Le troisième concert de la saison des Arts Renaissants, le tout premier de l’année 2024, retrouvait, ce 23 janvier, deux amis musiciens, deux personnalités aux talents impressionnants et convergents. Ce soir-là, l’auditorium Saint-Pierre des Cuisines recevait le percussionniste Aurélien Gignoux et le pianiste Charles Heisser que leur jeunesse et leur imagination sans limite incitent à explorer des répertoires ouverts et divers.
Primé au prestigieux concours international de l’ARD de Munich et lauréat des Victoires de la musique classique 2021 comme « Révélation soliste instrumental », Aurélien Gignoux est depuis devenu soliste de l’Ensemble Intercontemporain. Charles Heisser hérite de ses parents, tous deux grands pianistes, un sens musical et une ouverture d’esprit remarquables. La complicité qui lie ces deux personnalités s’exprime au plus haut point dans le programme hors du commun qu’ils ont imaginé pour ce concert.
D’une manière générale, la fusion entre les deux entités donne naissance à une sorte d’instrument unique d’une richesse sonore, expressive et musicale étonnante. Suivant les œuvres abordées, les deux personnalités se parlent, s’échangent des motifs, s’imitent parfois, se défient ou se répondent. Le piano s’intègre souvent, comme un élément supplémentaire, à l’arsenal instrumental du percussionniste. Et quel arsenal ! Néanmoins, lors d’épisodes stratégiques, le jeu du pianiste développe ses propres spécificités. Toutes les pièces jouées ce soir-là sont arrangées pour piano et percussions par les interprètes. Saluons la virtuosité des deux musiciens et en particulier l’impressionnante habileté d’Aurélien Gignoux aux prises avec un instrumentarium au sein duquel les deux claviers que sont le vibraphone et le marimba tiennent une place de choix.
La première partie de ce programme copieux mêle astucieusement les musiques de grands compositeurs français du XXème siècle aux grands standards de jazz de Bill Evans. Ainsi, les Trois morceaux pour piano de Lili Boulanger (la jeune sœur trop tôt disparue de la grande Nadia) sont habilement mêlés à la musique de Bill Evans en un dialogue profondément empreint de poésie. La percussion seule traduit le premier mouvement de la célèbre Sonatine de Maurice Ravel qu’Aurélien Gignoux nimbe d’un touchant raffinement. Le mélange avec le langage imagé de Bill Evans offre une belle transition vers Laideronnette, impératrice des pagodes, extrait de Ma mère l’Oye, de Maurice Ravel. L’œuvre semble avoir été composée pour la richesse des percussions qui réalisent là une véritable orchestration ! L’enchaînement vers trois extraits des Six épigraphes antiques de Claude Debussy prolonge l’atmosphère poétique de cet épisode.
La seconde partie de la soirée encadre l’œuvre majeure du Hongrois György Ligeti par des interventions imaginatives signées de deux icônes du jazz, Thelonious Monk et Chick Corea. La richesse rythmique de Monk envahit toute l’introduction de cette confrontation. La sixième des pièces qui composent le recueil Musica Ricercata de Ligeti, Allegro molto capriccioso, s’enchaîne presque naturellement. On y décèle comme un inquiétant battement de cœur, habilement suggéré. Les musiciens abordent ensuite le recueil de Chick Corea, intitulé Children’s Songs et composé de 20 pièces. Ils en détachent tout d’abord la douzième, puis s’ingénient à mêler la sixième avec la huitième des Musica Ricercata, fusion dont émerge un étonnant et vertigineux ostinato. C’est avec cette correspondance entre les deux mondes musicaux que les deux complices complètent cette présentation.
Néanmoins les rappels du public obtiennent un bis sous la forme du dernier (le 20ème) des Children’s Songs de Chick Corea.
Si quelques personnes du public ont pu se sentir décontenancées par l’originalité d’un programme hors norme, la majorité a adhéré à la démarche de l’association Les Arts Renaissants. Chaque saison programme en effet une soirée particulière et innovante parmi les rencontres proposées. L’ouverture vers des horizons atypiques ou buissonniers constitue un élément positif de son action culturelle.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse