Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre à redécouvrir.
Un été à la mer de Giuseppe Culicchia
Après Patatras, Paso Doble et Le Pays des merveilles (formidable récit d’une adolescence punk au mitan des années soixante-dix à Turin qui vient de sortir en poche), Un été à la mer, paru en 2009, confirma le talent de cet écrivain italien né en 1965 et si fin dans la restitution des parfums d’une époque. Luca, qui vient d’avoir quarante ans et de se marier à Benedetta de dix ans sa cadette, est de retour vingt-cinq ans après à Marsala, dans cette Sicile où il passa son enfance. Le voyage de noces doit permettre à la jeune femme de découvrir les lieux où son mari a grandi, mais surtout de tomber enceinte – son obsession depuis que sa meilleure amie l’a devancée dans la procréation. Tout irait donc pour le mieux sous le soleil de Marsala si Luca ne se heurtait à des souvenirs tranchants et ne se demande assez vite ce qu’il fait ici…
Il y a les images de son père disparu, un pilote de chasse de l’Armée de l’air, qui l’assaillent, puis le choc des retrouvailles avec Katja, une Allemande avec laquelle il eut une histoire d’amour, et la découverte de la fille de celle-ci : Andrea, très délurée pour ses dix-sept ans. Cela fait beaucoup pour Luca, hypocondriaque et paranoïaque, assez séduit par les théories du complot. D’autant que Benedetta tente de faire cet enfant si espéré, notamment à l’aide d’une machine indiquant le moment idéal pour la fécondation, au moment où Luca se rend compte de son horreur de la paternité…
Tout est passé si vite
Comme à son habitude, Giuseppe Culicchia croque des personnages attachants et livre un portrait de l’Italie du début du XXIème siècle. À petites touches, sans que les idées générales ne viennent polluer la dynamique du récit, l’auteur dessine le visage d’un pays gangrené par la corruption : celle de certaines institutions comme celle qui gagne des êtres guidés par le narcissisme, la consommation, le matérialisme et dont la futile Benedetta est un archétype réjouissant. On peut évidemment se souvenir du « monde d’avant les ordinateurs, les téléphones portables et l’iPod », mais c’est alors le vide de paroles et de discours interchangeables qui saute aux yeux. En de brefs chapitres (quarante comme l’âge du héros) jouant sur la fragmentation et la répétition, Culicchia dit le désordre de ce monde régi par la solitude et l’incommunicabilité sans oublier de faire rire le lecteur. Ce mélange d’humour et de gravité fonctionne à merveille. Les dialogues fusent, des choses que l’on voulait oublier remontent à la surface, la fuite du temps s’accélère, on cache ses larmes derrière des lunettes de soleil.
Il y a dans Un été à la mer une nostalgie à couper au couteau, des remords qui résonnent en écho : « Maman n’a jamais aimé qu’on la prenne en photo. Devant l’objectif, elle était intimidée. Je crois qu’elle regrette maintenant d’avoir aussi peu de photos de papa et elle. ». Luca songe à ce qui aurait pu être et qui n’a pas été, à ses jeunes années qui représentaient « les possibilités infinies de l’avenir » et qui ont laissé place à un constat désolé : « tout est passé si vite ». Cette petite musique douce-amère a tellement imprégné la grande comédie italienne que l’on aimerait bien voir ce que donnerait le roman de Giuseppe Culicchia au cinéma. Pourquoi pas avec Nanni Moretti derrière la caméra ?
Un été à la mer – Albin Michel