Le 5 mai dernier, le grand luthiste Thomas Dunford était l’invité de la dernière rencontre de la saison Toulouse Guitare. Réputé pour la musicalité et la sensibilité de son jeu ainsi que pour les programmations inventives de ses récitals, ce musicien hors du commun a conquis la vaste audience qui a rempli la belle chapelle toulousaine des Carmélites.
Lors de ce concert dominical, Thomas Dunford aborde un répertoire d’une belle diversité. De John Dowland (1563-1626) à Erik Satie (1866-1925), en passant par Girolamo Kapsberger (1580-1651), Marin Marais (1656-1728) et Johann Sebastian Bach (1685-1750), plusieurs styles musicaux se confrontent sans s’opposer dans une belle continuité expressive.
Néanmoins, la tradition qui consiste à réserver la première partie de la rencontre à l’intervention d’un ou d’une jeune guitariste est brillamment respectée ce 5 mai. C’est à la jeune Dorine Guilbaud, née en 2006 et qui a débuté la guitare classique à l’âge de 5 ans, d’ouvrir le concert. C’est avec le Divertimento n° II du compositeur et militaire français François de Fossa (1775-1849) que s’ouvre sa participation. Le jeu de la guitariste fait ici preuve d’une belle éloquence, tout en associant poésie et virtuosité. Elle joue ensuite une pièce rare intitulée Adana (4ème mouvement de la “Raga suite”) de la guitariste Annette Kruisbrink, née en 1958 à Amsterdam.
Poursuivant dans la musique du XXème siècle, Dorine Guilbaud joue finalement trois des 24 Caprichos de Goya que le Florentin Mario Castelnuovo-Tedesco (1895-1968) avait composés pour Andrés Segovia. Un beau déploiement coloré imprègne ces pièces. La n° XVII, De que mal morira, témoigne d’une extrême inventivité avec un étrange traitement du jeu des cordes de l’instrument. Les pièces n° XIV (Porque fue sensible) et n° XIX (Hilan Delgado) alternent vivacité et poésie. Le sens des nuances de l’interprète s’y exerce avec talent.
Thomas Dunford, équipé de son splendide archiluth, délivre ensuite les partitions qui composent son récital avec un mélange de perfection technique, de fine musicalité et d’imagination. Pour le plus grand bonheur du public, il ne se prive pas de présenter et de commenter les œuvres en grand connaisseur, mais également avec un humour so british irrésistible. Tout au long de son programme, il trace un chemin caractérisé par une admirable continuité d’esprit, quels que soient les sauts d’époque et les enjambements géographiques !
Six pièces du Britannique John Dowland (1563-1626) ouvrent la voie à ce voyage à travers le temps et l’espace. Parmi ces miniatures, on admire la nostalgie de A dream, celle méditative de Melancholy gaillard et surtout la touchante Lachrimae. En alternance, la danse joyeuse s’exprime dans la vigoureuse The King of Denmark’s gaillard ou dans les sautillements de Mrs. Winter’s jump et de Frog galliard.
Dans l’étonnant épisode « français » qui suit, la Gymnopédie n° 1 et la Gnossienne n° 1 d’Erik Satie (1866-1925), dans une belle version pour luth, encadrent deux pièces magnifiques du célèbre gambiste Marin Marais (1656-1728), également transcrites pour luth. Les enchaînements subtils réalisés par Thomas Dunford n’entraînent aucun hiatus entre ces pièces que pourtant deux siècles séparent. La même douceur fervente s’y manifeste. Grâce au jeu convaincant de l’interprète, toutes ces pièces, pourtant transcrites, semblent avoir été composées pour le luth !
Après l’Angleterre et la France, l’étape germanique emprunte les voix fécondes de Johann Sebastian Bach. Thomas Dunford dévoile une version pour luth de la célébrissime Suite pour violoncelle n° 1 en sol majeur, BWV 1007. Comme nous l’apprend l’interprète, elle a d’abord été composée pour luth avant d’être transcrite pour violoncelle. La succession des mouvements bénéficie de la parfaite musicalité du luthiste, suprêmement à l’aise dans tous les registres.
C’est en Italie que s’achève le voyage. La Toccata VI, de Johannes Hieronymus Kapsberger (1580-1651), extraite du “Primo Libro d’intavolatura di lauto” est suivie de Calata ala spagnola de Giovanni Ambrogio Dalza (décédé en 1508). Comme un retour aux origines du luth.
Le voyage dans le temps ne s’arrête pourtant pas là. Acclamé longuement, Thomas Dunford explore, en guise de bis, une autre Angleterre. Celle des Beatles ! Il chante d’abord, et s’accompagne avec style et talent, la célèbre Blackbird, inspirée à Paul McCartney et John Lennon de la Bourrée en mi mineur de Jean-Sébastien Bach. Il conclut ensuite, avec l’accompagnement vocal du public, sur l’universel Yesterday. Un vrai festival !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse