Le 3 février dernier, l’ensemble toulousain de cuivres anciens Les Sacqueboutiers retrouvait la scène de l’Opéra national du Capitole dans un programme musical, vocal et chorégraphique particulièrement original. Intitulé El Villano, du nom d’une pièce instrumentale du XVIIIème siècle, ce projet audacieux réunit des univers culturels apparemment éloignés, mais dont le rapprochement s’avère d’une incroyable fécondité.
Depuis quelques saisons, Christophe Ghristi, le directeur artistique de l’Opéra national du Capitole, invite Les Sacqueboutiers à participer aux spectacles offerts sur la scène de la vénérable institution lyrique. Chaque concert ainsi produit par ces musiciens explore une thématique originale en lien avec leur instrumentarium particulier, mais toujours ouverte sur des horizons inattendus. Leur créativité les amène à concevoir des spectacles associant la musique ancienne, leur domaine de prédilection, à d’autres univers artistiques : la musique contemporaine, la danse, le monde de la marionnette, le jazz, la littérature, l’ethnomusicologie…
Les Sacqueboutiers sont peu frileux lorsqu’il s’agit de s’aventurer en terre inconnue. Cette fois-ci, le répertoire visité est celui des musiques populaires issues des pays méditerranéens. C’est la puissance et l’énergie du Flamenco qu’ils ont eu envie de convier sur scène.
Pour cela ils réunissent un ensemble d’artistes aux spécificités diverses et complémentaires. Aux côtés de la sacqueboute virtuose de Daniel Lassalle, du cornet à bouquin colorature de Jean-Pierre Canihac, du violon lumineux d’Hélène Médous et des percussions d’une redoutable habileté de Florent Tisseyre, sont invités l’accordéon raffiné de Grégory Daltin, la guitare inventive de Benoît Albert ainsi que la contrebasse aux profondes couleurs de Denis Léogé. Deux voix solistes s’ajoutent à cette riche distribution, celle du ténor espagnol Victor Sordo, un compagnon fréquent de l’ensemble, et celle de la grande Sabrina Romero, danseuse, chanteuse et percussionniste et l’un des grands noms du Flamenco moderne.
La fusion, plus que la simple cohabitation, entre ces talents sans frontière, génère une énergie profondément musicale qui transcende les époques et les styles. Symboliquement, le spectacle s’ouvre sur une sorte de prière flamenca émouvante lancée par Sabrina Romero et intitulée « La duda y el tiempo » (Le doute et le temps). La voix est forte et profonde, le geste intense. Lui succède alors la partition instrumentale qui donne son nom au programme, El Villano, extraite de la Suite española du compositeur Antonio Martín y Coll (1671-1734).
La succession des pièces suivantes fait alterner les époques et les styles avec une imagination sans limite et un sens aigu de la transition. Des compositeurs de toutes nationalités de la Renaissance comme José Marin, Heinrich Schütz, Antonio Valente, Stefano Landi ou le grand Claudio Monteverdi, cohabitent avec les interventions chorégraphiques, vocales et percussives de Sabrina Romero.
Certaines œuvres anonymes, Jacara ou Séfarade, cohabitent harmonieusement avec quelques compositions des interprètes de cette soirée, comme Oudal’Oud de Benoît Albert, ou Passeggiata, de Grégory Daltin.
Parmi les moments remarquables de cette rencontre saluons un beau solo de contrebasse de Denis Léogé, un bouillonnant duo entre la voix ronde et belle du ténor Victor Sordo et le cornet à bouquin virtuose de Jean-Pierre Canihac, plusieurs interventions impressionnantes de vélocité de Daniel Lassalle à la sacqueboute… L’association la plus sidérante concerne celle de la danseuse percussionniste Sabrina Romero et le maître du « cajon », cet instrument percussif d’apparence simple dont Florent Tisseyre exploite avec habileté et précision les multiples possibilités rythmiques. Comment ne pas être ébloui devant la cohésion, le synchronisme parfait entre les impulsions du percussionniste et la pratique du « zapateado » de la danseuse ? Une énergie incroyable se dégage de chacune de leur prestation commune qui déclenche d’ailleurs chaque fois une salve d’applaudissements de la part du public médusé.
L’accueil enthousiaste de la salle à la suite du dernier numéro du programme, intitulé joliment Ah ! Vita Bella de Lucille Galeazzi, motive la reprise en bis de deux des pièces de ce programme joyeux.
Voici une belle manière de saluer la nouvelle année !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse