Les jeudi 4 et vendredi 5 juillet derniers, le Festival de Toulouse donnait carte blanche à Ibrahim Maalouf et à l’Orchestre national du Capitole de Toulouse. A 21h, le Théâtre de la Cité, en partenariat avec la Fondation Antoine de Saint Exupéry accueillait l’hommage à l’auteur du Petit Prince à l’occasion de la commémoration nationale des 80 ans de sa disparition.
Au cours de ces deux concerts, le Festival de Toulouse célébrait cette commémoration avec la création mondiale de l’œuvre-hommage d’Ibrahim Maalouf : un moment fort de cette troisième édition du Festival, accompagnée avec ferveur par l’association AIDA qui soutient les activités de l’Orchestre national du Capitole.
Le vendredi 5 juillet notamment, une foule compacte et chaleureuse acclamait le programme musical riche et ouvert imaginé par Ibrahim Maalouf. Rappelons qu’Ibrahim Maalouf, né à Beyrouth, est un trompettiste franco-libanais, également compositeur, arrangeur, et producteur. Musicien complet, il hérite de son père, Nassim Maalouf, qui fut l’élève de Maurice André, un talent de trompettiste de tout premier plan.
Le programme musical qu’il dédie à Antoine de Saint-Exupéry rassemble des œuvres d’une réjouissante diversité. Au cours de ces deux concerts, l’Orchestre national du Capitole est dirigé par Sébastien Rouland, Directeur général de la musique (Generalmusikdirektor) au Saarländische Staatstheater de Sarrebruck. Il ouvre la soirée avec deux œuvres du compositeur américain d’aujourd’hui Philip Glass, considéré comme l’un des créateurs les plus influents de la fin du XXᵉ siècle. On l’associe le plus souvent au mouvement expérimental américain des années 1960 qualifié de minimaliste ou répétitif. La pièce Fantastic Voyage, qui ouvre la soirée, constitue le premier mouvement de sa Symphonie n° 12. Elle est jouée ici dans un arrangement orchestral subtil (l’original comporte une voix féminine transposée ici instrumentalement) qui en souligne le caractère fébrile et parfois inquiétant.
L’autre pièce de Glass explore une atmosphère plus apaisée, presque contemplative. Il s’agit du premier mouvement de sa Suite Symphonique The Hours dans laquelle le piano joue un rôle soliste important. Ce rôle est confié à Inessa Lecourt, bien connue et appréciée au sein de l’orchestre et en musique de chambre. La direction de Sébastien Rouland témoigne ici d’une remarquable souplesse.
Ibrahim Maalouf fait enfin son apparition, d’abord comme soliste. Comme il l’expliquera plus tard, il conserve une passion intacte pour le grand répertoire classique. Il choisit ce soir-là de jouer le très virtuose Concerto pour trompette et orchestre composé en 1803 par Johann Nepomuk Hummel, ce contemporain de Beethoven très prolixe en pièces pour piano seul. Son unique concerto pour trompette a été conçu pour mettre en valeur la nouvelle « trompette à clés », récemment inventée, et qui permettait une plus grande vélocité d’exécution que la trompette naturelle. Ibrahim Maalouf en offre une interprétation stupéfiante de virtuosité et de précision, mais pas seulement. Sa musicalité, son sens des nuances font ici merveille. On admire autant la variété de son jeu, aussi assuré dans les passages staccato ou legato, que la dynamique de son émission qui lui permet des crescendos et des decrescendos irrésistibles. Une ovation enthousiaste du public salue légitimement cette splendide interprétation admirablement soutenue par un accompagnement orchestral impeccable.
La seconde partie de la soirée s’ouvre sur une œuvre rare d’Astor Piazzolla, Tangazo, sous-titrée « Variations sur Buenos Aires », et marquée de l’esprit du tango. Un climat initial inquiétant laisse progressivement la place à une effusion plus animée. Dans la section centrale, plus rapide, la signature rythmique caractéristique du tango se fait plus perceptible. Les instruments à vent, notamment le cor et le hautbois, délivrent des thèmes d’une belle mélancolie. Une face peu connue du grand Piazzolla.
Le programme annoncé de ce concert (mais pas encore la soirée musicale !) s’achève sur la création mondiale de l’Hommage à Antoine de Saint-Exupéry signé Ibrahim Maalouf lui-même. Il s’agit d’une pièce assez brève (une dizaine de minutes) pour trompette solo, chœur et orchestre aux accents cinématographiques. Le chœur A bout de Souffle, dirigé par Stéphane Delincak, se joint à l’orchestre et entonne une participation sans parole, tel un hymne à la liberté (« tout au moins jusqu’à dimanche soir » comme le mentionne avec malice le compositeur en ce 5 juillet…). Cette belle pièce développe un thème ample et généreux énoncé par la trompette et qui s’inscrit instantanément dans les mémoires. Elle témoigne d’une autre facette du talent de musicien d’Ibrahim Maalouf, celle de compositeur.
Acclamés debout par un public conquis, les musiciens prolongent la soirée avec une riche série de bis qui s’ouvre sur un autre hymne, celui véhiculé par la chanson de Claude Nougaro, Toulouse publiée initialement sous le titre Ô Toulouse. Ibrahim Maalouf en offre une version dans laquelle sa trompette chante le texte si cher au cœur des Toulousains ! Les acclamations réclament alors un bis supplémentaire qui amène un piano à l’avant-scène. Un piano sur lequel Ibrahim Maalouf développe le thème d’une chanson nostalgique, « Dans les forêts de Sibérie ». Le musicien réclame à cette occasion la participation du public qui est prié de chanter la mélodie. Ce qu’il fait après quelques répétitions et essais timides. Toujours aussi enthousiastes, les spectateurs obtiennent de celui qui est donc également pianiste une prolongation supplémentaire. Il s’agit cette fois d’une berceuse destinée à endormir son fils. Le public n’en manifeste pas moins ses remerciements sonores jusqu’au départ des musiciens.
Cette rencontre joyeuse et intense démontre une fois de plus la double qualité de musicien multiple et de communiquant d’Ibrahim Maalouf. Le Festival de Toulouse poursuit avec bonheur sa route musicale.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse