Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre à redécouvrir.
Les enfants qui mentent n’iront pas au paradis de Nicolas Rey
Chez Nicolas Rey, dont il faut lire le récent et drolatique Médecine douce, on aime ce mélange de burlesque et de pathétique, de comédie acide et de douce mélancolie. Prenons ainsi Les enfants qui mentent n’iront pas au paradis sorti en 2016. Gabriel vient d’avoir quarante ans et son grand amour, Justine, l’a quitté. Écrivain dilettante, sa carrière d’« acteur putatif » a du mal à décoller bien que son agent, le sémillant Auguste, ait décroché une publicité pour Franck Provost : « Ils sortent un nouveau shampoing pour cheveux blancs. Ils ont pensé à toi. » Même la paternité ne semble pas avoir changé la façon de vivre de cet éternel jeune homme. Cependant, grâce à son fils, Gabriel va rencontrer la femme de ses rêves en la personne de l’institutrice du petit Hippolyte.
Catherine a cinquante ans, deux divorces à son actif et « trois enfants dont l’aîné est en taule pour encore six mois », mais elle est belle comme Sigourney Weaver, libre, sauvage, sensuelle, forte. Pour arrondir ses fins de mois, elle a monté une rémunératrice activité de locations de costumes et de déguisements. Le coup de foudre entre les deux est immédiat. Un détail cependant : Catherine est une fervente militante du Parti National, le mouvement d’extrême droite qui a le vent en poupe dans les urnes et dans les têtes de l’Hexagone…
Entre Rohmer et Californication
Gabriel a beau être un artiste « dégagé » et avouer qu’il n’est pas un écrivain de gauche (« Parce que j’admire l’individu audacieux, le backgammon et que les inégalités m’indiffèrent »), les convictions de l’être aimé lui posent toutefois un cas de conscience dont il s’ouvre à la fille aînée de Catherine. On aura compris que Les enfants qui mentent n’iront pas au paradis use d’une insolence revigorante. Les bons sentiments laissent ici la place aux sentiments. Le chemin est plus court, plus fort. À son habitude, l’auteur de Courir à trente ans, Un Léger passage à vide et L’Amour est déclaré s’invente un double poétique et tremblant, attachant, sensible, à l’étroit dans l’époque : « La pensée se résume à quelques mots mal habillés en 140 caractères. Les vieux se répètent et les jeunes n’ont rien à dire. L’ennui est réciproque. Le secret, le doute et le hasard ont disparu. Il faut filer droit : se marier, acheter une voiture à crédit, faire des gosses, travailler et partir en vacances. Nous sommes fliqués de partout. Même la nonchalance a mauvaise presse. Dès sa naissance, Gabriel était, déjà, présumé coupable. »
Cette époque, Nicolas Rey ne se prive pas d’en peindre les paradoxes et les clichés, à l’image de cette description parfaite des néo-bourgeois : « Des types à la barbe de trois jours avec un gilet APC. Que des journalistes, des architectes, des producteurs. Ça roule en bicyclette, ça vote Europe Écologie, ça soutient la Palestine, ça raffole des nouveaux bistrots décorés de mosaïques du monde entier, avec, sur la table, des tartines au fromage de chèvre et un vin de pays, « Un petit cépage », comme ils disent. Ces gens-là brunchent ensemble et abattent les murs de leurs appartements afin d’avoir des « espaces de vie ». Ils achètent des galettes de maïs, du tofu et du quinoa. » Ce roman cru et sentimental, désenchanté et joyeux, évoque la rencontre aussi improbable qu’heureuse entre Rohmer et la série Californication. Il n’y avait que Nicolas Rey pour inventer cela. Alors, on dit merci.
Les enfants qui mentent n’iront pas au paradis – Au Diable Vauvert