Cette neuvième et dernière saison de Sébastien Bournac aux commandes du Sorano est écrite et elle a des accents politiques et engagés sous toutes ses formes. Car qu’on ne s’y trompe pas, « la poésie et la joie c’est aussi politique. » L’important est « de créer du désir de théâtre, (…) et de garder une fenêtre ouverte sur le monde. »
Le silence de la parole sourde entame cette nouvelle saison le 14 septembre, avec Tellement sympa et la comédienne Emmanuelle Laborit. Cette pièce en langue des signes (sous-titrée en français) aborde le thème des violences du couple et du recueil de la parole. Dans La nuit se lève – un spectacle déjà joué au ThéâtredelaCité l’an dernier et présenté par le Sorano –, il est aussi question d’une libération de la parole mais cette fois à propos de l’inceste. Une fiction théâtrale très documentée, enjouée, rythmée et touchante dans sa justesse de ton. Parfois le danger vient de nulle part et la menace, mystérieuse, plane au-dessus de nous comme dans Trois petits cochons, qui emprunte autant au fantastique, qu’à la comédie et au polar. Et dans d’autres cas, le danger est en nous : Je vis dans une maison qui n’existe pas (déjà présenté il y a 2 ans), raconte, dans une prose crue sous le vernis du conte enfantin, la détresse d’une personne souffrant du trouble dissociatif de la personnalité, et pousse la réflexion sur les causes sociétales de cette déflagration. Le danger vient aussi de l’intérieur avec Le Papier peint jaune, ce texte de la littérature féministe et fantastique des États-Unis de 1890, qui trouve à la dépression une porte de sortie par le pouvoir de l’imagination. L’émancipation et la reconstruction sont aussi en jeu dans Je préfère regarder par la fenêtre, qui traite des secrets de famille, soutenue par la vibrante consolation du violoncelle.
Nora, Nora, Nora ! qui ouvrira ce neuvième opus du festival Supernova — dédié à la jeune création —, tout comme Zoé, sondent la sphère familiale : Nora en déboulonnant ce chef d’œuvre d’Ibsen, Une maison de poupée, et en imaginant une suite à travers un prisme engagé et ébouriffant ; et Zoé en revisitant le deuil, et en le maquillant d’une joie reconstructrice. Et comme il n’y a pas de The End sans The Beginning (avec et au Garonne), le duo burlesque franco-anglais Bert & Nasi imaginera la fin, ou les fins du monde possible avec humour et revisitera nos débuts, nos commencements. La circassienne Dori aussi fait un bond dans son passé, et son enfance devient un prétexte à la sensibilisation au consentement (à partir de 5 ans).
L’engagement, la prise de position, le combat pour ses idées s’infiltrent tout au long de cette saison dans de nombreux spectacles. À commencer par les poètes russes de la révolution chantés par Christian Olivier (chanteur des Têtes raides). Puis du réquisitoire contre les armes à feu de Never twenty one aux Forteresses de ses trois femmes iraniennes, dont l’une a connu l’exil, prises dans le feu d’une région tourmentée, jusqu’à Niquer la fatalité avec l’hommage à cette avocate militante Gisèle Halimi, accompagné de deux musiciens. À huis-clos et Olivier Masson doit-il mourir ? reprennent aussi le pouvoir du juridique et de ses limites : le premier à travers la libération d’un meurtrier et le second au sujet de l’euthanasie. Avec Cécile, l’engagement prend de multiples formes et se déplacent autant sur le terrain de l’écologie que de la défense des migrants. Alors que Génération Mitterrand analyse l’espoir d’un renouveau et décortique avec drôlerie la fracture de la Gauche, c’est par la danse de la chenille que la Kermesse déjantée ose une réconciliation nationale.
Et si justement il y avait de la résilience dans l’exagération ? Une irritation, ce roman de Thomas Bernhard adapté par la Compagnie Tabula Rasa de Sébastien Bournac, distille cette joie de la détestation qui brise les conventions et fait voler en éclats les beaux atours d’une société viennoise sclérosée d’intellectuels provinciaux. De l’exagération il y a en aussi dans Live de Stéphanie Aflalo, qui tourne en dérision les rituels des grands concerts de pop stars. Stéphanie Aflalo proposera aussi deux autres performances : l’une avec une plongée hilarante dans la pensée du philosophe Wittgenstein et l’autre en conférencière autoproclamée de l’art.
Toujours dans le registre décalé, Tenir debout s’interroge sur le sens de cette quête de beauté, à contre-courant d’une époque féministe, après avoir infiltré le concours de Miss Poitou-Charentes en 2020. Contact, pour sa part, illustre notre dépendance aux nouvelles technologies à travers l’histoire d’un metteur en scène qui tente d’imposer une détox à sa petite troupe d’acteurs. À contrario, c’est un bond en avant que la dystopie Hope Future nous propose, avec cette mission de sauvetage d’une planète en proie à une pluie de cendres.
Et avant de sauver tout le monde, ne faut-il pas se sauver soi en se changeant en monstres par exemple avec Les Marginaux, ou en revisitant le mythe de M comme Médée. Se sauver coûte que coûte, à dos d’âne s’il le faut : un âne interprété par Gwenaël Morin, qui ébouriffe cette fois le Quichotte de Cervantes en compagnie de Jeanne Balibar. Se sauver par la mer, au son d’une Ode maritime, bercée de fado et musique électro, et envoûtée par la poésie de Fernando Pessoa. Se sauver de la futilité, du vide, par l’absurde avec Les galets au Tilleul sont plus petits qu’au Havre ou se sauver du danger, avec une mise en scène cinématographique de l’adaptation de ce roman d’Alain Guiraudie, Et j’en suis là de mes rêveries.
Et que reste-t-il après tout ça, quand les lumières s’éteignent ? Réponse avec After Show et sa galerie de personnages irrévérencieux et bouffons comme un remède à l’angoisse de toutes nos fins.
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