Avec les deux remarquables expositions qui viennent de s’ouvrir à Toulouse, Anatomie du Franquisme au Musée Départemental de la Résistance et de la Déportation, d’une part, et Cathares – Toulouse dans la Croisade au Musée Saint Raymond et à l’Ensemble Conventuel des Jacobins, d’autre part, on est en droit de se demander si cette ville ne devrait pas concourir de nouveau pour le titre de Capitale Européenne de la Culture de l’Unesco.
ANATOMIE DU FRANQUISME
Jusqu’au 24 septembre 2024
Musée départemental de la Résistance & de la Déportation
Le Musée départemental de la Résistance & de la Déportation de la Haute-Garonne (1), et le laboratoire de recherche FRAMESPA* de l’Université Toulouse-Jean Jaurès (allées… Antonio Machado) se sont associés pour apporter un éclairage inédit sur la dictature franquiste. Après le colloque organisé fin mars au Conseil départemental, l’exposition Anatomie du franquisme, est à découvrir sans attendre au Musée départemental de la Résistance & de la Déportation. Avec le soutien du Gouvernement espagnol.
L’exposition, dont le commissariat est assuré par Gutmaro Gómez Bravo de l’Université Complutense de Madrid et Diego Gaspar Celaya de l’Université de Saragosse, en partenariat avec le coordinateur du projet du projet, François Godicheau, historien-professeur à l’Université Toulouse-Jean Jaurès, est ouverte du mardi au samedi de 10h à 12h30 et de 13h30 à 18h.
Les Historiens et l’équipe du Musée de la Résistance se sont livrés à une « étude anatomique de la structure et de la forme d’un système organisé, Le Franquisme, ainsi que des rapports entre ses différents organes ».
Le colloque sur ce sujet a permis de confirmer, documents historiques à l’appui, que le Franquisme fut bien le laboratoire des grandes dictatures européennes du XX° siècle, la première, longtemps occultée et tolérée après son adoubement par les USA comme un « rempart contre le Communisme ».
Cette exposition très didactique et éducative, mériterait elle-aussi le label d’intérêt national décerné, à juste titre, à l’exposition « Cathares », Toulouse dans la Croisade, actuellement au Musée Saint-Raymond et aux Jacobins (2), que j’évoquerai dans ma prochaine chronique.
Le clair-obscur, soigneusement étudié comme d’habitude, non seulement met en valeur les pièces exposées, mais restitue aussi l’atmosphère étouffante dans laquelle devaient vivre les Espagnols de cette triste époque. Cette ambiance m’a rappelé celle du film « Une vie secrète » d’Aitor Arregi, Ron Garano et José Mari Goenaga, avec dans le rôle principal Antonio de la Torre, où celui-ci interprète avec une grande justesse un Républicain qui a passé toute la dictature caché dans une pièce secrète de la maison de son épouse, pour éviter le peloton d’exécution, et cela pendant trente-trois ans (!).
Parmi les pièces exposées, des toiles contemporaines représentent bien la censure, le contrôle et le manque de liberté d’une société franquiste profondément patriarcale.
Silencio (Silence) de 1953 de Juana Francés représente une femme qui se tait… ou que l’on fait taire: encore plus qu’ailleurs, les femmes (et les artistes femmes) étaient totalement sous la férule masculine.
L’Olor de soga, l’odeur de la corde, d’Aurelio Suárez (1947), tableau surréaliste et, au premier étage, une vidéo difficilement soutenable, rappellent l’amour que le Caudillo avait pour ce type d’exécution que sont la pendaison et le garrottage.
L’Olor de soga
J’ai eu l’impression fugitive de lire le rapport d’autopsie d’un vieux cadavre à l’odeur putride.
Militaire très catholique et tortionnaire, Franco était en quelque sorte un descendant de Simon de Monfort, dont le portrait trône, – par un hasard certainement pas fortuit tant il y a des similarités entre les deux hommes -, au Musée Saint-Raymond, dans le cadre de l’autre remarquable exposition présentée ce printemps à Toulouse.
Dans son nouveau livre, Qué hacer con un pasado sucio, Que faire d’un passé sale, l’historien José Álvarez Junco affirme que Franco aurait fait fusiller » environ 40 000 personnes en période de paix, cela signifie 4 000 personnes pendant 10 ans, et plus de 10 par jour. Franco est une personne qui a signé plus de 10 condamnations à mort par jour pendant les 10 premières années de sa dictature « . Donc sans compter celles de la guerre civile…
C’est une plongée dans l’imaginaire mystico-militariste de celui qui, comme Monfort, se croyait investi d’une mission divine et mena une nouvelle Croisade pour une reconquête catholique et nationaliste contre une République libérale et laïque; République légalement élue faut-il encore le rappeler…
Défilé de la Victoire
Par ailleurs des livres tactiles qui attirent les doigts des jeunes générations, des vidéos on ne peut plus pertinentes et parlantes, complètent le dispositif scénique de cette exposition d’utilité publique.
Pour ne jamais oublier que le Franquisme érigea en système le langage des armes et de la violence, le lavage de cerveau permanent dès l’enfance, au mépris des droits humains les plus élémentaires, et qu’il réussit à perdurer contrairement au Nazisme allemand et au Fascisme italien.
Au-delà du génocide d’une « moitié du peuple espagnol » qu’il se vantait de vouloir éradiquer, il ne faut jamais oublier non plus le sort que réserva à tous les intellectuels et en particulier aux artistes Franco la Muerte, comme l’appelait mon cher Léo Ferré:
Le Général Milan Astray, fondateur de la Légion étrangère espagnole, Tercio de Extranjeros, composée de Novios de la Muerte, les fiancés de la Mort, ami et bras armé du dictateur, massacra les mineurs grévistes des Asturies avant de s’illustrer dans le sang contre les Républicains. Il reprit à son compte la devise « Un bon indien est un indien mort », que l’on prête à Philip Henry Sheridan (3), le major-général de l’Armée des États-Unis pendant les Guerres indiennes: il en avait fait « Un bon artiste est un artiste mort » (en plus « d’un bon républicain est un républicain mort »): il faisait hurler par ses troupes fanatisées, « Mueran los intellectuales » qui se passe de traduction.
Dans le film « Lettre à Franco » (2019) de l’hispano-chilien Alejandro Amenábar, on peut voir une scène hallucinante: le 12 octobre 1936, à l’Université de Salamanque, le grand poète et philosophe Miguel de Unamuno (1864-1936), l’auteur du « Sentiment tragique de la vie », – qui s’était leurré au départ sur la nature de ce régime -, fut requis, en sa qualité de Recteur, pour prendre la parole à la cérémonie en l’honneur de la Vierge du Pilar, instituée « point de départ de la Croisade contre le communisme ». Dans l’assistance il y avait l’épouse du Caudillo, entourée de généraux et de ministres, et de nombreux légionnaires en uniformes noirs. Il eut d’abord à subir l’intervention vociférante, et particulièrement haineuse à l’endroit des Basques et des Catalans, du susdit général Astray. Son discours, ponctué par les bras levés de jeunes phalangistes et leurs cris de haine, fût bientôt interrompu par des injures et des menaces. Mais il est allé jusqu’à la fin: « Cette université est le temple de l’intelligence. Et je suis son grand prêtre. C’est vous qui profanez son enceinte sacrée. Vous vaincrez, parce que vous possédez plus de force brutale qu’il ne vous en faut »… On rapporte que, menacé d’être écharpé et lapidé, le vieil homme ne dût sa survie immédiate qu’à la femme du Caudillo qui le prit par le bras et le fit sortir sous les insultes et les coups, pour le raccompagner à son appartement. Démissionné et assigné à résidence, Miguel de Unamuno mourut peu de temps après « de tristesse et d’écœurement ».
Son remarquable discours (4) m’a profondément marqué au point de l’inclure dans « Discours pour les silences à venir » que j’ai cré en 2002 à la Cave Poésie de Toulouse avec le violoncelliste Vincent Pouchet. Il résume parfaitement ce que pensaient la majorité des grands Universitaires et sans doute une grande partie des Espagnols opposés à ce régime de terreur. Au premier rang desquels, les artistes.
Concernant l’Église catholique, si depuis longtemps les expressions « la croix et la bannière » ou « le sabre et le goupillon » ont une connotation profondément négative, et si l’on connaissait son rôle dans cette vaste entreprise de reprise en mains des esprits, on n’a démontré que récemment les preuves de sa rééducation violente des « pêcheurs républicains », en particulier des enfants « porteurs du gène communiste »; dont de nombreux furent volés pour être élevés dans la bonne voie.
Mais ce qui m’a toujours bouleversé, c’est ce qu’on vécu les artistes.
A 14 ans, Firmin Aguirre, un Républicain catalan qui réparait des meubles anciens pour ma grand-mère l’Antiquaire, m’a offert Les Poètes de Louis Aragon, qui est devenu l’un de mes livres de chevet: j’y ai découvert en particulier Antonio Machado, un poète selon mon cœur qui entra tout de suite dans ma Pléiade personnelle:
Machado dort à Collioure
Trois pas suffirent hors d’Espagne
Que le ciel pour lui se fit lourd
Il s’assit dans cette campagne
Et ferma les yeux pour toujours
Et j’ai dévoré tous ses poèmes…
Antonio Machado, mort d’épuisement après son exil forcé au milieu de son peuple exsangue traversant les Pyrénées lors de la Retirada de 1939, a écrit El Crimen, Le crime, pour Federico Garcia Lorca, que je ne peux lire sur scène sans avoir les larmes aux yeux:
On le vit, avançant au milieu des fusils,
Par une longue rue,
Sortir dans la campagne froide,
Sous les étoiles, au point du jour.
Ils ont tué Federico
Quand la lumière apparaissait.
Le peloton de ses bourreaux
N’osa le regarder en face.
Ils avaient tous fermé les yeux ;
Ils prient : Dieu même n’y peut rien !
Et mort tomba Federico
– Du sang au front, du plomb dans les entrailles –
… Apprenez que le crime a eu lieu à Grenade
– Pauvre Grenade! – , sa Grenade (…)
Quand j’avais 14 ans, on pouvait qu’imaginer le calvaire et le martyre de Lorca, l’un des plus grands poètes du XXe siècle, ce jeune homme distingué, affable et cultivé, excellent pianiste par ailleurs, homosexuel de surcroit, partisan de la République bien sûr. Il allait dans les campagnes défavorisées avec sa troupe de théâtre, La Barraca, donner à entendre les grands auteurs du siècle d’or espagnol. On sait aujourd’hui ce qu’il a vécu le 19 août 1936, victime de haines et de rancunes séculaires: fusillé, aux côtés d’un maître d’école, de deux anarchistes de la Confédération Nationale des Travail, de deux toreros (il avait dédié le Llanto a Ignacio Sanchez Mejias, son chef-d’œuvre peut-être, à son ami matador mort dans les arènes de Manzanares) et d’anonymes, il fut jeté avec ceux-ci, dans l’une des environ 4000 fosses communes qui jonchèrent l’Espagne de Franco (5).
Dans l’avant-dernier film de Pedro Almodovar, Madres paralelas (2021), on assiste le cœur serré, à l’ouverture de l’une de ces fosses communes. La Loi d’amnistie de 1977, considérée par les zélateurs du Franquisme comme « solde de tout compte », a obligé les descendants des victimes à se tourner vers une juridiction argentine, celle de la juge Maria Servini de Cubia, pour que la justice la plus élémentaire soit rendue. On le voit dans le documentaire El silencio de otros, Le silence des autres (2016), de Almudena Carracedo et Robert Bahar, produit par les frères Almodovar justement. Dans le numéro 7 de l’excellente revue Gibraltar, son rédacteur en chef, Santiago Mendiata, s’est associé avec le dessinateur Marc N’Guessan, pour narrer la quête de sa lointaine parente, Ascensión Mendieta. Celle-ci a remué ciel et terre toute sa vie, vivant avec courage ce parcours du combattant (républicain) afin d’obtenir enfin justice pour le meurtre son père et décéder aussitôt après;…à 89 ans: « Où est-tu Timotéo » ?
Henri Gougaud, dans son mémorable poème, Les Poètes assassinés, longtemps chanté sur scène par le grand Jacques Bertin, trop peu connu du grand public, a résumé le sort réservé aux Poètes dans les régimes totalitaires du XXe siècle, en particulier celui de Franco:
(…) C’était en 1936, à cette époque
Lorca perdait son sang cornes de lune au front
Et Miguel Hernández dans la colonie pénitentiaire d’Alicante
embrassait les chaussures vides et les morts sur les yeux
« Nous n’appartenons pas à un peuple de bœufs »
disait-il.
Il chantait une splendeur innocente
Il chantait pour son fils mort de faim à dix mois
Et sur le sang rouillé, vent du peuple, sa voix
était la rose aux cent feuilles jusqu’au sommet des montagnes (…).
Mon ami Vicente Pradal a mis en musique de manière magnifique Lorca avec Llanto, Romancero gitano, Diván del Tamarit, et Hernandez avec Viento del Pueblo. Son père, Carlos, fit partie des grands peintres en exil en France, avec Picasso, Miró, etc…
Autre très grand poète, Rafael Alberti, contraint à l’exil pour éviter la mort, arrivé à Paris en 1939, qui dut quitter la France vaincue par les Allemands l’année suivante pour se réfugier en Argentine où il resta en exil jusqu’en 1963.
Étudiant à Paris, j’ai entendu en 1973 avec une grande émotion, au Théâtre de la Cité Universitaire Internationale (où le Pavillon d’Espagne était encore condamné et claquemuré comme « repère de Rouges »), Paco Ibanez, en exil, chantre de tous les grands poètes espagnols, qui redonnait de l’espoir à tous les réfugiés républicains avec A galopar, de ce même Rafael Alberti:
(…) Bat mon cœur sur les terres d’Espagne, quand
Résonnent et résonnent les fers des chevaux.
Galope, cavalier du peuple,
Cheval aux quatre hermines,
Cheval d’écume.
Au Galop, Au galop,
Jusqu’à les enterrer dans la mer ! (…)
Dans le même théâtre, j’ai entendu aussi L’estaca, le Pieu, du chanteur Lluis Llach en exil lui aussi, déjà devenu un hymne anti-franquiste, repris en chœur par toute la salle:
(…) Si nous tirons tous, il tombera
Cela ne peut durer longtemps
C’est sûr qu’il tombera, tombera, tombera
Bien vermoulu, il doit être déjà
Si tu le tires fort par ici
Et que je le tire fort par là
C’est sûr il tombera, tombera, tombera
Et nous pourrons nous libérer (…)
Tous les artistes de cette époque, sans exception, menacés de mort, durent fuir l’Espagne, quand ils en eurent le temps, pour se réfugier à l’étranger et surtout en France, comme le demi-million d’anonymes de la Retirada.
Pau-Pablo Casals (1876-1973), considéré comme le violoncelliste le plus important du XXe siècle, qui a donné, le 13 novembre 1961 un concert à Washington, dans la Maison Blanche, en l’honneur du Président J. F. Kennedy, réfugié à Céret et refusant de son produire en Espagne tant que Franco serait au pouvoir, est décédé deux ans avant le tyran sans avoir revu sa chère Catalogne natale. Mais il a donné incognito un concert devant la tombe de Don Antonio Machado à Collioure quelques jours après l’inhumation de celui-ci.
La liste est trop longue pour une simple chronique.
Il est prouvé scientifiquement aujourd’hui que la guerre d’Espagne et le Franquisme ont broyé ce pays, fracturant en profondeur la société civile, dans les villes, dans les villages et jusque dans les familles, comme l’a si bien décrit Jean Ferrat avec sa chanson Maria:
Maria avait deux enfants,
Dont elle était fière,
l’un était rouge et l’autre blanc,
Et c’était bien la même chair,
Et c’était bien le même sang (…),
Chanson reprise avec brio, avec toutes les chansons Républicaines traditionnelles, au disque et sur scène par Pierre Domengés et ses Républicanos (https://www.facebook.com/LosRepublicanosDeTarbes/?locale=fr).
Par ailleurs, Guilhem Lopez, musicien très talentueux bien connu des Toulousains, dont je vous ai dressé le portrait dans une précedente chronique a consacré un très beau disque, Recuerdos – La Retirada et l’Exil, aux souvenirs de ses deux grands-pères républicains (https://www.guillaume-lopez.fr/)
Cette guerre, dont les braises ne sont pas éteintes, a laissé des traces indélébiles jusque dans les familles, que Xavier Cercas a magistralement sondées dans son Monarque des ombres, montrant qu’il ne faut jamais être manichéen: rien n’est jamais tout noir ou tout blanc, je devrais écrire tout noir ou tout rouge; même si dans la balance de la Justice, le plateau noir pèse bien plus lourd par le nombre d’assassinats.
Et l’on sait depuis Victor Hugo que « La vérité est comme le soleil. Elle fait tout voir et ne se laisse pas regarder en face ».
Mais, quelle que soit sa sensibilité, – à part bien sûr les nostalgiques du Franquisme -, on ne peut oublier le courage désespéré des combattants républicains, de ces jeunes gens qui ont intégré les rangs de l’Armée Populaire de la République, tel Ramiro Martinez Gabaldon, le père de Pilar Martinez-Chaumel petite fille de la grande photographe humaniste toulousaine Germaine Chaumel. Il s’est enfui de chez ses parents à Valence en février 1937 pour aller sur le front en Aragon et intégrer la Soixante-douzième Brigade mixte, où il a été nommé sergent le 13 août 1937, à 14 ans (!).
(Photo adressée à ses parents. Merci à Pilar Martinez-Chaumel)
Ni les Brigades Internationales, composées d’intellectuels venus du monde entier « pour arrêter le rouleau compresseur franquiste-nazi-fasciste », avec André Malraux, Arthur Koestler, Georges Orwell (etc.), dont l’Hommage à la Catalogne a inspiré le film de Ken Loach en 1995, Land and Freedom.
Quarante ans plus tard après le Théâtre de la Cité Universitaire Internationale, j’ai entendu Lluis Llach, rentré enfin dans son pays à la mort de Franco et devenu entre-temps une vedette internationale, au Stade Nou Camp del Barça à Barcelone, en juillet 1985, accompagné par un Orchestre symphonique et un Chœur, devant plus de 100 000 personnes, faire entonner l’Estaca par le public, et chanter devant ce public debout dans un silence presque « religieux », Campanades a morts, Cloches mortes, écrite suite au massacre du 3 mars 1976 à Vitoria-Gasteiz, lorsque cinq travailleurs sortant d’une réunion dans une église sont morts sous les tirs de la police:
(…) Sonne le glas
faisant un cri contre la guerre
des trois fils qu’ont perdu
les trois cloches noires.
Et le peuple est recueilli
quand la plainte s’approche :
Ce sont trois peines de plus
que nous devons porter en nos mémoires.
(…) Qui a coupé tout le souffle
des ces corps si jeunes,
sans plus aucun trésor
que la douleur de ceux qui les pleurent ?
Assassins de raisons et de vies
que jamais vous n’aillez de repos en aucun de vos jours
et que dans la mort vous poursuivent nos mémoires (…).
Un souvenir bouleversant.
Avec Servane Solana au chant et Thierry Di Filippo à la guitare et au oud, nous venons de créer à l’Instituto Cervantes de Toulouse un Hommage-Homenaje à Don Antonio Machado El Bueno, sous la forme d’un concert poétique que nous allons concrétiser d’un disque.
Quand je vais à Collioure, je fais toujours une halte au cimetière marin pour déposer une rose rouge sur sa tombe et glisser un petit poème dans la boîte aux lettres prévue à cet effet à côté.
Et cela me fait chaud au cœur de voir que cette tombe est toujours couverte de fleurs, et de savoir que cette boîte aux lettres déborde de poèmes, recueillis chaque jour pour être réunis en recueils, par les bénévoles de la Fondation Machado, qui continuent à faire vivre sa mémoire, (6).
Aujourd’hui, je n’ai rien oublié et je répète régulièrement à mes enfants, avec Antonio Machado justement, que « ce monde n’est pas viable si la force brutale au front de taureau est investie des pleins pouvoirs ».
Et je leur dis son dernier vers écrit sur un papier trouvé dans sa veste le jour de sa mort à Collioure en France, le 22 février 1939:
“Estos días azules y este sol de la infancia”
« Ces jours bleus et ce soleil de l’enfance ».
PS. Après ces deux expositions remarquables et édifiantes, celle sur le Franquisme et sur la Croisade des Albigeois, je reviendrai avec bonheur à mes coups de cœur poétiques et musicaux.
En souvenir de Firmin Aguirre, Angelita Del Rio-Bettini et Joaquim Belloc.
Muchas gracias à Pilar Martinez-Chaumel pour ses précisions et son soutien éclairés.
Pour en savoir plus :
1) Musée départemental de la Résistance & de la Déportation
52 allées des Demoiselles 31400 Toulouse
Tel. : 05 34 33 17 40
Je vous recommande vivement:
– Samedi 27 avril à 15h Le Franquisme à l’épreuve de Mémoire, présentation du Mémorial Démocratique Catalogne et de l’Institut Navarrais de la Mémoire,
– Jeudi 30 mai à 20h Urraca, chasseur de Rouges au Cinéma Utopia de Tournefeuille,
– Mercredi 19 juin à 14h30 Ginette Kolinka.
C’est une première en Europe : un cycle scientifique et commémoratif faisant la synthèse des connaissances accumulées sur la dictature franquiste depuis la fin du XXème siècle. « Le Franquisme est très peu connu en France, précise François Godicheau, historien, ancien directeur du laboratoire FRAMESPA et coordinateur du projet. Aucun livre récent, par exemple, ne s’est penché sur cette dictature qui a duré quarante ans (1936-1977), ce qui en fait la plus longue d’Europe occidentale, exceptée celle de Salazar au Portugal. » L’enjeu est donc crucial. « Il s’agit de faire comprendre au public européen l’horreur du Franquisme pour qu’il soit moins facile de s’en réclamer, note l’expert. En effet, le Franquisme n’a jamais été l’objet d’une condamnation morale absolue comme cela a été le cas pour le nazisme et le fascisme. Cette ignorance est extrêmement dangereuse car elle fait du Franquisme un foyer/une sorte de ressource culturelle et politique pour l’extrême droite. »
On ne peut ignorer aujourd’hui les dangers mortels de l’alliance du sabre et goupillon, de l’épuration théorisée des « irrécupérables », le sort de leurs bébés volés et de leurs enfants rééduqués dans des orphelinats religieux où on leur lavait le cerveau et sur lesquels on se livrait à des expériences qui ont inspiré le docteur Mengele !
2) « Cathares », Toulouse dans la Croisade, Musée Saint Raymond et Couvent des Jacobins
3) Partisan de la tactique brutale de la terre brûlée qu’il a utilisée massivement contre les Amérindiens, – sans parler des massacres de Sand Creek et autres joyeuses atrocités -, Sheridan a milité pour l’abattage systématique de millions de bisons afin de d’affamer les premiers habitants de l »Amérique et de détruire leur mode vie éco-responsable (comme l’on dirait aujourd’hui); en effet rien n’était perdu pour ceux-ci dans ce grand mammifère dont ils ne prélevaient qu’une partie sur les grands troupeaux pour préserver cette ressource naturelle.
On peut lire à ce sujet, « Enterre mon cœur à Wounded Knee » de l’historien De Brown, qui après un énorme travail sur les archives militaires, a pu reconstituer l’histoire de ces Guerres indiennes et son cortège d’horreurs.
4) Discours de Miguel Unamuno à l’Université de Salamanque le 12 octobre 1936 :
“EL NECROFILO E INSENSATO GRITO DE VIVA LA MOERTE” (ce cri nécrophile et insensée de Vive la mort):
Vous êtes tous suspendus à ce que je vais dire. Tous vous me connaissez, vous savez que je suis incapable de garder le silence. En soixante-treize ans de vie, je n’ai pas appris à le faire. Et je ne veux pas l’apprendre aujourd’hui. Se taire équivaut parfois à mentir, car le silence peut s’interpréter comme un acquiescement. Je ne saurais survivre à un divorce entre ma parole et ma conscience qui ont toujours fait un excellent ménage.
La vérité est davantage vraie quand elle se manifeste sans ornements et sans périphrases inutiles. Je souhaite faire un commentaire au discours, pour lui donner un nom, du général Millan Astray, présent parmi nous. Laissons de côté l’injure personnelle d’une explosion d’invectives contre basques et catalans. Je suis né à Bilbao au milieu des bombardements de la seconde guerre carliste. Plus tard, j’ai épousé cette ville de Salamanque, tant aimée de moi, sans jamais oublier ma ville natale. L’évêque, qu’il le veuille ou non, est catalan, né à Barcelone. On a parlé de guerre internationale en défense de la civilisation chrétienne, il m’est arrivé jadis de m’exprimer de la sorte. Mais non, notre guerre n’est qu’une guerre incivile. Vaincre n’est pas convaincre, et il s’agit d’abord de convaincre ; or, la haine qui ne fait pas toute sa place à la compassion est incapable de convaincre…On a parlé également des basques et des catalans en les traitant d’anti-Espagne ; eh bien, ils peuvent avec autant de raison dire la même chose de nous. Et voici monseigneur l’évêque, un catalan, pour vous apprendre la doctrine chrétienne que vous refusez de connaître, et moi, un Basque, j’ai passé ma vie à vous enseigner l’espagnol que vous ignorez.
(Premières interruptions, « Viva la muerte ! » etc)
Je viens d’entendre le cri nécrophile « Vive la mort » qui sonne à mes oreilles comme « A mort la vie ! » Et moi qui ai passé ma vie à forger des paradoxes qui mécontentaient tous ceux qui ne les comprenaient pas, je dois vous dire avec toute l’autorité dont je jouis en la matière que je trouve répugnant ce paradoxe ridicule. Et puisqu’il s’adressait au dernier orateur avec la volonté de lui rendre hommage, je veux croire que ce paradoxe lui était destiné, certes de façon tortueuse et indirecte, témoignant ainsi qu’il est lui-même un symbole de la Mort.
Une chose encore. Le général Millan Astray est un invalide. Inutile de baisser la voix pour le dire. Un invalide de guerre. Cervantès l’était aussi. Mais les extrêmes ne sauraient constituer la norme Il y a aujourd’hui de plus en plus d’infirmes, hélas, et il y en aura de plus en plus si Dieu ne nous vient en aide. Je souffre à l’idée que le général Millan Astray puisse dicter les normes d’une psychologie des masses. Un invalide sans la grandeur spirituelle de Cervantès qui était un homme, non un surhomme, viril et complet malgré ses mutilations, un invalide dis-je, sans sa supériorité d’esprit, éprouve du soulagement en voyant augmenter autour de lui le nombre des mutilés. Le général Millan Astray ne fait pas partie des esprits éclairés, malgré son impopularité, ou peut-être, à cause justement de son impopularité. Le général Millan Astray voudrait créer une nouvelle Espagne- une création négative sans doute- qui serait à son image. C’est pourquoi il la veut mutilée, ainsi qu’il le donne inconsciemment à entendre. (Nouvelles interruptions « A bas l’intelligence ! » etc.)
Cette université est le temple de l’intelligence et je suis son grand prêtre. Vous profanez son enceinte sacrée. Malgré ce qu’affirme le proverbe, j’ai toujours été prophète dans mon pays. Vous vaincrez mais vous ne convaincrez pas. Vous vaincrez parce que vous possédez une surabondance de force brutale, vous ne convaincrez pas parce que convaincre signifie persuader. Et pour persuader il vous faudrait avoir ce qui vous manque: la raison et le droit dans votre combat. Il me semble inutile de vous exhorter à penser à l’Espagne. J’ai dit.
5) Gibraltar n°12 06 74 01 56 31
contact@gibraltar-revue.com
http://www.gibraltar-revue.com
6) Sophie Baby, Maîtresse de conférence à l’Université de Bourgogne vient de publier à ce sujet un livre édifiant aux Éditions de La Découverte: Juger Franco ? Impunité, réconciliation, mémoire.
Par ailleurs le numéro hors-série d’avril de l’Histoire (9,90€), disponible dans tous les marchands de journaux, est consacré à l’Espagne de Franco, un pays broyé.
7) Fondation Antonio Machado
1 Rue Jules Michelet – 66190 Collioure
Musée départemental de la Résistance & de la Déportation