Le 19 octobre dernier, l’Orchestre national du Capitole retrouvait le grand chef allemand Frank Beermann qui l’a dirigé à de nombreuses reprises aussi bien à l’opéra qu’au concert. Le pianiste poète toulousain Adam Laloum participait à cette soirée particulièrement attendue qui associait un concerto de Mozart et une symphonie de Bruckner.
Ce soir-là la disposition des instruments de l’orchestre sur le plateau de la Halle aux Grains obéit à un schéma différent de la géométrie habituelle. Une disposition liée à l’origine autrichienne des musiques interprétées. Aux premiers violons situés à la gauche du chef font face les seconds violons localisés à sa droite. Les violoncelles et les altos s’insèrent entre les deux et les contrebasses occupent toute la partie gauche du plateau. Les vents se répartissent à l’arrière des cordes avec quelques changements minimes.
Est-ce cette disposition ou la manière avec laquelle le chef dirige cette belle phalange symphonique, reconnaissons que l’équilibre des sonorités entre cordes et vents s’avère proche de la perfection.
Le programme de la soirée s’ouvre sur une exécution exemplaire du Concerto pour piano et orchestre en do mineur n° 24 K. 491 de Mozart. Cette œuvre qui date de 1786 revêt un caractère particulièrement sombre et dramatique que les interprètes adoptent dès les premières mesures, aidés en cela par la rare tonalité mineure dans le corpus de ces concertos. La longue introduction orchestrale laisse aux cordes graves et aux bassons le soin de générer cette atmosphère angoissante, tragique même. La réponse presque tendre mais déterminée du piano semble initier un dialogue sans concession élaboré par Frank Beermann et Adam Laloum. Comme très souvent dans la musique instrumentale de Mozart, les échanges entre le soliste et le tutti prennent des allures d’air d’opéra.
Le jeu du pianiste, son sens des nuances, les phrasés touchants qu’il élabore confèrent une vie palpitante à sa contribution. Tout ce premier volet noté Allegro déploie une atmosphère ténébreuse, puissante et tragique, comportant de nombreux passages de tension affective. Le pianiste choisit ici de jouer la cadence élaborée par le pianiste Paul Badura-Skoda.
Comme dans l’ensemble du concerto, le parfait équilibre sonore entre les protagonistes laisse à chacun son domaine d’expression. La poésie qui émane du Larghetto doit beaucoup aux interventions du riche pupitre des bois : hautbois, flûte, clarinette, bassons… qui laissent entrevoir une certaine angoisse. Le final Allegretto, au-delà de la belle fluidité du jeu du soliste, distille un héroïsme presque dépressif que les deux partenaires conduisent à une conclusion qui semble vouloir dissimuler ses angoisses sous une joie extérieure.
Ce grand moment, largement acclamé par le public, est suivi d’un bis ardemment réclamé. Adam Laloum joue avec une infinie poésie le Moment musical n° 2 de Franz Schubert. Une autre plage d’extrême musicalité.
Avec la monumentale Symphonie n° 4 en mi bémol majeur intitulée « Romantique », d’Anton Bruckner, nous changeons de monde. Composée autour de 1874 elle a subi de nombreux changements de la part du compositeur jamais satisfait de lui-même ! Si l’orchestre requis est particulièrement généreux en instruments à cordes, la contribution des vents s’avère capitale. Frank Beermann dirige avec ardeur cet ensemble tout en obtenant des musiciens un équilibre parfait entre les différents pupitres. Jamais les cuivres n’écrasent les cordes et le débit instrumental n’est jamais pesant. Une certaine transparence prévôt ici tout au long de cette exécution.
L’Allegro initial s’ouvre sur un périlleux et sublime solo de cor. Le soliste, Thibaut Hocquet, en transcende les lignes. Dans cette introduction comme dans ses nombreuses interventions ultérieures, il réalise une véritable performance saluée, en fin de concert, par le chef et le public. Les grands élans, les crescendos irrésistibles sont maîtrisés avec une ferveur impressionnante. L’Andante quasi allegretto alterne les silences tendus, comme méditatifs, et la ponctuation des pizzicati des cordes parfaitement réalisés. Introduit par une nouvelle sonnerie de cor, le Scherzo, indiqué Sehr schnell – Trio. Im gleichen Tempo, met en valeur un accompagnement énergique des cordes qui se conclut sur une puissante coda.
Enfin, la dynamique du Finale, Allegro moderato, du plus extrême pianissimo au fortissimo ravageur, confère une vitalité impressionnante à cet épisode complexe qu’éclaire la transparence de la direction de Frank Beermann. Chaque pupitre de l’orchestre s’implique avec autant de rigueur que d’enthousiasme. Les derniers accords résonnent comme une victoire.
Très légitimement, l’accueil du public explose d’un enthousiasme libérateur.
Félicitant chaque soliste, chaque pupitre, le chef témoigne à l’ensemble de l’orchestre une profonde reconnaissance. Redisons ici la chance des mélomanes toulousains de posséder un orchestre de cette qualité !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole