Elle est, à l’évidence, ce que l’on appelle une « bête de scène ». C’est d’ailleurs sur les planches que Marie Perbost donne le meilleur d’elle-même et ce supplément indispensable à tout chanteur pour devenir un artiste. Après nous avoir conquis dans différents répertoires, y compris un stand-up ébouriffant et un brin coquin, voici la soprano française dans un autre exercice, celui de l’opéra seria, un genre particulièrement « cadenassé » et laissant peu de marges de manœuvre aux interprètes.
Rencontre avec une pétillante cantatrice à des années-lumière des stéréotypes d’une diva.
Classictoulouse : Après Pamina, Musetta et La Folie dans Platée, vous voici pour une autre prise de rôle d’importance au Théâtre du Capitole, Ilia dans l’Idomeneo de Mozart. Mais depuis votre dernière apparition sur la scène du Capitole dans le chef-d’œuvre de Rameau en mars 2022, quel a été votre parcours ?
Marie Perbost : Cette actualité des derniers mois a été marquée par ma prise de rôle d’Eurydice dans l’Orphée aux enfers d’Offenbach à l’Opéra de Lausanne dans la mise en scène d’Olivier Py. C’est un rôle très difficile qui m’entraîne souvent vers mes notes aigües. C’est un personnage qu’il faut impérativement incarner, dans lequel il y a aussi des dialogues. J’adore tout cela mais c’est un vrai challenge ! La mise en scène d’Olivier Py nous laisse à tous une grande liberté et cela induit une action/réaction permanente entre les artistes et par conséquent une vraie vie sur scène. En réalité nous avons fait 5 spectacles différents puisque rien n’était gravé dans le marbre. J’ai également enregistré mon premier disque en solo avec orchestre. Il s’intitule « Dis-moi Vénus… ». Ce cd est consacré à des compositeurs contemporains de Louis XV.
Venons-en à cette princesse troyenne. Quel portrait vous inspire-t-elle ?
Dans la proposition scénique que présente le Théâtre du Capitole, je suis une princesse américaine du 20éme siècle. En fait la mise en scène repose sur un conflit Amérique-Japon, celui de 1945. C’est une jeune fille de la bourgeoisie, bien éduquée mais qui est transplantée dans un monde qui n’est pas le sien. Elettra est quant à elle un personnage de fiction incarnant les âmes de tous les soldats morts au Japon depuis l’époque féodale jusqu’à nos jours. La production, alors que nous sommes debout sur des plots de différentes hauteurs, nous impose, à l’image de la tragédie grecque, de ne pas nous regarder les uns les autres et croyez-moi c’est difficile. C’est une convention théâtrale qui a du sens et qui est parfaitement cohérente. Nous nous adressons en permanence au public et cela avec une intensité incroyable. Nous nous devons, tous, d’incarner les personnages par le seul subterfuge de nos voix, tant en terme de dynamique que d’intensité, de couleurs, etc. Les plots sur lesquels nous sommes se déplacent tels des pions sur un échiquier. Ce sont les dieux qui jouent avec notre destin. Quand on a compris cela, tout devient évident et fascinant.
Ne voit-on pas dans ce personnage comme une préfiguration de Pamina ?
Oui mais il y a une légèreté dans le personnage de Pamina que nous ne trouvons pas ici. Contrairement à Pamina qui est très pro-active dans son histoire, Ilia n’est qu’une proie des forces du destin. Elle subit avant tout. Mais c’est vrai que le parallèle est inévitable car toutes les deux sont des princesses prisonnières que l‘amour va faire fondamentalement changer. Vocalement et c’est peut-être dû à l’italien, Ilia est beaucoup plus une dentelle lyrique que Pamina à qui Mozart demande davantage d’épaisseur vocale.
Tout en respectant les règles de l’opéra seria, on a un peu l’impression que Mozart s’en éloigne pour annoncer ici ses grands ouvrages à venir en particulier ceux de la trilogie Da Ponte. Qu’en pensez-vous ?.
Ce qui m’a beaucoup impressionnée à l’étude de l‘œuvre et particulièrement au dernier acte, c’est la maturité de ce Mozart de 25 ans dans lequel il me semble entendre Schubert. C’est étrange et troublant mais je n’entends plus du Mozart, j’entends autre chose. Il y a aussi tout au long de cet ouvrage un ensemble de récitatifs accompagnés dont l’importance est première.
Parlez-nous des difficultés de ce rôle
Pour ma part c’est l’œuvre la plus longue que j’aurais interprétée à ce jour. De plus, au fur et à mesure que l’ouvrage se déroule, mon rôle devient plus prégnant et finalement je ne quitte plus le plateau de tout le dernier acte. L’écriture de ce rôle est tout en légèreté, ce qui n’est pas intrinsèquement la première spécificité de mon instrument. Donc cela me demande beaucoup de concentration d’autant qu’une grande partie de la partition est écrite sur mon passage entre mi, fa et sol.
Une interprétation d’hier ou d’aujourd’hui vous a-t-elle inspirée pour travailler ce rôle ?
Oui bien sûr, mais il m’a fallu faire très attention car pas mal d’enregistrements sont réalisés avec un Idamante féminin et donc la partition d’Ilia est réécrite en conséquence. Comme je chante beaucoup avec Idamante et qu’au Capitole c’est un ténor, je devais être très prudente dans mes écoutes. Evidemment j’ai retenu plus particulièrement les interprétations de Sena Jurinac, Lucia Popp, Edith Mathis mais, pour tout vous dire, je suis arrivée sans image à reproduire et je me suis confiée au maestro Michele Spotti. Et je n’ai qu’à m’en féliciter car il a, lui, véritablement construit mon Ilia.
Mozart a écrit pour Ilia trois airs splendides. Elle participe également à de nombreux ensembles. Au milieu de tout cela, un passage vous comble-t-il au-delà des autres ?
Non, non ce n’est pas le Zeffiretti… Mon grand coup de cœur va au récitatif avant le duo avec Idamante au dernier acte.
Christophe Ghristi a opté pour un Idamante ténor plutôt que mezzo-soprano. N’est-ce pas plus « confortable » pour Ilia scéniquement ?
Je n’ai aucune expérience de chanter Ilia avec une mezzo-soprano mais je peux vous dire qu’avoir Cyril Dubois en Idamante, c’est un luxe inouï. De plus et pour les tenants de la version « féminine » d’Idamante, je dois dire que Cyril chante parfois avec une technique de haute contre, ce qui allège considérablement le timbre, tout en demeurant une voix masculine.
Vos projets après le Capitole et les rôles que vous appelez de vos vœux ?
Après Idomeneo je reste dans Mozart avec la Grande messe en ut lors d’une tournée qui se terminera à Versailles. J’ai souvent chanté cette œuvre mais en tant que choriste. Cette fois je suis soliste. Ensuite, après quelques dates estivales, je préparerai dès le mois d’août ma rentrée qui se fera à l’Opéra de Paris dans une nouvelle production signée Barrie Kosky. Il y aura plus de 15 représentations ! Quant aux rôles que j’appelle de mes vœux ? Certainement Blanche dans Dialogues des carmélites de Poulenc, surtout si c’est dans la production d’Olivier Py. Je me sens aussi attirée par La Rondine de Puccini, j’aimerais bien aborder ce personnage.
Propos recueillis par Robert Pénavayre
Un article de ClassicToulouse
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