Donné par l’Orchestre national du Capitole, le concert du 28 mars dernier réunissait deux compositeurs proches sous la baguette d’une jeune cheffe française bienvenue à Toulouse, Ariane Matiakh. L’Appaméen Gabriel Fauré et le Liégeois César Franck, inscrits au programme, ont ainsi révélé leurs proximités et leurs différences.
Ariane Matiakh a grandi dans un environnement extrêmement musical et a appris très jeune à jouer du piano et à chanter. Elle a étudié la direction d’orchestre à Vienne, où elle a notamment chanté sous la direction de Nikolaus Harnoncourt et Adam Fischer dans le célèbre Chœur Arnold-Schönberg.
Sa venue à Toulouse coïncide avec la célébration du centenaire de la disparition de Gabriel Fauré et avec la résurrection d’une grande œuvre symphonique et chorale de César Franck.
Du premier de ces grands compositeurs Ariane Matiakh dirige l’une des œuvres symphoniques les plus diffusées, sa Suite d’orchestre Pelléas et Mélisande op. 80 datant de 1909. Mais elle choisit le version la plus complète et probablement la moins souvent donnée. Fauré a tiré cette Suite de sa Musique de scène pour la pièce de Maurice Maeterlinck, musique qui comportait à l’origine dix-neuf mouvements. Limitée tout d’abord à trois épisodes, la Suite s’est ensuite enrichie de la fameuse Sicilienne, devenue le mouvement le plus célèbre, puis de la Chanson de Mélisande qui nécessite l’intervention d’une voix de soprano. C’est donc cette version en cinq épisodes qui nous est offert ce soir-là. La délicatesse, la douceur de la direction frappe dès le Prélude. Comme s’il s’agissait d’une pièce de musique de chambre, les solos instrumentaux prennent une importance primordiale : le cor, le hautbois, le violoncelle, le flûte bien sûr, souveraine dans la Sicilienne, exaltent la poésie du discours. La belle et fraîche voix de Florie Valiquette enrichit considérablement le Chanson de Mélisande. L’émotion s’insinue jusqu’au silence qui conclut La mort de Mélisande.
Cinq mélodies poursuivent cette exploration du monde musical de Fauré qui orchestra les quatre premières, la cinquième l’ayant été par André Messager. Le fameux Clair de lune, idéal poétique, est admirablement chanté par le ténor Julien Behr, au timbre riche et nuancé. C’est à la belle voix du baryton Jean-Sébastien Bou qu’échoient En prière et la Chanson du Pêcheur, alors que la soprano chante avec finesse la belle mélodie Roses d’Ispahan et s’associe au ténor pour la Tarentelle finale. Un beau recueil accompagné avec finesse et nuances.
Les mêmes qualités musicales bénéficient à l’exécution du très rare oratorio de César Franck, Les Sept Paroles du Christ en Croix. Cette œuvre ambitieuse qui date de 1859 n’a été redécouverte qu’au bout d’un siècle de sommeil. Contrairement aux partitions de Joseph Haydn sur le même sujet, qui n’ont jamais cessé d’être représentées, celle de César Franck a véritablement été oubliée. Composée dans le style « ancien », elle se caractérise par un profond recueillement, avec quelques rares déploiements dramatiques. C’est bien ainsi que l’aborde l’interprétation pleine de sobriété intime menée par Ariane Matiakh. Outre un orchestre symphonique complet, trois chanteurs solistes et un grand chœur mixte sont requis pour son exécution. Le chœur de l’Orfeón Donostiarra, dirigé par José Antonio Sainz Alfaro, déploie tout au long de cette interprétation de remarquables qualités de finesse et de subtilité. Il est rarissime d’entendre une telle intensité dans l’émission de pianissimi aussi impalpables. La justesse, la cohésion, l’homogénéité des registres, le sens des nuances atteignent des sommets !
Les trois chanteurs solistes s’insèrent magnifiquement dans cette succession des paroles sacrées du Christ en croix. On retrouve ainsi la grâce lumineuse de la soprano Florie Valiquette, la rondeur du timbre du baryton Jean-Sébastien Bou et l’exceptionnelle aisance vocale du ténor Julien Behr qui négocie avec art quelques aigus redoutables. Les nuances et les phrasés dont il pare son chant confèrent à ses interventions un poids musical et expressif particulier. Quant à la direction d’Ariane Matiakh, aussi dépouillée que délicate, elle obtient de ses musiciens le meilleur d’eux-mêmes, dans le recueillement comme dans la révolte. Saluons une fois encore la qualité des solos instrumentaux et notamment ceux du premier violoncelle.
Confirmation et redécouverte étaient bien au rendez-vous !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse