Eva Kristina Mindszenti présente ses photographies dans l’exposition 120 Dalí de la Galerie Blanco Mora à Cadaqués: “En cet instant précis, j’ai juste envie de savourer ma chance.”
L’histoire de l’art est jalonnée de collaborations évidentes ou inattendues, feux de paille ou déployées sur des décennies. Elles importent autant que les œuvres elles-mêmes. L’exposition collective 120 Dalí, proposée par la Galerie Blanco Mora à Cadaqués, accueille les œuvres d’Eva Kristina Mindszenti, et il est clair que ce n’est pas une simple question de photographie. Nous avons rencontré l’artiste plasticienne et écrivaine toulousaine pour une interview.
Vous exposez tout le mois d’octobre vos photographies au sein d’une exposition collective consacrée à Salvador Dalí à la galerie Blanco Mora à Cadaqués. Racontez-nous comment tout cela s’est décidé.
J’aime l’Espagne, la Catalogne, Cadaqués est comme une deuxième maison. J’aime m’y réfugier hiver comme été. Je suis entrée pour la première fois dans la galerie Blanco Mora en tant qu’amatrice d’art, pour visiter l’exposition du peintre argentin Joaquín Lalanne. J’ai rencontrée sa directrice, Verónica Mora, et j’ai beaucoup apprécié la passion et l’acuité avec lesquelles elle parlait de ses artistes et de leurs œuvres. De fil en aiguille, nous avons discuté de nos vies. Je suis revenue visiter l’exposition suivante. Entre-temps, Verónica s’était renseignée sur mon travail. Elle m’a proposé de rejoindre sa galerie et de représenter mes photographies. Ce fut une rencontre naturelle, et c’est une collaboration basée sur une estime mutuelle, moi pour son travail de galeriste, qui est remarquable, et elle pour mon travail de photographe plasticienne.
Le Festival International de Photographie InCadaqués, durant lequel se déroule ce projet, est l’occasion de commencer cette coopération.
Quitte à abuser d’un élément de langage: c’est donc une belle rencontre ?
C’est exactement ça, professionnellement, mais aussi, humainement. J’ai envie de dire: professionnellement parce que humainement. Je suis épouvantablement sentimentale. Je ne peux travailler qu’avec des personnes que j’aime. C’est évidemment une faiblesse, mais c’est comme ça.
Quelles sont les choses que Verónica Mora et vous partagez ?
Il n’y a pas de différence entre l’art et ma vie, et il en est de même pour Verónica. Elle est galeriste et épouse d’artiste peintre, sa vie est rythmée par son travail dans sa galerie de Cadaqués et les foires internationales d’art contemporain. Elle travaille aussi bien avec les États-Unis que l’Amérique Latine. Tout son temps et son énergie sont dirigés vers la création artistique.
J’ai des déformations professionnelles prégnantes. Un trajet en voiture est pour moi une succession de clichés photographiques, une scène perçue à la terrasse d’un café est le début d’une narration. Plus jeune, j’étais frénétique dans la restitution de ces expériences. J’exposais beaucoup et publiais régulièrement. Mais à l’inverse, des événements du quotidien, des décès, des maladies, sont aussi venus influencer ma façon de vivre mon travail. Aujourd’hui, je chéris la discrétion et la patience. Montrer moins, mais mieux.
Parlez-nous de l’exposition.
Son titre, 120 Dalí, fait référence à l’âge que ce dernier aurait eu aujourd’hui. Elle s’articule autour de trois thématiques qui l’ont passionné toute sa vie: sa terre natale, les femmes et lui-même.
Elle réunit quatre artistes. Marc Lacroix, proche collaborateur et portraitiste privilégié de Salvador Dalí. Décédé en 2007, ses enfants ont confié à la galerie ses clichés iconiques. A ceux-ci répondent les œuvres d’Hervé Donnezan réalisées autour du peintre catalan. Ce sont deux regards différents qui dialoguent et se complètent. Daniel Loewe présente un travail architectural autour de Cadaqués, fief de Dalí. Il est l’auteur d’une expression infiniment exigeante et personnelle. J’y expose une série explorant la construction de l’intimité féminine. Si je regarde en arrière, mes travaux, œuvres graphiques ou livres, ont toujours eu le même soubassement. Derrière chacun d’eux se retrouvent les questions de féminité, d’identité et de résilience. On crée avec ce que l’on vit. Ce sont les trois questionnements qui, au quotidien, ont empli ma vie.
On sent en vous une allégresse particulière autour de cette exposition.
Comme je vous l’ai dit, je suis une grande sentimentale, ce qui, au quotidien, m’a surtout rapporté des ennuis. Mais s’il y a une chose que j’ai comprise quand on fait un métier de création, c’est l’importance d’être fidèle à ce que l’on est. C’est la première fois que j’expose en Espagne, et cette première fois se déroule dans un lieu qui compte particulièrement à mes yeux. Cadaqués appartient à ma vie personnelle. Je n’aurais pas pu rêver meilleur endroit pour une première fois. Enfin, l’événement se déroule à l’occasion du Festival InCadaqués, manifestation majeure de la photographie contemporaine. C’est donc l’un de ces rares alignements planétaires parfaits.
Que peut-on vous souhaiter ?
J’apprécie cette question, mais je ne ressens pas le besoin qu’on me souhaite quoi que ce soit.
J’ai eu cinquante ans cette année, cela fait bientôt vingt-cinq ans que je fais ce métier. Le public projette souvent une image quasi romantique sur le monde de l’art, mais en réalité, c’est une industrie, aux règles âpres, comme toutes les industries. Ses acteurs, artistes ou marchands d’art, doivent constamment lutter pour trouver et maintenir des canaux de diffusion et de vente. C’est un milieu qui n’est pas exempt d’intrigues, de trahisons et de coups bas. Une rencontre simple et humaine comme celle de Verónica est une chance. En cet instant précis, j’ai juste envie de savourer ma chance.
Exposition 120 Dalí
Galerie Blanco Mora
Carrer Bellaire, 6
17488 Cadaqués, Girona Cataluña / España
Vernissage le 5 octobre
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Festival International de Photographie InCadaques • Du 3 au 13 octobre 2024