Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre à redécouvrir.
Auteur de l’un des livres remarqués de cette rentrée littéraire 2024, Hotel Roma, récit autour de l’écrivain Cesare Pavese (1908-1950), c’est avec un livre sur une autre grande figure italienne, Pier Paolo Pasolini (1922-1975), que Pierre Adrian fit ses débuts en littérature en 2015. De Pasolini (1922-1975), on se souvient d’abord de la mort aussi affreuse que mystérieuse, jamais réellement élucidée. Giuseppe Pelosi, dix-sept ans alors, l’une de ces petites frappes que l’artiste aimait racoler, l’a-t-il tué ? Certains évoquèrent plutôt la Mafia, l’extrême droite ou l’appareil d’État. C’est à Ostie, sur les lieux du crime, que s’ouvre La Piste Pasolini de Pierre Adrian. Que fait donc là ce jeune Français né en 1991 ? « Pourquoi moi, si loin de lui, étudiant parisien de 23 ans, je le cherche encore, là où il n’est plus ? Ce n’est pas une simple fascination pour un homme bousculé toute sa vie, un poète dont les livres ont fait naître en moi une émotion douloureuse. Il y a autre chose. Peut-être un appétit pour la vie, torturé par un mal de vivre que Pasolini dépeint merveilleusement. Il y a aussi ces interventions visionnaires, tant aujourd’hui elles sont justes, sur la société qu’il a vue se métamorphoser. J’ai un goût naïf pour les martyrs et les jusqu’au-boutistes. En Pasolini, j’ai vu un écrivain livré à ses tourments et ses contempteurs. Un homme sans cesse tenté par la pureté et le péché. Je me suis reconnu dans beaucoup de ses appels poétiques. Ils ressemblent à des élans mystiques. J’ai découvert une voie qui crie vers Dieu et contre lui », écrit-il.
Une approche qui a le mérite de dépasser les clichés réducteurs peignant cet artiste protéiforme (cinéaste, romancier, poète, essayiste, dramaturge), en homosexuel, marxiste, pourfendeur de l’Église, de la bourgeoisie, du pouvoir, de tous les pouvoirs. Pasolini fut tout cela, mais pas seulement. Car cet « hommes des paradoxes », selon l’expression de Pierre Adrian, dénonçait également les leurres d’une sexualité prétendument libérée et pourtant fondatrice de nouvelles normes : « la liberté sexuelle de la majorité est en réalité une convention, une obligation, un devoir social, une anxiété sociale ». Derrière l’idéologie du « jouir sans entraves » affichant sa tolérance, Pasolini discernait « des traits féroces et essentiellement répressifs : car sa tolérance est fausse et, en réalité, jamais aucun homme n’a dû être aussi normal et conformiste que le consommateur ; quant à l’hédonisme, il cache évidemment une décision de tout préordonner avec une cruauté que l’Histoire n’a jamais connue. »
Au plus près de Pasolini
Marxiste mais profondément imprégné de christianisme (son Évangile selon saint Matthieu est en effet, comme l’écrit Pierre Adrian, « le plus beau film jamais réalisé sur le Christ »), contre l’avortement mais pour sa « légalisation prudente et douloureuse » : Pasolini cultivait sa singulière liberté. Il était effectivement « l’exemple même de l’homme qui n’entre dans les églises seulement lorsqu’elles sont vides » et il préconisait de « ne pas craindre la sacralité et les sentiments, dont le laïcisme de la société de consommation a privé les hommes en les transformant en automates laids et stupides, adorateurs de fétiches. »
Si La Piste Pasolini explore « la dérangeante actualité » de l’œuvre et de la vie de l’artiste, le livre prend aussi des sentiers plus buissonniers, relève autant de la quête que de la confession masquée. Pierre Adrian emmène le lecteur dans le Frioul, à Bologne, à Rome. Il ressuscite l’homme passionné de foot, rencontre ceux qui furent ses amis ou sa famille, se souvient de Gramsci. Ce texte ambitionnant de « toucher Pasolini au plus près » y réussit superbement.
La Piste Pasolini • éditions des Équateurs