« Que voulons-nous ? Tout pour le public. » Christophe Ghristi
Nous nous occuperons des rubriques Ballets Concerts, Récitals et Jeune Public et Hors les murs sur l’article prochain. Dans celui-ci, seuls les opéras sont concernés. D’entrée, nous nous devons de rappeler qu’accompagnent chaque titre d’ouvrage, diverses rubriques qui vous sollicitent et qui vous étonneront par tout l’intérêt de leur contenu soit : Autour de l’œuvre avec Journée d’étude, Préludes, Conférence, Atelier d’écoute, Rencontre, Mon métier à l’opéra, suivant les titres. Ceci est bien sûr en relation directe avec la mission de la maison Opéra du Capitole au cœur de Toulouse et de sa métropole, véhicule d’excellence, d’ouverture et de partage mais encore de rayonnement afin que le talent de notre scène lyrique mais aussi chorégraphique soit saluée en France d’abord et tout autant hors de nos frontières.
Soit saluée aussi cette saison son audace, de par sa programmation et la diversité de ses propositions artistiques. Pour cela, il faut un public fidèle, mélomane et curieux, rajeuni, dont la confiance ne saurait être déçue. Cette confiance, le Théâtre l’a et les responsables le savent et comptent bien continuer à tout faire pour la conserver.
Mais passons à quelques détails :
L’ouverture de saison se fait avec un opéra-phare de Giuseppe Verdi de 1842, Nabucco, son premier véritable succès, une musique emblématique sur un moment d’histoire universel récupéré par un public qui, secoué par la ferveur patriotique, va fonder l’union italienne. La mise en scène est de Stefano Poda dont vous avez en tête toujours, aussi bien ces créations définitives de Rusalka qu’Ariane et Barbe-Bleue. Nabucco, dont un certain biographe Arthur Pougin écrira : « La partition était tellement nouvelle, tellement insolite, le style si rapide, si inhabituel que la stupeur était générale et que les chanteurs, les chœurs et l’orchestre, en entendant cette musique, montraient un enthousiasme extraordinaire. »
Sachons que dans Nabucco, on est d’abord noyé dans le chœur qui enserre les airs et adopte une fonction dramatique et agogique. Un choix très excitant d’entrée dans la nouvelle saison avec cet opéra quelque part dit maladroit, entier et mal dégrossi mais qui parle tellement et d’emblée au public, avec une musique d’une variété et d’un impact prodigieux. En un mot, tellement captivant. Un ouvrage né en pleine exubérance opératique dans la péninsule italienne et qui fera de son compositeur le grand triomphateur, lui donnant les armes pour révolutionner l’art lyrique. Et il faut voir la distribution vocale avec deux “casts“ pour les trois rôles principaux ainsi que la direction musicale avec Giacomo Sagripanti (il nous a dirigés ici le Lucrèce Borgia, il y a peu.) et Adrienne Lecouvreur à Paris il y a trois ans.
Avant la création contemporaine en novembre, petite escapade en Angleterre avec Henry Purcell et son Didon et Énée, en anglais. La reine de Carthage est chantée par la soprano bulgare Sonya Yoncheva. Le Capitole accueille l’Orchestre et le Chœur de l’Opéra royal de Versailles et leur chef, Stefan Plewniak. C’est une version de concert pour une seule représentation le lundi 7 octobre. Cet ouvrage est qualifié de chef-d’œuvre absolu de l’opéra baroque anglais. C’est pratiquement le seul opéra anglais, et il est daté de 1689. Le troisième acte reste le sommet de l’œuvre avec le fameux Lamento de Didon. Il s’est définitivement imposé au public d’aujourd’hui. Durée approximative, une heure et quart.
Autre ouvrage plus que rare pour une seule représentation aussi, le dimanche 13 octobre à 16h, d’une durée de 2 heures avec entracte, Alcina ou La Liberazione di Ruggiero dall’isola d’Alcina, opera comica en quatre scènes. Le livret est tiré du Roland furieux de l’Arioste. Il est de la compositrice Francesca Caccini, 1587–1641, fille de Giulio, musicienne la plus célébrée en son temps. Elle composait, chantait, s’accompagnant au luth, à la guitare et au clavecin de l’époque. L’ouvrage est donné avec une mise en espace de Mathilde Étienne et la direction musicale confiée à Emiliano Gonzales Toro et son ensemble Ensemble I Gemelli. Cet opéra est créé à Florence en 1625. On dit plutôt divertissement composé pour la célèbre famille des Médicis.
Novembre verra donc présenté au Théâtre le troisième opéra du compositeur Bruno Mantovani, en création mondiale, intitulé Voyage d’automne, chanté en français. Le sujet est brûlant. Il faut une complicité intellectuelle et artistique très solide pour tous les acteurs du projet, que ce soit Christophe Ghristi, Directeur artistique qui commande l’ouvrage, Bruno Mantovani qui créé la musique, Dorian Astor, dramaturge qui écrit le livret, Pascal Rophé, chef d’orchestre qui dirige. Et la distribution vocale ! Dénoncer sous l’Occupation est un sujet sulfureux et une forme de collaboration. Il en est une autre, celle qui consiste à former les futurs prêcheurs de la compromission. Et les mots sont lourds de sens. Le pari est immense.
Fin janvier, enfin une nouvelle production sur la scène “capitoline“ d’un Orphée, oui, mais aux enfers et du turbulent Jacques Offenbach, avec une toute aussi turbulente distribution vocale qui se signale dans le rôle d’Orphée par la présence du ténor Cyrille Dubois si superlatif dans Idamante du dernier Idoménée. Autour de lui, brilleront Marie Perbost, succulente La Folie dans le Platée ici même, Mathias Vidal rôle-titre dans ce fameux Platée, Céline Laborie, parfaite dans Papagena de la Flûte, parfaite dans Clorinda il y a quelques jours dans La Cenerentola,……Quant à la mise en scène, voici Olivier Py dans son premier Offenbach comique, qui va laisser en coulisses, à bon escient, noirceur et érotisme sulfureux. Par contre, musicalement, on retrouvera les nombreux emprunts à la version de 1874, notamment les ballets et les chorégraphies réglés par Ivo Bauchiero. Pour diriger l’ensemble, à la baguette, Chloé Dufresne, jeune cheffe française passée par l’école finlandaise.
Pour suivre, fin février, une nouvelle coproduction consacrée à un Haendel chanté en italien, qui fait son entrée au Théâtre du Capitole, à savoir Giulio Cesare in Egitto, Jules César, le véritable chef-d’œuvre du compositeur, créé en 1724 à Londres, regorgeant d’airs d’une virtuosité ébouriffante, de sentiments contrariés et d’actes héroïques en tous genres, et cristallisant une très large palette d’émotions propres à soutenir l’attention des spectateurs presque quatre heures.
Côté direction musicale, il ne faut pas un novice pour faire avancer ce monument de l’opéra baroque. C’est Christophe Rousset qui l’a en charge avec ses Talens lyriques et côté théâtre, la mise en scène aux accents contemporains est entre les mains de la nouvelle « coqueluche » des plateaux, Damiano Michieletto. Le rôle -titre est confié à Elizabeth DeShong pendant que nous retrouvons dans celui, entre autres de Cleopatra, Claudia Pavone, une magnifique Traviata ici même courant 2023. Quant à Achille, c’est le baryton Edwin Fardini, le très beau Schaunard d’une Bohème récente, la “Voix des outre-mer“ 2020. Le reste de la distribution vocale est sur les mêmes crêtes d’excellence.
Début de printemps 2025, c’est une reprise de la production du Capitole de 2019 de l’opéra de Vicenzo Bellini, Norma. C’est bien l’un des plus célèbres opéras de tout le répertoire romantique, donnée à Paris en 1838, et dont le succès ne sera jamais plus démenti. Son prestige, pour faire court, il le doit aux beautés de l’écriture vocale, qui allie de sublimes cantilènes à des passages de haute virtuosité et à des moments de forte intensité dramatique. La mise en scène d’Anne Delblée est toujours là, un brin remanié et l’ouvrage est dirigé par Hervé Niquet qui n’est pas connu présentement dans ce répertoire qu’il admire depuis sa jeunesse pourtant et que l’on attend donc avec impatience. Deux Norma en alternance, Karine Deshayes qui fut huit fois l’Adalgisa en 2019 et qui partagera le rôle principal en 2025 avec Claudia Pavone. Deux Adalgisa aussi, Varduhi Abrahamyan et Eugénie Joneau (voir plus loin) que nous découvrirons sur la scène du Capitole mais aussi deux Pollione, Luciano Ganci et Mikheil Sheshaberidze. Et encore deux Oroveso, l’un que nous connaissons si bien car habitué de notre scène à moult reprises, Roberto Scanduzzi et par contre, un nouveau venu, la basse Adolfo Corrado qui nous a stupéfié dans Alidoro dans La Cenerentola il y a quelques jours.
Mai sera sous le signe du Vaisseau fantôme de Richard Wagner, daté de 1843, éloigné de nos côtes “capitolines“ depuis nombre d’années. Il nous fait un retour très attendu depuis nombre d’années car, ne l’oublions pas, le public toulousain a toujours été admiratif des productions d’opéras wagnériens depuis des dizaines d’années. Une trentaine d’années en cale sèche mais les vents sont redevenus favorables et le revoilà sur les flots. Quand on apprend que c’est Frank Beermann qui tient le gouvernail, pas de souci pour le périple. Pour se charger du tracé, Michel Fau. On est confiant à 100%, du moins pour ma part, après Elektra, Ariane à Naxos, Wozzeck ici même. Et on applaudit à la prise de rôle dans cette production d’Aleksei Isaev qui fut l’Ondin dans Rusalka et le frère borgne dans La Femme sans ombre. Un magnifique baryton-basse, chanteur et acteur. Mais quelle option sera donc choisi pour le personnage principal, énigmatique, fermé sur son secret, fascinant à sa façon, sur les aspects essentiels de sa personnalité ?
Marie-Adeline Henry fut une révélation dans Jenufa, normal de la retrouver dans le rôle de la jeune fille Senta. Tout comme le ténor Airam Hernandez dans Eric, l’amoureux de Senta, ténor grandement présent dans ce que l’on peut appeler la “troupe“ du Capitole. Autre nom de cette troupe, Valentin Thill dans Le pilote de Daland, et qui fut le berger dans Tristan et Tamino dans La Flûte enchantée. Daland, c’est la basse Jean Teitgen que l’on est très pressé d’entendre au Capitole. Vite, vite, un futur Wotan ?! Quant à Eugénie Joneau, après Adalgisa, c’est donc Mary. C’est bien les deux pieds plongés en avant dans la marmite du chant pour la jeune mezzo-soprano “révélation Artiste lyrique“, et quand on connaît le talent du Directeur artistique pour dégoter les futures têtes d’affiche ! Admirez cette distribution pour Dier Fliegende Holländer ! Signalons que les Chœurs du Capitole grandement sollicités, auront tout loisir de démontrer leur excellence, tout autant que dans Norma.
La saison se termine fin juin avec Adrienne Lecouvreur. Sans ce drame ou plutôt mélodrame lyrique, qui connaîtrait aujourd’hui encore un certain Francesco Cilea ? L’ouvrage en lui-même est son plus connu des quatre mais, il ne fait pas partie du grand répertoire. Cependant, les plus grands noms féminins de l’art lyrique en tant que soprano dramatique déchaînent l’enthousiasme chez tous les amateurs de ces airs célèbres qui secouent les foules d’inconditionnels. C’est une nouvelle production de cet opéra en quatre actes, créé le 6 novembre 1902, en pleine période où les compositeurs de cette musique s’expriment dans ces phrases largement développées, dans ces scènes où l’expression extérieure est reine, mais où la mélodie jaillit avec une profusion égale à celle qui fit la gloire d’un certain Puccini.
Nous sommes en plein vérisme et la prima donna sera ici la soprano Lianna Haroutounian dans ce rôle de grande tragédienne française amoureuse du bel officier, mais prince dans l’ombre, ici le ténor José Cura. Celui-ci est déjà occupé avec la princesse de Bouillon Judith Kutasi qui n’hésitera pas à empoisonner sa rivale en lui faisant respirer le poison…caché dans un bouquet de violettes. La passion était bien le ressort principal de l’action, ressort qui anime évidemment le courant vériste. Mentionnons Nicola Alaimo qui sera parfait dans le rôle tout en finesse de Michonnet. Giampaolo Bisanti est à la direction musicale (il a dirigé Norma ici en 2019) et Ivan Stefanutti à la mise en scène. Un opéra frémissant pur jus, voix au timbre enjôleur et musique hors normes. Et les costumes devraient être éblouissants.
Fin de saison.