Lors de son concert du 12 décembre dernier, l’Orchestre national du Capitole recevait deux grands invités : le chef d’orchestre israélien Omer Meir Wellber et le flûtiste franco-suisse Emmanuel Pahud. Ces deux personnalités hors du commun ont défendu avec talent et conviction un programme d’une grande originalité mêlant musiques d’hier et d’aujourd’hui.
Omer Meir Wellber, actuel directeur musical du Théâtre Massimo de Palerme, possède de multiples atouts, puisqu’il est aussi claviériste, accordéoniste, romancier, et magicien ! Son implication à la tête de notre orchestre se traduit, dès les premiers instants, par une gestique d’un dynamisme impressionnant, comme pour s’adresser avec conviction à chaque musicien en particulier.
De Joseph Haydn à Ottorino Respighi, en passant par Marc-André Dalbavie, le programme de cette soirée à la fois joyeuse et teintée de mystère mêle les styles et les effectifs orchestraux. La création à Toulouse du Concerto pour flûte composé sur mesure pour Emmanuel Pahud par Marc-André Dalbavie, se trouve ainsi entourée de deux symphonies de Haydn. Cette trilogie est suivie d’une vaste fresque symphonique peu souvent jouée du compositeur italien Ottorino Respighi.
La Symphonie n°26, sous-titrée « Lamentations », en référence aux Lamentations de Jérémie, ouvre le concert et charge le chef d’orchestre de tenir également le clavecin. Omer Meir Wellber dirige donc depuis les claviers de son instrument. Lorsque ses mains sont occupées, il ne se prive pas pour autant de donner tous les départs soit avec ses pieds soit avec tout son corps. Chacun des trois mouvements de cette symphonie (la dernière de Haydn à être ainsi structurée) est parfaitement caractérisé. A la vivacité du premier volet Allegro répond la douceur de l’Adagio, suavement embellie d’un splendide solo de hautbois. Le final enchaîne l’évocation de la danse, un Menuet, avec un Trio dans lequel le violon solo est brillamment sollicité avant une conclusion inattendue, comme suspendue.
L’autre symphonie de Haydn, la 49ème en fa mineur, sous-titrée « La Passion », ouvre la seconde partie du concert. Bien que composée à l’occasion du Vendredi saint (d’où son nom), son caractère ne reflète pas vraiment la piété de la période. Omer Meir Wellber, toujours depuis le clavecin, en souligne l’alternance entre les caractères méditatif et tourmenté de l’Adagio initial. Le souffle passionné qui affecte l’Allegro di molto ne s’apaise que lors du Menuet – Trio. La passion, au sens propre du terme, s’accompagne d’un élan dramatique dans le final Presto. Le même enthousiasme de la direction se transmet efficacement à l’orchestre, toujours sur le qui-vive.
Entre ces deux symphonies l’impressionnant Concerto pour flûte de Marc-André Dalbavie évoque d’autres horizons. Emmanuel Pahud, le soliste auquel cette partition est dédiée, y déploie une énergie et une science musicale d’un niveau exceptionnel. Rappelons tout de même qu’à l’âge de 22 ans, le grand musicien a été nommé au poste prestigieux de première flûte de l’Orchestre philharmonique de Berlin, poste qu’il occupe encore à ce jour. Marc-André Dalbavie, né en 1961 et qui fût élève de Pierre Boulez et de Marius Constant, est aujourd’hui l’un des grands compositeurs de sa génération. Son écriture, souvent qualifiée de « spectrale », se déploie dans ce concerto avec une force de conviction inébranlable.
A l’explosion orchestrale initiale répond une série de traits virtuoses et miroitants que le soliste maîtrise admirablement. Le compositeur demande au flûtiste une variété de jeux, comme le « flatterzunge » ou l’émission de sons harmoniques, qu’Emmanuel Pahud réalise avec une facilité déconcertante. En outre, ces performances techniques ne constituent jamais un but en soi. Elles s’intègrent parfaitement dans le pouvoir expressif d’une œuvre intense qui alterne les moments de violence extrême et les plages de douceur. Les échanges entre la voix du soliste et celles, multiples, de l’orchestre alimentent l’émotion qui se dégage de la progression implacable de la tension. L’aboutissement d’une coda inexorable ne manque pas de susciter l’ovation du public.
Le bis qu’Emmanuel Pahud offre ensuite ne manque pas de stupéfier ! Le flûtiste revient sur le plateau en compagnie d’Omer Meir Wellber en possession… d’un accordéon rutilant avec lequel il participe à l’exécution du « tube » d’Ástor Piazzolla, Libertango. Rien de surprenant pour un chef d’orchestre multitâche, un véritable homme-orchestre !
Le concert se conclut sur une partition rare, inattendue, intitulée Metamorphoseon du compositeur italien Ottorino Respighi, plus connu pour sa trilogie romaine. Ecrite pour célébrer les cinquante ans de l’Orchestre de Boston, cette série de douze variations bénéficie d’une orchestration généreuse qui sollicite tous les pupitres d’un grand orchestre. L’œuvre intègre une multitude de solos dans lesquels les musiciens s’investissent avec panache. Le violon, l’alto, le violoncelle, le cor, la clarinette, le basson, la flûte, la harpe et bien d’autres se succèdent avec succès au-devant de la scène sonore.
La précision de la direction, le dynamisme du chef qui semble pétrir les sonorités obtiennent le meilleur de la phalange toulousaine, particulièrement en forme ce soir-là. L’accueil chaleureux du public s’accompagne des remerciements que le chef va adresser au plus près de chaque musicien soliste.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole