CRITIQUE, concert, TOULOUSE. Halle-aux-grains, le 2 janvier 2025. BEETHOVEN. 9ieme symphonie. Orchestre du Capitole. Tarmo Peltokovski.
Fabuleux concert du Nouvel An à Toulouse.
Les concerts du Nouvel An depuis Vienne sont une institution. Plus récemment à Toulouse également. Cette année devant un succès inouï il y a eu trois concerts à Toulouse le 31 décembre 2024, le 1 et le 2 janvier 2025.
Loin de la légèreté viennoise ou de la fantaisie, le jeune chef Tarmo Peltokovski a choisi une œuvre symbolique forte, un chef d’œuvre absolu : La Neuvième symphonie de Beethoven qui termine avec sa célébrissime Ode à la joie. La Halle-aux-grains a été comble chaque fois.
Le jeune chef de 24 ans dirige comme souvent par cœur. Dès les premières notes un peu mystérieuses, une émotion intense nous saisit. Le son de l’orchestre est plein et somptueux. Certes la disposition de l’orchestre à la viennoise change l’acoustique. Les violons 1 et 2 sont de part et d’autre de l’estrade, les violoncelles et les alti au centre et les contrebasses à gauche au fond. Mais il n’y a pas que cela qui change le son et lui donne de l’ampleur. Cela deviendra de plus en plus évident lors du déroulement de la symphonie : Tarmo Peltokovski transcende l’orchestre. D’excellent, il devient magnifique.
Le premier mouvement, sorte d’éveil et d’une construction très progressive, nous fait entendre tous les détails de l’orchestration, toutes les nuances dans des phrasés amples et un tempo très confortable. Le scherzo est musclé et très nuancé. Il avance avec une force invincible. Tarmo Peltokovski dirige avec des gestes de félin. Pour obtenir la nuance piano qu’il désire, il ira jusqu’à s’accroupir. Son énergie dans les crescendi est sidérante. La puissance qu’il peut obtenir de l’orchestre nous était inconnue. La joie de la danse est magnifiée par cette interprétation si précise. Cela avance sans retour en arrière possible. Les instrumentistes sont comme galvanisés. C’est à la fois, beau, sensible et puissant. La direction de Tarmo Peltokovski est incroyable de précision, il s’occupe de chacun comme de la construction d’ensemble. Il a les yeux partout, il donne tous les départs avec lisibilité.
L’émotion qui nous submerge au début de l’andante n’a pas d’équivalent. La beauté de la nuance piano de départ, la maîtrise absolue d’un phrasé de rêve, la tendresse qui diffuse, cet ensemble de qualités nous fait quitter le monde terrestre. Après les deux premiers mouvements si telluriques cet andante est en apesanteur, il appelle le ciel, apporte le calme et la sérénité. Les instrumentistes offrent des sons d’une beauté totale. Tout est exactement à sa place dans un univers de sérénité. Plus aucun nuage, plus de peines, plus d’angoisses. Ce mouvement est le plus difficile à réaliser parfaitement, même par de très grands chefs. Une musique si sublime et si parfaitement comprise par ce chef de 24 ans ferait pleurer de bonheur. Ce soir les cors sont magnifiques de présence, les bois chantent éperdus, les alti sont magiques et les violons font de la dentelle. Et surtout la construction est parfaitement lisible.
Sans transition Tarmo Peltokovski enchaine le fabuleux final. C’est l’apothéose attendue voir plus. Le phrasé dramatique des contrebasses et des violoncelles, celui sur lequel la basse solo mettra des mots, permet un dialogue saisissant avec le reste de l’orchestre. Puis des détails subtils s’offrent à nous. Des nuances inconnues sont comme des révélations.
Le thème de l’ode à la joie donné pianissimo par les violoncelles et les contrebasses est un moment si poignant que la salle entière retient son souffle (et enfin ses toux) tandis que les musiciens au bord du silence construisent un son unique par sa fragilité assumée. La puissance rhétorique orchestrale sera magnifiée par l’entrée de la basse. Albert Dohmen a une voix profonde et avant tout une diction superlative. C’est la voix d’un Sprecher, celui qui porte la parole sacrée. Le chœur lui répond avec entrain. Une autre surprise nous saisit à présent c’est la lumière qui se dégage du chœur. L’association des Chœurs du Capitole et de Montpellier en une fusion admirable permet une puissance sans dureté, une énergie sans limite dans des couleurs des plus brillantes. Tarmo Peltokovski ne quitte pas des yeux les choristes et murmure toutes les paroles. Le quatuor vocal de solistes est parfaitement équilibré. La soprano Elsa Dressig plane avec aisance, la mezzo Tuomas Katajala a une présence harmonique solide, le ténor Tuja Knihtla avec une grande facilité domine sa terrible tessiture. Que ce soit la fanfare avec les percussions goguenardes ou l’extraordinaire fugue, chaque instant est ciselé par Tarmo Peltokovski.
Lorsque le thème de la joie est entonné par le chœur et le tutti orchestral, le chef se change en démon et insuffle une énergie inimaginable à ses troupes. Le final est de plus en plus grandiose et se termine en une véritable apothéose. Plus d’un aura voulu chanter en chœur après avoir entendu un moment si enthousiasmant. Ce qui parait remarquable également est la capacité de Tarmo Peltokovski d’installer des moments de mystère voire de suspens dans la partition. Toulouse a bénéficié d’un concert du nouvel an plein de sens, symboliquement fort, loin du facile et du léger. Il a emporté un public ravi sur les cimes de la beauté de la cohésion humaine. Ces 3 concerts resteront dans les mémoires. Le succès a été total et ce génial chef d’orchestre n’a pas fini d’étonner le monde, lui qui à 24 ans sait si bien comprendre le chef-d’œuvre de Beethoven. L’orchestre du Capitole ainsi galvanisé ne peut que nous enthousiasmer. L’avenir musical s’annonce radieux à Toulouse. Nous en avons besoin, car 2025 sera une année difficile, voire dure. Vive la musique !
Photos Romain Alcaraz
Article écrit pour Classiquenews.com
Orchestre national du Capitole