Ce 15 février dernier, l’Orchestre national du Capitole recevait pour la première fois le chef d’orchestre tchèque Petr Popelka et, de retour après une longue absence, le violoncelliste norvégien Truls Mørk. Indéniablement, ces deux fortes personnalités ont conquis le public d’une Halle aux Grains pleine à craquer. Preuve que Toulouse n’a pas usurpé son titre de « Ville des musiques » décerné par l’Unesco !
Rappelons que Petr Popelka, également pianiste et compositeur, a acquis sa formation musicale aussi bien dans sa ville natale de Prague qu’à Fribourg. Entre 2010 et 2019, il a occupé le poste de contrebasse solo adjoint de la Sächsische Staatskapelle Dresden. Récemment nominé au Wiener Symphoniker, il est le chef attitré de l’Orchestre de la radio norvégienne depuis août 2020 et est devenu en septembre 2022 directeur artistique de l’Orchestre symphonique de la radio de Prague.
Le soliste qu’il accompagne lors de ce concert toulousain, l’extraordinaire violoncelliste norvégien Truls Mørk, a déjà, à plusieurs reprises, été l’invité de notre Orchestre. Sa prestation, au cœur de ce concert, représente un moment musical et expressif qui marque déjà toute la saison du sceau de l’excellence.
Mais reprenons le déroulement chronologique de cette soirée. Le concert s’ouvre sur… l’ouverture « Carnaval » d’Antonin Dvořák. Elle constitue la partie centrale du triptyque Nature, Vie et Amour composé pour le concert et créé en 1892. Le dynamisme de la direction de Petr Popelka met le feu à l’ensemble de l’Orchestre qui déploie dès le premier tutti une énergie à toute épreuve. Tout en témoignant ainsi de l’authenticité de sa formation tchèque, le chef fait sonner l’ensemble des pupitres avec un éclat explosif ! Sa direction animée, expansive, s’adresse à chaque pupitre, à chaque musicien. La précision et l’équilibre contrasté des sonorité sont au rendez-vous.
L’arrivée sur le plateau de la Halle de Truls Mørk installe un tout autre climat. Il aborde cette fois le Concerto pour violoncelle et orchestre n° 2 que Dmitri Chostakovitch a dédié en 1966 à son grand ami Mstislav Rostropovitch. D’un caractère très différent du premier des concertos, également dédié à « Slava », cette partition explore les ombres les plus noires de l’âme humaine. Dès l’ouverture du Largo initial, le bouleversant solo du violoncelle installe la tonalité tragique de toute l’œuvre. On retrouve là la sonorité d’une insondable profondeur du musicien. La rondeur du timbre, son homogénéité sur toute la tessiture, l’absence du moindre « parasite » constituent déjà un prodige.
Cette perfection instrumentale soutient l’expression d’une souffrance, d’une introspection qui se traduit aussi bien par des plaintes que par de subits sursauts de révolte. De tragiques échanges avec le cor, les bassons, les percussions alimentent l’émotion qui émane de ce premier volet dont Rostropovitch déclarait « le violoncelle arrache littéralement les larmes ». Bâti autour d’une chanson de rue, le deuxième mouvement ne masque rien de la douleur qui continue de s’exprimer. Le final auquel il s’enchaîne n’apaise pas non plus l’atmosphère d’inquiétude qui se manifeste encore lors de nouveaux dialogues du violoncelle avec les percussions, comme des messages implacables du destin. L’œuvre s’achève sur un long coup d’archet decrescendo du soliste qui conduit irrémédiablement au silence. « Serait-ce déjà la mort ? » comme s’achève l’ultime des Quatre derniers Lieder de Richard Strauss. La puissance qui se dégage de cette conclusion sinistre ne saurait trouver interprète plus investi que le grand Truls Mørk. Reconnaissons que l’orchestre, dirigé avec précision et passion par Petr Popelka joue le jeu aussi bien dans la perfection des détails que dans la grande courbe de cette partition bouleversante.
Les applaudissements, qui ont du mal à émerger de ce silence émouvant, finissent par acclamer les interprètes. Rappelé à plusieurs reprises, Truls Mørk finit par prolonger l’atmosphère du concerto avec un bis signé Benjamin Britten, un extrait de sa Suite pour violoncelle n° 2, dédiée à… Mstislav Rostropovitch, dont décidemment l’ombre a plané sur ce programme.
Toute la seconde partie de la soirée est consacrée à des extraits des Suites 1, 2 et 3 du ballet Roméo et Juliette de Sergueï Prokofiev. Comme cela se pratique souvent, le chef d’orchestre choisit un certain nombre de scènes de ces suites qu’il ordonne selon leur caractère musical et l’alternance des tonalités et non de manière chronologique. Pas moins de onze extraits se succèdent dans la version choisie ce soir-là. Si la scène joyeuse « La rue s’éveille » ouvre ce récit musical, celui-ci se conclut sur la tragique « Mort de Tybalt ». Le dramatique Andante de « Montaigu et Capulet » ainsi que l’épisode « Roméo sur le tombeau de Juliette » figurent donc au sein de ce récit.
Tout au long de cette exécution, le chef souligne et accompagne avec passion les interventions virtuoses de chaque pupitre, chaque soliste. Saluons les implications aussi bien instrumentales qu’expressives de chacun.
Abondamment applaudie, cette exécution amène le chef à remercier et féliciter chaleureusement chaque pupitre et chaque soliste, en particulier celle qui occupe ce soir-là avec talent le poste de premier violon solo, Jaewon Kim. Un grand bravo à tous !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole