La 23ème saison des Clefs de Saint-Pierre s’achevait le 6 mai dernier sur une belle rencontre de trois musiciens passionnés et en parfaite communion. Leur investissement dans la pratique de la musique de chambre, qui caractérise cette série de concert, a mis en valeur un répertoire à la fois intimiste et chaleureux.
Une étroite complicité entre les interprètes représente l’élément moteur de telles associations. Saluons celle qui réunit ce soir-là la violoniste Jaewon Kim, supersoliste de l’Orchestre national du Capitole, le jeune pianiste japonais Kishin Nagai, accompagnateur de classes de cor et de contrebasse, et celui qui a longtemps occupé avec panache le pupitre de premier cor solo de la formation symphonique toulousaine, Jacques Deleplancque.
Le programme, intitulé Romances et Secrets, réunit des œuvres de Clara Schumann et Johannes Brahms, deux personnalités du grand courant romantique allemand du XIXème siècle. Le rapprochement de ces deux compositeurs n’est pas fortuit. On se pose encore de nos jours la question : y a-t-il eu une relation amoureuse entre l’épouse du grand Robert Schumann et celui qu’il a aidé et soutenu à ces débuts, le jeune Johannes Brahms ? La musique a du mal à donner des réponses…
Quoiqu’il en soit, le concert du 6 mai débute par une œuvre rare de Clara Schumann, grande virtuose du piano, dont les compositions sont loin d’avoir eu la notoriété de celles de son époux. Il s’agit des Trois romances pour violon et piano conçues en 1853 et dédiées au grand violoniste Joseph Joachim, celui-là même qui collabora avec Johannes Brahms pour la composition de son unique concerto pour violon et orchestre. Jaewon Kim et Kishin Nagai nuancent chaleureusement l’Andante molto initial, alors qu’ils racontent une histoire avec sensibilité dans l’Allegretto. Les échanges passionnés du Leidenschaftlich schnell complètent avec vitalité ce triptyque à découvrir.
Johannes Brahms occupe le reste de la programmation. Sa Sonate pour violon et piano n° 1 en sol majeur opus 78 demeure un des grands chefs-d’œuvre du répertoire romantique de musique de chambre. Elle est parfois surnommée Regensonate (sonate de la pluie) en référence à un thème du Regenlied op. 59 nº 3 utilisé dans le dernier mouvement. Les deux interprètes animent ses trois volets avec une flamme et un lyrisme émouvant. Le chant comme vocal du Vivace ma non troppo initial ouvre la voie à un Adagio profondément dramatique au sein duquel violon et piano s’opposent et se rejoignent alternativement. Une émotion profonde mais contenue agite le final Allegro molto moderato que les interprètes concluent sur un apaisement rédempteur.
Pour la seconde partie du concert, le grand corniste Jacques Deleplancque rejoint ses deux complices pour une exécution rare et particulièrement séduisante du Trio pour piano, violon et cor composé en 1864-65 par Johannes Brahms. Le compositeur écrivit à son propos : « Un matin je marchais, et au moment où j’arrivais là le soleil se mit à briller entre les troncs des arbres ; l’idée du trio me vint à l’esprit avec son premier thème ». Le jeu virtuose et musical du corniste s’intègre parfaitement dans le discours développé par le violon et le piano. La déclamation intense de l’Andante initial s’écoule comme une discussion animée. Le dialogue vif du Scherzo évoque une sorte de compétition entre les trois composantes du dialogue. C’est dans la nostalgie touchante de l’Adagio mesto que s’exprime au plus haut point l’art du phrasé, le sens raffiné des nuances, de Jacques Delaplancque. Un vrai bonheur ! La vivacité, l’exubérance, néanmoins toujours nuancées, s’expriment avec fougue et virtuosité dans le mouvement final, un Allegro con brio qui porte bien son nom !
Le succès est tel que les interprètes reprennent cette dernière partie pour le plus grand plaisir d’une assistance comblée. Cette rencontre ne pouvait mieux conclure cette belle saison musicale des Clefs de Saint-Pierre. Le programme tout aussi appétissant de la prochaine saison sera prochainement dévoilé.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse