- Au cœur de l’été luchonnais, même protégé par l’air des montagnes, l’Église Notre-Dame de l’Assomption est un havre de fraicheur où le public se presse pour les concerts organisés autour de l’orgue « Aristide Cavaillé-Coll », ce vénérable Monument Historique, par AVOCaCOL (1). Derrière cet acronyme quelque peu mystérieux se cache l’association « Les Voix de l’Orgue Cavaillé-Coll de Luchon », animée par l’organiste titulaire de celui-ci, Monsieur Erwan Letertre (2), dont le moins que l’on puisse dire est qu’il fait preuve d’un bel éclectisme. Pour sa 3° saison, l’Orgue est à l’honneur bien sûr: sans oublier la venue d’un facteur d’orgue pour une présentation éclairée sur cet instrument monumental, il le fait dialoguer avec la guitare, le dessin, le piano, mais aussi le cinéma !
C’était pour moi l’occasion de faire découvrir à mon petit-fils de huit ans la magie de l’Orgue, dans ce lieu inspiré, où la musique de l’instrument fabuleux semble tomber du ciel sur nous pauvres humains, pécheurs ou non.
Lors du concert de deux jeunes prodiges, Alma Bettencourt, 20 ans (!) organiste, et Martin Jaspard, 19 ans (!) pianiste, il a été sidéré par le poème symphonique de Ravel, Ma mère l’Oye, mais surtout, et moi avec lui, par l’Apprenti sorcier de Dukas, qui a inspiré le génial Fantasia de Walt Disney, avec Mickey Mouse dans le rôle-titre, que je lui ai fait découvrir l’an dernier.
Grace à la vidéo filmée en direct et retransmise sur l’écran géant, il était fascinant de voir en grand les mains de l’organiste courir sur les trois claviers, et les quatre mains amies tirant les registres auxquels elle ne pouvait accéder elle-même (sauf à avoir 6 mains donc) sur cette œuvre pléthorique, sans oublier les 4 pieds activant les pédaliers.
Et je me suis remémoré quelques vers du poème Ad Maximam Mosomagi Organi Gloriam de François Gellé à la gloire des 3 orgues de l’abbaye de Notre-Dame de Mouzon, sur des extraits duquel Marc Pinardel, organiste titulaire des grandes orgues de Notre-Dame de Grâce de Passy à Paris, a improvisé lors de son concert du samedi 5 juillet 2003:
Des piédestaux massifs jusqu’au plus frêle arceau
Tremble tout l’appareil du gothique vaisseau.
Tant ces voix de métal sont puissantes et graves
Qu’on les croirait sortant de titanesques caves.
Comme après un courroux à l’instant assouvi,
Les gammes à présent explorent à l’envi
Les confins élevés où l’éther éparpille,
Tantôt en crescendo et tantôt dans un trille,
Un hymne simple et doux dont la morne teneur
Force au recueillement sur un mode mineur… (*)
Mais mon petit-fils, captivé par Buster Keaton (1) depuis que sa maîtresse d’école lui a fait découvrir le génial enfant de la balle du vaudeville itinérant de sa famille, devenu star du cinéma muet, ne voulait surtout pas rater la projection du Mécano de la Générale, et je n’ai pas hésité un instant à l’y emmener, d’autant qu’elle était accompagnée, enluminée musicalement devrais-je dire, par l’organiste David Cassan.
Surnommé « l’homme qui ne rit jamais », Buster Keaton, cet humoriste du temps du cinéma muet, est resté célèbre pour son flegme proverbial. C’était avant tout un mime exceptionnel, mais aussi un acrobate remarquable: ce n’est pas un hasard si « Buster » (« pote ») signifie aussi « casse-cou » tant les cascades qu’il a réalisées (et qui n’avaient rien à envier à celles de Tom Cruise), en particulier avec cette locomotive folle, sont époustouflantes.
On dit qu’il a inspiré Le clown triste peint par Georges Rouault (1871-1958); en tout cas, son visage blanc aux grands yeux noirs reste gravé dans toutes les mémoires. Génie du tragi-comique, ce Pierrot lunaire dont le maquillage coulait souvent était profondément émouvant.
Par Bain News Service
Une fois de plus, j’ai été subjugué par la magie du noir et blanc, mais aussi fort réjoui par la satire des militaires de quelque obédience soient-il, du simple soldat aux gradés, qui en prennent tous pour leur grade, c’est le cas de le dire… Seul petit bémol à mon plaisir, le personnage féminin, énamouré par le prestige de l’uniforme, quelque peu nunuche, à qui le scénario fait subir de nombreuses avanies.
Dans ce film de 1926, Buster Keaton incarnait un mécanicien de locomotive qui, pendant la guerre de Sécession, partait à la recherche de sa locomotive après qu’elle eut été volée par des soldats nordistes et son amoureuse enlevée par la même occasion: il réussissait à les ramener saines et sauves, la locomotive et la fiancée, au prix de nombreuses péripéties qui ne l’épargnaient pas, bien au contraire.
À sa sortie, le film ne remporta qu’un succès limité, surtout en regard de son imposant budget.
Mais aujourd’hui dans cette église de Bagnères-de-Luchon, sa prestation sur l’écran géant accompagnée par celle de David Cassan (4), leur a valu à tous les deux une salve d’applaudissements qui se serait volontiers transformée en standing ovation comme disent les Anglo-Saxons, ovation debout, si le caractère sacré du lieu n’avait retenu le public enchanté.
Même si cet organiste spécialiste de Bach dont la renommée internationale est totalement justifiée, est coutumier de ce genre d’exercice, sa performance totalement improvisée, restera dans les mémoires longtemps après que les feux de la rampe se soient éteints.
En musique, l’improvisation est le processus par lequel le musicien crée ou produit une œuvre musicale spontanée, imaginaire ou ex nihilo, en se servant de sa créativité dans l’instant, de son savoir technique et théorique et parfois aussi du hasard. Aux XVIIIe et XIXe siècles, l’improvisation occupait une place centrale dans la musique et l’on venait de loin écouter Bach, qui était capable d’improviser une fugue à quatre voix, mais aussi Mozart, Beethoven ou Liszt. Mais cette pratique, sauf chez les organistes, s’est perdue à partir de la fin du XIXe siècle, mis à part avec les jazzmen américains du XXe siècle, Keith Jarret, ou encore aujourd’hui André Manoukian, qui l’ont faite briller. Les organistes n’ont cessé de perpétuer cette tradition; avec brio comme David Cassan pour ce ciné-concert d’anthologie.
L’organiste est habile et l’âpre gravité
De l’œuvre sous ses doigts croît en intensité.
Avec le grand plein jeu dont les voix retentissent
Les accords de pédale alternent et grandissent,
Les basses un instant paraissent l’emporter
Sur un thème obstiné maintes fois répété…(*)
Et mon petit-fils, outre son affection pour Buster Keaton, n’est pas près d’oublier l’émerveillement qu’a suscité en lui l’Orgue, Effrayant monument qu’un génie enfanta ! Effet prodigieux ! Terrible toccata ! (*)
Pour en savoir plus :
1) La mission de l’AVOCaCoL est de préserver et de mettre en valeur l’orgue de Luchon, fabriqué par Aristide Cavaillé-Coll (1865), restauré par Jean-Baptiste Puget (1912), modifié par Maurice Puget (1942), restauré partiellement par la Maison Danion-Gonzalez (1963), restauré complètement par Robert Chauvin (1992) et relevé par Charles Sarelot (2018).
A l’origine, on avait installé dans l’Église de Bagnères-de-Luchon un orgue de taille modeste fourni par Vincent Cavaillé-Coll, le frère aîné d’Aristide, inauguré en 1855. Il a été quelques années plus tard, décidé d’acquérir un nouvel instrument plus en rapport avec la taille de l’édifice et avec l’accroissement du nombre de fidèles et de curistes, accroissement lié au développement de la cité thermale. On fit donc appel au très célèbre facteur d’orgues dont les ateliers sont à Paris et qui était alors au faîte de sa gloire. Cavaillé-Coll proposa, dans un devis daté du 14 février 1870, une très belle occasion. Il s’agit d’un instrument qu’il avait fabriqué en 1865 et placé dans un buffet de récupération datant du XVIIIe siècle. Cet orgue se trouvait déjà monté dans ses ateliers de l’avenue du Maine à Paris… ce sera le grand orgue actuel de l’Eglise de Bagnères-de-Luchon !
Vous pouvez soutenir l’action de l’AVOCaCoL qui, par la musique et les concerts, se veut un lien entre les publics les plus larges et partager avec ceux-ci des moments musicaux forts, y compris au bénéfice d’organismes caritatifs suivants comme le CCFD (Comité catholique contre la faim et le développement, manifestant sa solidarité auprès des populations les plus pauvres, qui, à travers le monde, sont victimes de crises économiques ou sociales. et le Secours catholique, présent auprès de ceux qui sont en difficulté sur notre territoire.
7 avenue Carnot 31110 Bagnères-de-Luchon
2) Erwan Letertre, né à Nantes en 1978, attiré par la musique dès son plus jeune âge et commençant l’étude du piano à 11 ans, il débute l’apprentissage dès 1992. Entre 1992 et 1999 Erwan tient les orgues de l’église Saint-Martin de Vertou, en Loire-Atlantique. Puis de 2003 à 2011, toujours en Loire-Atlantique, il est organiste à la paroisse Saint-Vincent-des-Vignes de Vallet, où il joue sur les orgues de Vallet, Mouzillon, la Regripière, la Chapelle-Heulinet et le Pallet. Depuis janvier 2019, Erwan Latertre tient régulièrement les claviers de l’orgue de Luchon dont il est nommé Erwan Letertre est officiellement nommé organiste titulaire du Grand Orgue Bagnères-de-Luchon le 15 Août 2020. Il est Président de l’Association « Les Voix de l’Orgue Cavaillé-Coll de Luchon » (AVOCaCoL).
3) Joseph Frank Keaton Junior, dit Buster Keaton, est un acteur, réalisateur, scénariste et producteur américain né le 4 octobre 1895 à Piqua (Kansas) et mort le 1er février 1966 à Hollywood (Californie), qui a marqué le cinéma muet au point d’être (presque aussi célèbre que Charlie Chaplin.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Buster_Keaton#
4) David Cassan, né en 1989, est un organiste et improvisateur français, concertiste international, co-titulaire des grandes orgues du Temple protestant de l’Oratoire du Louvre et professeur d’orgue aux conservatoires à rayonnement régionaux du Grand Nancy et de Saint-Maur-des-Fossés.