Ce Pelléas et Mélisande est plus particulièrement cette production au Théâtre du Capitole est bien l’œuvre essentielle du symbolisme musical, son expression parfaite, son aboutissement, son apothéose, mais aussi sa fin irrémédiable. Quatre représentations encore pour plonger corps et âme surtout dans le spectacle de cette production qui enchante l’ouvrage.
> Relire mon annonce parue concernant ce Pelléas et Mélisande.
Cet opéra veut, par la magie sonore, exprimer l’inexprimable. Il veut que le mystère des âmes soit essentiellement confié à la musique, elle seule qui donne la clef. Mise en scène psychologique donc qui ne doit entraver ni la musique, ni le chant. Tentative totalement réussie de la part d’Éric Ruf. Qui est Golaud ? Qui est Pelléas ? Qui est Mélisande ? Nous ne le savons guère. Mais qu’importe ? Ce sont trois êtres, trois jouets dans la main de la fatalité. C’est elle qui rode partout ; c’est elle qui sans cesse pousse ces enfants qui vont… et ne savent pas pourquoi. De plus, sachons que les deux héros principaux du drame extériorisent fréquemment des attitudes et des gestes en contradiction absolue avec ce qu’ils ressentent. Pelléas et Mélisande mentent. Ils mentent continuellement. Et lorsque Mélisande avoue, au sujet de son époux Golaud : « je ne mens qu’à ton frère », ce n’est là qu’un mensonge reconnu. Mensonges ou pas, non-dits ou pas, c’est là toute l’importance de l’intonation, de la prononciation, de l’articulation soutenues par une musique presqu’irréelle qui ne doit pas être polluée par une transcription visuelle trop appuyée.
Tout détail pittoresque devient inutile. On loue alors les décors voulus par Éric Ruf. Grande sobriété des formes comme des couleurs. Rien ne doit entraver l’enchantement sonore. Le regard, notre regard ne doit pas être exagérément sollicité d’où l’importance des lumières qui doivent suivre avec discrétion les fluctuations de la partition, et le livret. Réussite totale pour Bertrand Couderc. Pareil pour les costumes de Christian Lacroix pour chaque protagoniste. On ne conçoit pas qu’ils puissent être différents.
Quant à l’enveloppe musicale, avec ses climats, ses effets de transparence, ses silences qui valent musique, cet art de servir les voix, cette présence jusque dans les interludes, il faut un chef qui respire cette musique et épouse la théâtralité de la partition. Leo Hussain est à son affaire. On s’en doutait après ce bouleversant Wozzeck donné ici même il y a peu. Quant aux musiciens de l’Orchestre présents dans la fosse, ici avec un effectif plutôt chargé, il y a belle lurette qu’on ne se tracasse plus sur leur capacité à répondre présent, et donc aussi à la musique d’un Claude Debussy.
Enfin, comment ne pas aborder la réussite de cette distribution vocale qui aura patienté trois ans avant de pouvoir s’exprimer ? Trois ans pour qu’enfin la réussite du choix de chaque protagoniste nous captive ? Osons-le. On a le droit d’écrire : Merci Christophe Ghristi. Il faut les trouver les chanteurs prêts à se plier à cette rigoureuse prosodie qui suit le débit naturel du langage parlé. Capables de traiter de manière égale les phrases d’un lyrisme assez lourdement chargé du genre : « On dirait qu’il a plu sur mon cœur… » et les banalités réalistes comme : « Je ne suis pas heureuse … »
Le travail du metteur en scène est quand même plus facile quand le couple Pelléas-Mélisande se rapproche davantage d’un couple Romeo-Juliette et que Golaud est vraiment le grand frère et Arkel un grand-père. Le choix de chacun est encore plus confondant quand on aborde les tessitures et les qualités du chant. Victoire Bunel est une Mélisande comme on l’attend, la créature vaporeuse et poétique, faible et désarmée dont la douceur n’est que mensonge. Elle sait dissimuler, inventer……Elle reste marquée par le secret, gardant en elle-même un aspect obscur. Et puis, de son chant, on comprend tout ! pourtant, l’écriture n’est pas un cadeau. Phrases courtes, débit nécessaire quasi parlé, jouer l’équilibriste entre texte et musique, Debussy ne l’a pas ménagée. La scène de la tour et de la chevelure est un grand moment dans laquelle Marc Mauillon est irrésistible de jeu et de chant…et d’émotion. Quant à « Et je n’ai pas encore regardé son regard… » : il faut le déclamer ! Tout comme ce « parce que je t’aime » dans un souffle. Pelléas, un personnage entier, transparent, simplement amoureux, par son investissement de la langue et du chant exceptionnels, sonore à souhait, Marc Mauillon en est l’interprète, me semble-t-il, idéal. Lumineux de bout en bout.
Dès les premiers mots de Golaud qui ouvrent l’opéra, le ton est donné : la loi de Pelléas, c’est celle de l’enfermement, de la forêt dont on ne peut plus sortir. Les personnages vont se débattre dans un espace condamné. Le soleil – la vie – n’atteint pas cet univers étouffant. La mort seule pourra les délivrer. Avec Tassis Christoyannis, baryton-basse, le personnage de Golaud, marqué par le sang, on sait à quoi s’attendre, physique, autorité dans le jeu avec cette résignation désespérée de sa présence et incarnation vocale sont bien au rendez-vous. Il est aussi, symboliquement, l’aveugle qui devient tortionnaire de son propre fils Yniold qu’il terrorise et de Mélisande qu’il malmène physiquement, mu par des forces qu’il ne contrôle pas. Yniold, rôle de l’enfant bousculé par son père, est fort présent, interprété par Anne-Sophie Petit.
Franz-Josef Selig est Arkel en son château d’Allemonde, véritable espace de claustration, cerné, infiltré par la mort et la dégénérescence, entouré de forêts profondes et opaques, dissimulant le ciel, l’espace infini de la liberté des âmes. Avec sa voix de basse, l’accord est parfait. Projection, ligne, emphase mesurée, grandeur. Il représente l’extrême vieillesse. Il est infirme, presqu’aveugle et aveuglé.
Geneviève, mère des deux demi-frères y vit. Elle existe à peine, résignée. C’est un rôle court, psychologiquement lourd à assurer. Janina Baechle, mezzo-soprano en a la charge. Habituée du chant wagnérien, les accents “parsifaliens“ à ce moment de la partition semblent comme un clin d’œil !!
On n’oublie pas le médecin avec Christian Tréguier. Et un autre protagoniste, si on peut dire avec l’élément eau, l’eau, omniprésente, l’eau qui représente la clarté, l’espoir, l’amour mais aussi l’eau qui peut représenter les ténèbres, le désespoir, la mort, puisque c’est bien au fond de la fontaine aux aveugles que l’on retrouvera le corps de Pelléas, assassiné par Golaud, un scène que Debussy n’a pas conservé dans son livret.
> Pelléas et Mélisande ou le fol érotisme d’une chevelure
> Pelléas et Mélisande – Entretien avec Janina Baechle