiste avait salué les bénévoles de cette association qui « sauvent notre honneur en plus de sauver des êtres humains désespérés », qui bravent ce grand cimetière liquide que peut être la Mare Nostrum, notre Mère commune à l’Afrique du Nord et à l’Europe:
On part vers le Nord parce qu’au Sud ça ne tourne pas rond:
On part quand on a vécu dans des camps
Quand on est le dernier des Mohicans
Quand y’a plus d’eau plus de savane
Quand on sent que c’est pas des vannes
On part pour des ustensiles en inox
Pour monter sur un ring de boxe
Pour une promesse de taille
Un podium ou une médaille
On part au nord comment ça se fait
Que c’est là que vivent les contes de fées
On part dites pas le contraire
On part quand on a pas de peau
À la rencontre d’un Zippo
Et tant pis si pour l’attraper
Il va falloir sortir l’épée
On part quand on est mal loti
Pour un peu de riz Basmati
Pour quatre saisons qui vous mettent
Une allumette dans la tête
On part un peu pour la patrie
On part pour libérer un lit
Puis on s’accroche on est pas prêt
Comme un tableau noir à sa craie.
Magyd Cherfi n’a pas fini d’écrire à la craie blanche sur l’écran noir de nos vies.
Photos © Francis Vernhet
Pour en savoir plus :
2) Magyd Cherfi
3) « Le propre des ratures, c’est mon dernier opus : L’imperfection comme idéal fut mon inspiration première, d’où le titre exact de cet album ». L’album, que je vous recommande vivement, est illustré par des dessins d’Aurel, dessinateur de presse et réalisateur de l’excellent Josep, César du meilleur film d’animation 2021, qui raconte le calvaire des Républicains espagnols fuyant le Franquisme au Camp de Rivesaltes.
4) Zebda
Magyd Cherfi était le chanteur et le parolier du groupe désormais mythique Zebda qui a fait danser de 1985 à 2025, faut-il le rappeler, toute une génération sur des hymnes antiracistes et festifs. Rock, raï, reggae, funk, tout y passait. Ce collectif bigarré emmené par cet auteur de grande classe et des tchatcheurs de premier choix aimait faire la fête, mais ne laissait jamais de côté sa conscience politique. Magyd, Hakim, Mouss, Joël (qui nous régale tous les jeudis midi avec sa Pause Musicale à la Salle du Sénéchal (5), Rémi… et n’hésitaient pas à prendre la scène pour une tribune. Mais n’est-ce pas là le propre de la bonne chanson engagée ?
En tout cas, ils n’ont jamais demandé le beurre (zebda en kabyle) et l’argent du beurre, et n’ont pas hésité à « Tomber la chemise »:
Tous les enfants de ma cité et même d’ailleurs
Et tout ce que la colère a fait de meilleur
Des faces de stalagmites et des jolies filles
Des têtes d’acné, en un mot la famille sont là
Tous les enfants de mon quartier et même d’ailleurs
Et tous ceux que le béton a fait de meilleur
Dès qu’ils voulaient pas payer l’entrée trente balles
Ont envahi la scène, ont envahi la salle et
Y a là des bandits qu’ont des têtes de cailloux
Ceux qu’ont des sentiments autant que les voyous
Attendent qu’on allume un méchant boucan
Et que surgissent de la scène des volcans…
Et proclamé:
« Y a pas d’arrangement »
Et c’est ainsi qu’on est parti sur les routes
Les kilomètres auraient mérité tu t’en doutes…
Le mot respect, ou qu’on nous donne un diplôme
Parce qu’on n’était pas dans un beau sous-marin jaune
Croyez-le, y’a pas eu de miracle
On n’a pas fait demi-tour au premier obstacle
On n’a pas fait demi-tour et pour cette place
Sous le déluge, on a roulé sans essuie-glaces
On a caché ce qu’on avait de plus précieux
La cagoule et puis les bottes de Sept lieues
On mouillait le maillot, tout à la fois être
Trimards et saltimbanques, tu le crois
« Y a pas d’arrangement »…
mais ont remis aussi en place dans « Le bruit et l’odeur » un homme politique parvenu aux plus hautes fonctions stigmatisant « les désagréments causés par certaines personnes immigrées en France »,
Si j’suis tombé par terre
C’est pas la faute à Voltaire
Le nez dans le ruisseau
Y avait pas Dolto
Si y’a pas plus d’anges
Dans le ciel et sur la terre
Pourquoi faut-il qu’on crève dans le ghetto?…
Avec Zebda, Magyd Cherfi était déjà un parolier hors pair. « La plume de Magyd, c’est une arme chargée de futur », avait coutume de me dire le regretté Gil Pressnitzer, paraphrasant Gabriel Celaya, lors de nos rencontres littéraires mensuelles au Sylène, place Saint Etienne. Et il a persévéré dans cette veine: son roman Ma part de gaulois figurait sur la première sélection du Prix Goncourt 2016, s’il vous plaît !
Ajoutant à son métier de chanteur la corde écrivaine dans une langue vibrante et colorée, il a dit son fait la société française et à ceux qui lui reprochent sa « réussite », à travers deux romans Ma part de Gaulois et La part du Sarrasin.
Mais il ne faut pas oublier son dernier roman paru chez Actes sud La vie de ma mère, ode pleine de tendresse à sa Maman, qui dévoile l’émancipation tardive d’une femme de devoir, mère sacrificielle et parfois abusive. Il a écrit ce texte comme un hommage à sa mère, « à une femme qui s’est sacrifiée, comme toutes ces mères des années 1960 qui ont eu sept, huit, neuf enfants, et qui n’ont vécu que pour les mômes, que pour le mari, que pour le père. « Moi, j’ai vu maman ne s’occuper que d’autres, jusqu’à ce que je comprenne un jour qu’elle aurait rêvé de s’occuper d’elle. »
Ce récit tendre, dur et drôle explore la relation complexe entre une mère et son fils, où ce dernier devient l’initiateur et l’instrument du changement.
Une nouvelle dualité de plus pour lui, le chanteur et le romancier, le français et l’algérien, « le jeune Magyd des Izards et le vieux Magyd qui passe à La Grande Librairie sur France 5 le mercredi soir », et reste convaincu que la Culture (et la musique en particulier) est un moyen de lutte important quand on a des convictions politiques.
6) Librairie de la Renaissance