Raphael Pichon, grande et jeune silhouette élégante s’installe devant les 25 chanteurs et 35 instrumentistes de son ensemble Pygmalion . Au programme, un choix de Cantates de Jean Sebastien Bach présentées dans une progression et une dramaturgie savamment conçues, qui nous mènera de l’ombre à la lumière, du désespoir à la jubilation.
Un long moment de silence voulu par le chef plonge les artistes et l’auditoire dans une atmosphère de grande concentration qui prélude au choc du premier choeur a cappella . L’interprétation intense et les paroles glaçantes de l’étonnant motet de Johann Christoph Bach « Mit weinen hebt sich’s an » nous saisissent : « Avec des pleurs elle commence, cette vie pitoyable » .
La cantate BWV 25 est elle aussi marquée par les souffrances de l’existence humaine, à l’instar de l’insondable et inexorable profondeur du choeur introductif : » il n’est rien de sain dans ma chair ». Le récitatif chanté par le merveilleux ténor Laurence Kilsby renchérit : » le monde entier est un hôpital…. le péché a souillé et contaminé tout le monde » . Ces paroles et cette musique – composées voici 300 ans – nous rejoignent dans notre actualité la plus brûlante…Pour autant le réconfort et l’espoir se font jour dans les magnifiques airs de la soprano, un peu tendue, et de la somptueuse basse de Christian Himmler: « Seigneur Jésus, mon médecin ».
Changement complet d’ambiance avec la jubilatoire et exaltante Cantate BWV 110 « Notre bouche s’emplit de rire et nos lèvres de chanson « . La virtuosité du choeur, l’excellence des solistes instrumentaux (trompettes naturelles, traverso, hautbois, viole de gambe,…) brillent de mille feux, et le timbre velouté de la star de l’alto Lucile Richardot nous comble.
Après l’entracte , l’orchestre joue désormais debout, ce qui manifeste une nouvelle progression dramaturgique : tout d’abord l’exubérant et lumineux chœur introductif de la cantate BWV 66 donne le ton, avant d’enchainer sur l’un des sommets de la musique vocale de Bach: la cantate BWV 80 « Ein feste Burg ist Unser Gott »: « Une forteresse sûre est notre Dieu », ou le choeur et l’orchestre font merveille dans la savante architecture fuguée du choeur introductif , puis dans les récitatifs et airs ou brillent à nouveau les solistes et un continuo toujours très nourri et dynamique.
Ultime affirmation de la foi chrétienne avec le Sanctus de la Messe en Si, sommet absolu de complexité et de jubilation composé pour 6 parties différentes, dans une interprétation superlative et lumineuse ou chaque partie se fait entendre …..
Belle ovation du public à l’issue de ce concert présenté par Grands Interprètes. Un concert original et exigeant tant pour les artistes que pour les auditeurs, dans une acoustique de la Halle aux Grains bonifiée par un nouveau plancher de scène en hêtre qui vient ajouter opportunément un peu de réverbération à cette belle salle.
Raphael Pichon et son ensemble Pygmalion confirment à nouveau leur réputation de très grands interprètes de la musique de Bach, dignes héritiers des pionniers que sont Harnoncourt, Gardiner, Herreweghe,…. Outre la limpidité et la perfection de l’interprétation, Pichon ajoute une touche très personnelle, en concevant des programmes originaux utilisant l’extraordinaire théâtralité des cantates de Bach, afin de dessiner une trajectoire et des contrastes qui nous rendent cette musique si savante et si complexe encore plus proche : une musique ancrée à la fois dans le concret de l’existence humaine et dans une authentique dimension spirituelle.
Emmanuel Gaillard