Voilà une fort originale ouverture de saison pour le Ballet de l’Opéra national du Capitole. Six représentations au Théâtre à partir du 24 octobre, pour deux ballets sur des musiques de Gluck, Sémiramis et Don Juan, interprétées par les musiciens de l’Orchestre Le Concert des Nations dirigés par leur chef et créateur Jordi Savall. Deux chorégraphes à la tâche, Àngel Rodríguez et Edward Clug. La soirée débutera avec la Suite pour orchestre tirée de l’opéra Iphigénie en Aulide de Gluck.
C’est un Jordi Savall enthousiaste qui participe à ce spectacle d’ouverture de saison pour le corps de ballet et ce, d’autant plus, qu’il vient d’enregistrer ces deux musiques de ballet, un art qui n’est pas tellement fréquent dans le répertoire du musicien bavarois. Il estime que la danse contemporaine peut fort bien se marier avec la musique ancienne et d’autant que, voilà non pas un mais deux chorégraphes qui vont œuvrer. D’autre part, c’est une musique d’une époque charnière, entre le baroque finissant et le classicisme, époque qui a vu le compositeur évoluer passablement au gré de ses propres rencontres et voyages. 1714 – 1787, une longue vie au cours d’une époque étourdissante, de musiques, et danses à travers l’Europe, en diligences sur chemins caillouteux et semés d’embûches.
Quelques mots sur Christoph Willibald Gluck, dit le Chevalier Gluck car en effet, en 1756, le pape Benoît XIV le promut « Chevalier de l’Éperon d’or ». Bien dans son époque, le XVIIIè, un personnage qui vénère la beauté de la simplicité grecque, celui qui va poser les bases d’un opéra nouveau et revisiter le mythe d’Orphée et Eurydice. Gluck, qui fut l’objet et l’acteur de ces querelles récurrentes qui opposèrent les Italiens et les Français, les Anciens et les Modernes – en l’occurrence les piccinistes, soutiens au compositeur Niccolo Piccinni – et les gluckistes, venant après que la Querelle des Bouffons eut à ses débuts opposé Pergolese l’Italien à Rameau le français.
Gluck, venu du fond de la forêt bavaroise, un 2 juillet 1714, de milieu très modeste, une enfance familiale passée dans la grande solitude des bois, papa est garde-forestier. Ses dons seront repérés par un certain Père Cernohorsky, à Prague, qui le fera entendre, ni plus ni moins comme violoncelliste chez le prince Lobkowitz à Vienne. Le jeune homme éveille l’intérêt d’un prince lombard, Melzi, qui le conduit à Milan. Et le voilà confié à l’illustre Sammartini, et c’est ainsi que Gluck commence sa carrière de compositeur en écrivant des opéras italiens donnés en Italie et à Londres, où il se rend. Une halte à Paris où il entend des opéras de Rameau. De Londres, ce sera Dresde puis l’Autriche, le Danemark et re-les duchés italiens. Dès 1754, Il est le précepteur de Marie-Antoinette et dirige l’Opéra de la Cour à Vienne où il reste 14 ans.
C’est là qu’il va écrire Don Juan, son premier ballet pantomime, puis l’opéra Orphée et Eurydice en 1762 et en 1765, Sémiramis deuxième ballet, et quelques opéras. Mais, brusquement, il n’aura plus qu’une idée en tête : rejoindre Paris. Là, subjugué par ce qu’il y découvre, ici seulement pense-t-il, une conception neuve et personnelle du drame lyrique pourra triompher. Ce sera une Iphigénie en Aulide, d’après Racine, une pareille œuvre qui va “tuer“ tous ceux qui ont existé jusqu’à présent. Dans cet opéra, apparition pour la première fois de la grosse caisse. Il aura tout l’appui de son ancienne élève, la dauphine Marie-Antoinette. On est le 19 avril 1774. C’est le retour à une conception plus saine du théâtre chanté qui va prendre l’aspect d’un coup d’état révolutionnaire où tous les droits de la musique et du drame sont respectés. Les principes réformateurs de Gluck sont : la musique va seconder la poésie en renforçant l’expression du sentiment et l’intérêt des situations. Adieu les ornements superflus. De cet opéra, Jordi Savall et son ensemble vous donneront une Suite d’orchestre venant fort à propos dans le spectacle.
Mais avant de remettre le drame au cœur de l’opéra quand il est à Paris, Gluck aura contribué à la transformation de l’art chorégraphique de son temps. Associé au maître de ballet Angiolini, il épouse l’audacieux projet de Raneiri de Calzabigi (1714-1795), le traducteur de Metastasio dit Metastase, son défenseur, son propagateur, Calzabigi qui ambitionnait, à Vienne, de faire de la danse un langage narratif complet. Ce dernier écrira : « J’ai pensé que la seule musique convenable à la poésie dramatique, et surtout pour le dialogue et les airs que nous appelons d’azione (d’actions, tout comme le ballet d’action) était celle qui approcherait davantage de la déclamation naturelle. », qui rejoint Gluck qui, lui-même écrira : « Éviter tous les abus qui, du plus pompeux et des plus beaux des spectacles, avaient fait le plus ennuyeux et le plus ridicule. Refuser la vocalise gratuite et renoncer à la formule de l’aria da capo quand elle ne répond pas à la signification du texte et de la situation dramatique. » Ces deux ballets pantomimes, qui doivent beaucoup aux sources littéraires françaises, ont imposé en Europe l’art évocateur de Gluck. Les concernant, Gluck collaborera avec l’un des plus grands chorégraphes du XVIIIè, le dénommé Jean-Georges Noverre dont la trentaine de Les Lettres sur la danse restent la référence absolue sur la danse de son époque. Celle-ci, pour s’élever au rang des arts d’imitation, doit se forger un nouveau langage. Jusque-là, elle était muette. Désormais, le geste mû par le sentiment et les passions, juste et expressif, servira à dire ce que rien ne peut exprimer. En opposition à la danse mécanique ou d’exécution, ce geste sera le fondement de la danse pantomime en action.
« La première ne parle qu’aux yeux, et les charme par la symétrie de ses mouvements, par le brillant des pas et la variété des temps, par l’élévation du corps, l’aplomb, la fermeté, l’élégance des attitudes, la noblesse des positions. Ceci n’offre que la partie matérielle. La seconde est l’âme de la première ; elle lui donne la vie et l’expression, et, en séduisant l’œil, elle captive le cœur et l’entraîne aux pus vives émotions. Voilà ce qui constitue l’art. » J-G. Noverre
Créé en 1761, Don Juan défie les normes sociales comme il bafoue les lois divines. Edward Clug est en charge de la chorégraphie. Marko Japelj de la scénographie, Leo Kulas des costumes et Tomaz Premzl des lumières.
Créé en 1765, Sémiramis, reine de Babylone, se choisit un époux en ignorant qu’il s’agit de son fils. Angel Rodriguez est le chorégraphe. Les lumières sont pour Nicolas Fischtel, les costumes pour Rosa Ana Chanza Hernandez et la scénographie pour Curt Allen Wilmer et Leticia Gañán.
À chacun, un spectre apparaît pour annoncer le châtiment suprême. Pour Don Juan, la référence principale est bien sûr Molière mais on peut remonter jusqu’à Tirso de Molina, ce que fait Jordi Savall qui note des réminiscences de danses de l’Espagne baroque chez le compositeur.