Le retour, lors du concert du 12 janvier dernier, de Kazuki Yamada à la tête de l’Orchestre national du Capitole vient encore renforcer les liens que le chef japonais a tissés avec les musiciens de la phalange toulousaine. Ce soir-là, une Halle aux Grains pleine à craquer a acclamé la présentation d’un programme musical de haute volée brillamment exécuté par des interprètes galvanisés, soutenus, motivés par une direction intense, précise et enthousiaste, et la présence d’un soliste d’exception.
L’amour bien connu de Kazuki Yamada pour la musique française l’amène à privilégier ce répertoire dans les programmes qu’il conçoit. Cette fois encore, le concert comporte deux grandes partitions de notre patrimoine musical. La suite d’orchestre Masques et bergamasques, de Gabriel Fauré dont on célèbre cette année le centenaire de la disparition, ouvre la soirée sur ses quatre tableaux inspirés des personnages de la commedia dell’arte. La grâce légère de l’Ouverture se teinte ici d’un intense déploiement de couleurs. Le Menuet et la Gavotte sont animés d’un rythme de danse d’une élégance souveraine. La Pastorale finale distille une apaisante tendresse, évoquant ainsi le riche répertoire de mélodies du compositeur appaméen.
Avec le Concerto pour alto et orchestre de Béla Bartók, l’atmosphère change du tout au tout. Cette œuvre de 1944, objet d’une commande de l’altiste écossais William Primrose, reflète les inquiétudes, les états d’âme du compositeur, de l’homme condamné par la leucémie qui allait bientôt l’emporter. Une lettre de Bartók à Primrose donne une idée de la conception formelle de cette partition : « L’orchestration va être transparente, plus que dans un concerto pour violon. Le caractère sombre, plus masculin de votre instrument a lui aussi exercé une certaine influence sur le caractère général de l’œuvre. L’œuvre est conçue dans un style assez virtuose… Il y a toutes les chances pour que quelques passages se révèlent inconfortables, voire injouables. Nous en discuterons plus tard à la lueur de vos observations ». Le compositeur n’en eut pas le temps, il mourut à New York le 26 septembre, laissant la partition inachevée. S’il est toujours risqué de vouloir associer le caractère d’une œuvre aux circonstances de sa composition, l’écoute des trois mouvements de ce chef-d’œuvre de sensibilité ne laisse pas trop de place au doute.
Le soliste de cette pièce, le jeune altiste Timothy Ridout, né à Londres en 1995, est l’un des altistes les plus recherchés de sa génération. Son implication aussi bien technique que musicale et expressive dans l’interprétation de cette sorte de testament musical constitue une véritable révélation. Les couleurs sombres et paradoxalement lumineuses de son jeu, le choix de nuances aussi subtiles qu’inventives, le caractère dramatique, angoissé de son propos constituent une source d’émotion constamment soutenue. Chacune des cadences a cappella, et elles sont nombreuses, résonnent comme des confidences, des plaintes, ou des révoltes. Le cœur de l’œuvre, l’Adagio religioso, crée cette « bulle d’éternité » que certains y détectent. L’orchestration, d’une prodigieuse richesse est habilement dosée par le chef afin de ne jamais masquer par le jeu profondément expressif du soliste. Cette interprétation magistrale génère une émotion à laquelle on ne peut résister.
Recueillant une ovation unanime, Timothy Ridout ne peut se soustraire à l’exécution, non pas d’un, mais de deux bis ! A la belle Sonate pour alto solo, Op.25 n° 1, de Paul Hindemith, succède un retour vers Béla Bartók pour lequel il est rejoint par Jaewon Kim, la violoniste super-soliste de l’orchestre. Touchante initiative ! Les deux musiciens jouent alors l’un des 44 duos pour violon, intitulé Bánkódás (chagrin), comme dans le prolongement du concerto. Nouveau triomphe public !
Toute la seconde partie du concert marque le retour à la musique française, avec la célèbre Symphonie n° 3, avec orgue, que Camille Saint-Saëns a dédiée à son ami Franz Liszt décédé le 31 juillet 1886. Kazuki Yamada en dirige avec énergie et nuances toutes les facettes contrastées. Passée l’attente que suggère l’Adagio initial, le chef anime la section Allegro moderato avec une vigueur impressionnante. L’œuvre avance dans la diversité de ses épisodes. Chaque pupitre de l’orchestre prend sa part de cette progression irrésistible. On admire l’équilibre parfait entre cuivres et cordes, bois et percussions. Dans le long premier volet de l’œuvre, l’orgue et le piano s’intègrent subtilement dans le tutti orchestral. A défaut de l’orgue à tuyaux pour lequel l’œuvre a été conçue, Michel Bouvard domine avec finesse son substitut électronique et progresse peu à peu vers ce final triomphant. Tom Grimaud, au clavier du piano, est bientôt rejoint par Anna Jbanova dès l’ouverture de ce second volet par le grand accord monumental de l’orgue. Tout au long de cet épilogue monumental éclatent les couleurs les plus vives et la somptuosité des déchaînement sonores. Kazuki Yamada organise les thèmes et les vagues incandescentes avec une maîtrise impressionnante. Jusqu’aux accords conclusifs, d’une intensité d’éruption volcanique !
Le public manifeste bruyamment son enthousiasme alors que le chef remercie chaque pupitre chaque soliste, se déplaçant de l’un à l’autre sur le plateau de la Halle. Il conclut donc ainsi cette soirée de bonheur musical. Gageons que l’on reverra prochainement Kazuki Yamada à la tête de l’Orchestre national du Capitole dont il reste l’un de ses plus fidèles chefs invités.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole