Dans le cycle Grands Interprètes, Martha Argerich fait partie de la grande famille. Elle vient avec son ami, le pianiste coréen du Sud Dong-Hyek Lim. Ce sera un piano à quatre mains avec, de Schubert, la Fantaisie en fa mineur op. 103 suivie de Rachmaninov, la Suite n°2 op. 17 pour deux pianos et enfin Danses Symphoniques op. 45 aussi pour deux pianos. C’est à la Halle à 20h le samedi 13 avril.
Martha Argerich, une musicienne de génie
Lors d’une rencontre, elle aurait pu vous dire : « Pouvoir recevoir l’inspiration du moment, la spontanéité. Et pouvoir toujours apprendre quelque chose ; de toute idée soudaine, d’un sentiment, d’une émotion. Et puis donner ! »
Née à Buenos Aires, Martha Argerich étudie le piano dès l’âge de cinq ans avec le terrible Vincenzo Scaramuzza. Considérée comme une enfant prodige, ses parents vont la produire très tôt sur scène. En 1955, adolescente, elle se rend en Europe et étudie à Londres, Vienne et en Suisse avec Seidlhofer, Gulda, Magaloff, Madame Lipatti et Stefan Askenase. En 1957, Martha Argerich remporte les premiers prix des concours de Bolzano et de Genève, puis en 1965 le concours Chopin à Varsovie. LE CONCOURS. Dès lors, sa carrière n’est qu’une succession de triomphes.
Si son tempérament la porte alors vers les œuvres de virtuosité des XIXe et XXe siècles, elle refuse de se considérer comme spécialiste. Son répertoire est très étendu et comprend aussi bien Bach que Bartok, Beethoven, Schumann, Chopin, Liszt, Debussy, Ravel, Franck, Prokofiev, Stravinski, Chostakovitch, Tchaïkovski, Messiaen.
Invitée permanente des plus prestigieux orchestres et festivals d’Europe, du Japon, d’Amérique et d’Israël (avec Zubin Mehta et Lahav Shani), elle privilégie aussi la musique de chambre. Elle joue et enregistre régulièrement avec les pianistes dont le plus présent fut bien Nelson Freire, le violoncelliste Mischa Maisky, le violoniste Gidon Kremer ainsi qu’avec Daniel Barenboim : « Cet accord au sein d’un ensemble est très apaisant pour moi ».
Sa discographie est immense : Martha Argerich a pratiquement enregistré dans toutes les maisons éditrices. Elle collectionne les récompenses pour nombre de ses enregistrements.
Avec comme objectif d’aider les jeunes, en 1998 elle devient Directeur Artistique du « Beppu Argerich Festival » au Japon. En 2002 elle crée le Progetto Martha Argerich à Lugano, et plus récemment le festival Martha Argerich à Hambourg. Martha Argerich a reçu de nombreuses distinctions.
Un célèbre violoniste qui a été son partenaire à maintes reprises a pu dire de Martha : « C’est un des derniers piliers du monde. Jascha Heifetz disait : “I am a survival“, c’est-à dire pas un survivant mais une survivance. Quelqu’un d’unique et dont la trace demeure. Comme ces flaques de pluie après l’orage qui sont le seul témoin de ce qui vient de se passer. Elle est elle, et les autres ne le sont pas. Il y a eu Heifetz et les autres, Horowitz et les autres. Aujourd’hui, il y a Martha et les autres. »
Dong Hyek Lim est né à Séoul, Corée du Sud, en 1984. Après des études au Conservatoire National de Corée et un passage au Conservatoire Central Spécialisé de Moscou, il entre à l’âge de quatorze ans au Conservatoire Tchaïkovski, où il continue sa formation avec M. Lev. N. Naumov. Désormais installé à Hanovre, il se perfectionne auprès de Arie Vardi à la Hochschule für Musik. Lauréat de nombreux concours en Corée, il a surtout remporté en décembre 2001, à Paris, le 1er Grand Prix au Concours International Marguerite Long – Jacques Thibaud, ce qui lui a permis de donner bon nombre de concerts en Europe. Il est des prix qui sont de véritables sésames.
Dong Hyek Lim s’est produit avec succès au Conservatoire de Moscou, au Konzerthaus de Berlin, à la salle Pleyel à Paris, au Palais Lazenski de Varsovie, au Wigmore Hall à Londres. Il a participé aux festivals de Verbier, le Klavier-Festival de la Ruhr, Festival Chopin (Pologne), Festival de Radio France (Montpellier), la Roque d’Anthéron, Piano aux Jacobins (Toulouse) et au Festival Martha Argerich de Lugano. Il a joué avec le Philharmonique de Radio-France et Myung Whun Chung, avec l’Orchestre de la NHK de Tokyo sous la direction de Charles Dutoit, avec le Philharmonique de Saint-Pétersbourg et Yuri Temirkanov, le National de France et Kurt Masur, ainsi qu’avec le New Japan Philharmonic.
Il a enregistré chez EMI un récital Chopin/Schubert/Ravel, puis un récital Chopin, ainsi que les Variations Goldberg de Bach. Dernière parution chez Warner Classics : les Sonates D959 et D960 de Schubert (mai 2022).
Franz Schubert
Sur la Fantaisie en fa mineur pour piano à quatre mains, D. 940.
Entamée en janvier 1828, il décèdera en novembre à trente ans, cette pièce marque le retour du compositeur Franz Schubert au piano à quatre mains après l’avoir délaissé quatre années. C’est un retour avec un opus d’une exceptionnelle densité dont les quatre mouvements s’enchaînent : Allegro molto moderato – Largo – Allegro vivace – Finale. Se sent-il malade grièvement, le tout est qu’elle résonne comme une musique d’adieu au monde. Le thème du premier mouvement installe un climat profondément ambigu, partagé entre résignation et cri de rage contre l’injustice du sort. Il se sent apparemment condamné. Introduit avec force énergie, le Largo qui suit déploie un magnifique lyrisme. Est-ce encore une pensée émue pour la dédicataire de l’ouvrage, une certaine Caroline Esterhazy, amour impossible évidemment puisque membre de la grande famille mécène. Très développé, le scherzo de l’Allegro vivace manifeste une certaine ardeur rythmique et se rattache à ces pages d’esprit populaire dont l’œuvre de Schubert abonde. Il est soudainement interrompu par l’irruption du Finale qui reprend le thème initial du premier mouvement et apporte une conclusion profondément fataliste.
Serge Rachmaninov
Suite n°2, op. 17 pour deux pianos
I. Introduction – Alla marcia
II. Valse – Presto
III. Romance – Andantino
IV. Tarentelle – Presto environ 20’
Après son échec retentissant de la Symphonie n°1 courant mars 1897 et la profonde dépression qui a pu suivre, c’est grâce au Docteur Dahl, mi-hypnotiseur, mi-magnétiseur que le jeune Rachmaninov va reprendre goût à la composition et le retour va s’effectuer par le piano dont il est un des plus grands jeunes virtuoses de son temps. Son atout majeur supplémentaire, des mains impressionnantes ! Il commence l’écriture de son Concerto n°2 en même temps que celle de cette Suite pour deux pianos n°2, ayant déjà obtenu un précédent succès avec la Suite n°1. Celle-ci se signalait par une partition montrant autant d’égards pour chacun des deux exécutants. Ce sera pareil pour la n°2. La hiérarchie qu’instaure par la force des choses le piano à quatre mains est ici abolie. Les pianos 1 et 2 sont traités équitablement, mis sur un pied d’égalité. Et ceci, d’entrée. Leur entrée fracassante le dit assez : le compositeur trépigne littéralement d’impatience. Le miracle est que l’excitation de ce premier instant ne se dément jamais au cours de cette partition vive, solaire, qui piétine avec insolence les mornes clichés de ses détracteurs.
L’écriture spécule sur la complémentarité des deux partenaires, à nouveau comme dans un concerto. D’aucuns parleront même de concerto pour piano… et piano ! la vitalité débordante de l’œuvre et notamment de l’éblouissante Tarentelle du Finale fondée sur une mélodie populaire authentique notée au cours d’un séjour en Ligurie en compagnie de la jeune basse russe Fédor Chaliapine, ce qui en dit long sur le traitement hypnotique à l’effet quasi miraculeux appliqué à Sergueï Rachmaninoff ! Œuvre de camaraderie, la Suite n°2 fut dédiée à Alexandre Goldenweiser, son acolyte pour les duos.
Danses symphoniques pour deux pianos, op. 45
Danse, non allegro
Andante con moto – tempo di valse
Lento assai – allegro vivace
Cette nouvelle pièce symphonique fut la dernière composition de Sergueï Rachmaninov. Composée quatre ans après sa Troisième Symphonie et achevée en 1940, elle a été écrite dans le domaine Honeyman surplombant Long Island Sound, ce qui en fait la seule composition du musicien entièrement écrite aux États-Unis. En août de la même année, le 21, Rachmaninov envoie un courrier au chef d’orchestre Eugène Ormandy l’informant que l’œuvre est terminée et qu’il ne reste plus qu’à s’occuper de l’orchestration. Celle-ci fut achevée au cours des mois suivants et les Danses Symphoniques (au départ Danses fantastiques) furent créées par Ormandy et l’Orchestre de Philadelphie le 3 janvier 1941. La version pour deux pianos fut pratiquement écrite simultanément. Et ce sera op. 45 pour les deux avec pour conséquence des commentaires qui se confondent.
Si les Danses sont des exemples du style tardif rythmiquement animé de Rachmaninov, l’œuvre jette également un regard rétrospectif plutôt intéressant sur l’ensemble de la production du compositeur, comme s’il supputait, consciemment ou non, que ce serait sa partition finale. Il laissera aussi de côté les sous-titres descriptifs : Jour, Crépuscule et Minuit. Il meurt le 28 mars 1943 à Beverly Hills.
Comme dans sa Troisième Symphonie, il évoque également avec tendresse la Russie qu’il a connue et qu’il a dû voir mourir avant de quitter définitivement son pays natal au cours de l’hiver 1917 et dans lequel il n’est jamais retourné. Le premier mouvement, marqué Non Allegro, cite le thème d’ouverture de sa Première Symphonie, qui à son tour était dérivé des chants religieux qu’il aimait tant. Dans la version orchestrale, un motif animé de trois notes ouvre la pièce et évoque le thème de la reine de Shemakha de l’opéra Le Coq d’or de Rimski-Korsakov. La partition de cette œuvre était la seule d’un autre compositeur avec laquelle il quitta la Russie. Dans la version orchestrale encore, la section centrale de ce mouvement présente le seul exemple de saxophone solo, en l’occurrence un alto, utilisé dans l’œuvre de Rachmaninov. La version pour deux pianos accentue par contre davantage le sentiment de nostalgie. Nostalgie de quoi ?
Le mouvement central, Andante con moto (Tempo di valse), en revanche, rappelle des éléments du Troisième Concerto pour piano du compositeur. D’abord hésitant, le mouvement s’installe dans une valse aux teintes sombres. L’hésitation initiale n’est jamais complètement surmontée au cours du mouvement, même avec son point culminant agité juste avant la clôture. La musique s’efface rapidement dans une fin tranquille qui semble quelque peu timide après une telle explosion.
Enfin, le Finale fait un grand usage du chant Dies irae, qui a également été utilisé à merveille dans la Rhapsodie sur un thème de Paganini. Le chant est travaillé minutieusement tout au long du mouvement et est juxtaposé par une citation du neuvième mouvement, « Béni soit le Seigneur » (Blagosloven yesi, Gospodi ), de la Veillée nocturne du compositeur . La mort et la résurrection sont les deux thèmes représentés ici, et c’est ce dernier qui finalement triomphe – Rachmaninov a même écrit « Alléluia » sur l’énoncé final du thème de All-Night Vigil.