Samedi 7 octobre prochain, le Théâtre du Pavé rouvrira ses portes avec sa soirée de présentation de saison. Une saison sous le signe du renouveau, avec des aménagements jamais encore découverts par le public et une belle vitrine de jeunes compagnies. Culture 31 a rencontré Francis Azéma, directeur du théâtre toulousain et metteur en scène, pour en savoir plus avant l’heure.
Culture 31 : Depuis plus de 30 ans, l’un de vos objectifs est de faciliter l’accès à la culture. Aujourd’hui, le Théâtre du Pavé est réputé pour son ambiance chaleureuse et la proximité entre ses artistes et son public. Êtes-vous fier du chemin parcouru ?
Francis Azéma : C’est toujours difficile d’être fier de soi. Ce serait un peu présomptueux, le chemin est loin d’être fini. Mais c’est vrai qu’on a un peu bougé en 30 ans. On est partis de rien ou de très peu, bien que reprendre le Théâtre du Pavé en 2001 a été une chance inouïe pour moi. On se souvient qu’il y avait entre 4.000 et 5.000 spectateurs par an, lorsqu’on frôle aujourd’hui les 20.000. Donc on peut se dire qu’on a continué le chemin déjà entamé par nos prédécesseurs, même s’il reste beaucoup de choses à faire.
Être populaire, rester accessible, ça peut être difficile quand on essaye de ne pas tomber dans la facilité non plus. Parce qu’on peut très bien remplir un théâtre avec des petits spectacles qui ramènent beaucoup de monde mais qui sont aussi un peu creux, donc il faut toujours être vigilant dans les choix qu’on fait.
L’éthique est aussi au cœur des revendications du théâtre. Tout comme Hercule Poirot se sent investi d’une mission à chaque enquête, la solidarité est-elle la vôtre, à travers le prisme de la culture ?
C’est très joliment dit, et c’est ce qu’on essaye de faire, arriver à conjuguer quelque chose d’assez rigoureux et exigeant artistiquement parlant, tout en faisant en sorte que le public ne soit pas effrayé. Qu’il ne parte pas en courant, ne s’ennuie pas, ne juge pas ce théâtre réservé à une élite intellectuelle ou autre… Trouver ces compromis sans compromission, c’est difficile. Et c’est un peu notre quête à tous, car je ne suis pas seul.
Ce n’est pas moi, dans mon coin, qui réfléchit à tout ça. C’est le fruit d’échanges, de rencontres et de discussions avec d’autres artistes pour faire vivre ce lieu. Le Pavé est d’ailleurs un des derniers lieux à être dirigé par un artiste et non par un administrateur. C’est quelque chose qui – on en discutait récemment – tend à disparaître, et qu’il faut privilégier.
Des travaux ont été en cours jusqu’à ce mois d’octobre, pour une remise aux normes d’accessibilité. Vous devez être impatient de dévoiler les nouveaux aménagements mis en place.
Oui, on a vu le résultat ce week-end, et je crois que les entreprises qui sont venues cet été ont très bien travaillé. Le théâtre est magnifique. Il y a des accès formidables pour les personnes à mobilité réduite. Des toilettes, des rampes d’accès, des places au tout premier rang… Donc on se réjouit de ces aménagements qui nous ont permis de réfléchir à une autre vision de l’accueil du public. On se dit qu’on va essayer d’autres choses, faire rentrer le public par les coulisses… On va tenter plein de nouvelles petites choses pour voir si ça marche. C’est aussi l’occasion pour nous de tester de nouvelles aventures.
Les lieux vont d’ailleurs rouvrir au public le 7 octobre avec la traditionnelle présentation de saison, à 19h. Une fois de plus, les artistes programmés seront de la partie. Que représente ce rendez-vous annuel pour vous ?
Il est très important parce que c’est comme une fête de retrouvailles pour nous. On s’est aussi aperçus qu’il ne faut pas prendre cette rencontre à la légère. Car les spectateurs qui viennent – souvent des habitués – écoutent bien ce que les artistes disent et, parfois, certains parlent peu ou mal de leur projet, et la salle se vide après leur passage. On prévient bien les artistes que c’est un moment difficile, en leur disant bien à quel point il est important. On voit des gens noter des choses sur les programmes, cocher des spectacles… Ils interrogent, ils questionnent. C’est assez amusant de voir ça.
Si l’on fait un léger saut en arrière, le public a-t-il autant été au rendez-vous que vous l’espériez sur la saison 2022-2023 ?
Sans autosatisfaction, oui. On avait très peur, il y a eu une chute de fréquentation avec les retombées du Covid-19, mais objectivement, en regardant les résultats, on se rend compte que le public était encore au rendez-vous. Quand on entendait les théâtres nous dire « il n’y a plus personne », on prenait peur. Finalement le public était là. Peut-être pas sur tous les spectacles, mais, de façon générale, on sent qu’il y a un public qui est très attaché à ce lieu, et qui est toujours curieux de voir de jeunes artistes s’exprimer, et de partager avec nous les risques de la découverte.
« Marius » et « Fanny » de Marcel Pagnol, déjà en scène les saisons passées, seront d’ailleurs de retour cette année. L’accueil du public envers ces pièces a donc dépassé vos attentes ?
J’étais déjà prêt à les arrêter l’an dernier, je me disais que ça commençait à faire. En fait, des gens m’ont dit « tu sais, à Paris, ils jouent des pièces pendant des années, ils n’ont pas de scrupule à continuer s’il y a du public ». Donc on continue. Peut-être qu’on aura personne cette année, mais comme on a eu beaucoup de monde la saison passée, on l’a remis en ouverture. Ça fait partie de ces spectacles « locomotive » qui drainent le public et font qu’après il continue à venir sur d’autres projets peut-être moins évidents.
C’est ça le but aussi, avoir des spectacles un peu phares pour pouvoir encourager à venir voir les jeunes compagnies, les jeunes artistes, les découvertes… Et souvent, ils viennent en confiance. Après, je reçois parfois des mails de gens déçus et j’essaye de leur répondre en leur disant que ça fait aussi partie de l’aventure. Si on veut faire des spectacles qui marchent à 100%, on met des spectacles café-théâtre et ça remplit la salle, mais est-ce que c’est vraiment de l’art ? Je ne sais plus.
Justement, quel a été votre leitmotiv dans la mise en place de la programmation de la nouvelle saison à débuter ?
En priorité, et de plus en plus, les jeunes compagnies. Peut-être que je vais bientôt m’en aller, mais du coup j’ai envie que ce relais avec les jeunes compagnies se fasse, si possible avec les femmes aussi, les jeunes artistes féminines. On peut voir qu’il y en a énormément dans la programmation. Beaucoup de metteuses en scène et d’actrices qui sont là et qui vont partager la scène avec nous. C’est pour moi un fil conducteur et ça va le rester.
Où en sont les spectacles que vous allez proposer dans leur avancée ?
La plupart des spectacles ne sont pas encore créés, ils sont en cours de gestation. C’est ce que j’aime aussi au Pavé. Il y a énormément de spectacles que je n’ai pas vu mais qui semblent très intéressants. Je ne suis pas du genre à aller voir un spectacle et le programmer en fonction de mon petit goût personnel. Je trouve que je ne suis pas assez compétent pour ça et ce serait prétentieux de ma part de dire que ça m’a plu ou ne m’a pas plus, et donc que je le programme ou non. L’idée, c’est plutôt de partager des aventures. J’essaye notamment de penser à ces jeunes troupes dont j’ignore tout.
Quel message aimeriez-vous faire passer au public ?
Il faut vraiment être curieux. Si on veut que le théâtre perdure, il faut encourager les jeunes compagnies. Venez voir ces compagnies, soutenez-les. C’est peut-être un peu maladroit, un peu gauche, un peu malhabile, mais ce n’est pas grave. Ils se forment, ils se font. Surtout qu’au Théâtre du Pavé, on ne prend pas des compagnies subventionnées ou repérées. On prend justement les autres, celles qui n’ont rien, qui viennent parfois de villages et de villes désertées. On n’est pas du genre à prendre des compagnies archi subventionnées qui n’ont rien à craindre, qui sont déjà dans le système.
Nous, on encourage plutôt des fous qui n’ont pas un rond et disent « j’ai un projet fou, je sais même pas de quoi ça va parler, mais j’ai une idée ». Et quand je leur demande comment ils vont le créer, ils me disent qu’ils vont trouver, et veulent juste pouvoir montrer leur spectacle. Ça ne rentre pas du tout dans les logiques culturelles, je me fais d’ailleurs un peu moquer par les instances parce que je crois à cette forme d’art un peu en marge.
Propos recueillis par Inès Desnot