Président aux destinées du vaisseau amiral de la culture toulousaine depuis la saison 2017/2018, Christophe Ghristi a dû affronter avec l’ensemble du personnel de cette vénérable maison la pandémie du Covid 19. La fermeture de l’établissement et ses possibles conséquences sur le public. En fait il n’en a rien été. Et voici le phénix capitolin plus flamboyant que jamais. Quel est le secret de ce succès qui donne formidablement envie.
Rencontre.
Classictoulouse : Quel regard portez-vous sur la saison 22/23 ?
Christophe Ghristi : C’est l’aboutissement d’un travail que j’ai entrepris de longue date. Elle a été portée par le succès rencontré tout au long des représentations. De nombreuses soirées ont affiché complet et notamment les deux spectacles donnés en fin de saison, deux ouvrages jamais donnés à Toulouse, le Mefistofele de Boito et Le Viol de Lucrèce de Britten. Je pense que nous avons renoué un pacte très fort entre le Capitole et son public. Ce dernier nous fait à présent confiance et s’est ouvert à la découverte d’œuvres qu’il ne connaît pas.
Quelques points-clés de la saison 23/24 ?
Comme chaque saison il y a de très grandes prises de rôle particulièrement attendues. C’est devenu la marque de notre maison. Un exemple ? Les trois prises de rôle majeures sur La Femme sans ombre : Ricarda Merbeth (La Teinturière), Sophie Koch (La Nourrice) et Elisabeth Teige (L’Impératrice), Cyril Dubois (Idamante), Stéphane Degout pour son premier Onéguine en France, Tassis Christoyannis (Golaud), etc. Il y a de jeunes chanteurs à qui nous offrons de nouveaux défis : Marie Perbost avec Illia, Adèle Charvet et Floriane Hassler avec Cenerentola, entre autres. Et puis de grands artistes internationaux qui nous font le bonheur de se sentir bien chez nous, par exemple Roberto Scandiuzzi, Nicola Alaimo ou Franz Josef Selig… La saison ne comprend que de très grands ouvrages autant français, qu’allemand, russe et italien. Et tout cela porté par des visions qui enrichissent le public en interpellant sa sensibilité, des visions qui lui parlent directement. De plus, et nous sommes les seuls en France avec Strasbourg, nous proposons une série de récitals. C’est une tradition au Capitole et c’est également une manière de donner envie à de très grands chanteurs de revenir dans notre maison. Je veux souligner que nous mettons ces récitals à la portée de tous avec des tarifs allant de 5€ pour les Midis du Capitole à 20€ pour les autres. C’est ainsi que nous allons recevoir Michael Fabiano, le grand ténor américain, mais également Mathias Goerne, Marcelo Alvarez qui fera ainsi son grand retour sur notre scène, etc. Pour les fameux Midis du Capitole, nous retrouverons de jeunes artistes qui se sont déjà fait applaudir ici., tels que Mikhail Timoshenko, Aleksei Isaev ou encore Petr Nekoranec. La présence dans cette saison d’ensembles de musique ancienne est très enrichissante également, je veux parler ici du Retour d’Ulysse dans sa patrie avec l’Ensemble I Gemelli, ou encore de la venue de Jordi Savall à la tête de La Capella Real de Catalunya et du Concert des Nations. Entre autres bien sûr.
Venons-en à cet article du Monde dans lequel vous êtes cité en tant que patron de l’Opéra national du Capitole. Sous la signature de Michel Guerrin, une mort lente est promise à l’opéra en France, alors que d’autres plumes affirment que la fermeture des opéras n’est pas inéluctable. Quelle est votre réflexion ?
C’est un papier qui est à charge et qui énonce pas mal de contre-vérités. Le Capitole est cité alors qu’il n’est pas du tout concerné. Ce journaliste est mal renseigné sur le sujet. Et, que je sache, il n’est jamais venu dans nos murs ni cherché à nous joindre pour préparer son papier. Quand il promet une mort lente de l’opéra, encore une fois Michel Guerrin manque d’informations car, concernant le Capitole, nous sommes autant en abonnement qu’en billetterie à l’unité à une hausse de 20% en moyenne et plus 13% en valeur ! Clairement pour certaines séries nous n’avons pas assez de spectacles pour satisfaire le public. A tel point que nous sommes obligés de faire une supplémentaire pour Les Pêcheurs de perles qui ouvrent la saison, une septième représentation possible grâce à l’enthousiasme des chanteurs et le professionnalisme de nos musiciens et de nos choristes qui pourtant ont un calendrier chargé. Autant vous dire que cette représentation supplémentaire a été close en 4 jours ! Donc ce sont plus de 8000 personnes qui vont venir voir ces Pêcheurs de perles. Quoi vous dire d’autre sur la « mort » de l’opéra, même s’il est vrai que dans l’histoire de l’opéra il y a des cycles. La vie de l’art lyrique en France n’est pas un long fleuve tranquille et c’est vrai aussi que selon les directions, certaines maisons peuvent connaitre des hauts et des bas. De plus le papier auquel vous faites allusion est totalement franco-français. Or il me semble difficile de parler de manière générique d’un genre comme l’opéra en restant dans l’Hexagone. Voyez le foisonnement lyrique des pays de l’Est, de l’Allemagne en particulier, mais aussi de l’Italie. Sans oublier les festivals. Les Arènes de Vérone accueillent tout l’été 20 000 spectateurs par soirée. Après cela dire que le genre est moribond…
Dans ce même article, le Capitole est mis sous les projecteurs au travers d’un important personnel artistique permanent : 114 musiciens, 45 choristes, 35 danseurs, des ateliers de décors et de costumes, des techniciens, etc. Est-ce vraiment un handicap ?
Certainement pas. Oui, c’est un genre lourd et cher. Mais dans toutes les villes qui disposent d’un théâtre lyrique, c’est chaque fois le vaisseau amiral de la Culture dans cette cité. Si, comme par exemple à Toulouse, la Collectivité est présente financièrement auprès d’une pareille institution, c’est parce qu’aussi elle y voit une part importante de son identité. C’est un ambassadeur de premier plan. Le Capitole collabore avec Barcelone, Munich, Lausanne, Bruxelles, l’Opéra royal de Versailles, le Théâtre des Champs Elysées à Paris, Riga, Tel Aviv, Palerme qui reprend après nous nos Pêcheurs de perles, le MET de New York affiche cette année notre Rondine, qui sera diffusée d’ailleurs dans les cinémas de l’Europe entière en direct. Et, en même temps, comment ne pas citer notre Bus Figaro qui est allé donner près de 80 représentations gratuites du Barbier de Séville dans des villages et des écoles. Le rayonnement d’une ville c’est aussi cela et clairement il faut des structures puissantes pour réaliser un pareil travail. La force de diffusion du théâtre et de l’orchestre est énorme. Et je ne pense pas que nos élus regrettent le moindre centime engagé dans une pareille politique.
Olivier Mantei, le patron de la Philharmonie de Paris, cité dans cet article, prône à l’évidence des rapprochements entre maisons lyriques.
C’est un sujet compliqué. Par contre je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour collaborer avec les confrères et consœurs qui font le même travail que moi. Et ce non seulement pour des raisons économiques et écologiques mais aussi pour le plaisir de travailler ensemble. Cela est d’autant plus possible que les maisons d’opéra en France sont suffisamment éloignées les unes des autres pour que nous ne nous fassions pas concurrence directe.
Sortons si vous voulez bien de cet article dont le contenu semble ne concerner que de loin l’Opéra national du Capitole. Justement, pourquoi un pareil écart entre ces affirmations et la réalité du terrain toulousain ?
Je ne suis pas un idéologue et je ne cherche pas à imposer ma vision du monde à travers mes programmes. Ce que cherche par contre, c’est de faire plaisir à mon public, à lui faire ressentir de grandes émotions, à l’élever aussi, pourquoi ne pas le dire. Ce travail se fait avec lui et jamais contre lui. Je suis persuadé qu’il est dangereux de ne pas nouer un pacte avec son public.
Deux tribunes récentes, l’une signée de Jonas Kaufmann, l’autre d’Emiliano Gonzalez Toro, fustigent ce que l’on appelle le regietheater, cause profonde de la désaffection du public.
Ils ont en grande partie raison. Cependant, personnellement je ne parlerais pas de regietheater qui est un mouvement très particulier. J’affirme plutôt que les mauvais spectacles sont mortels pour l’opéra, et j’entends par là des spectacles complètement arbitraires où ce que vous voyez n’a qu’un rapport lointain avec l’œuvre. Et il y a de mauvais spectacles dans tous les genres. Le débat moderne vs classique en la matière est mortifère pour l’art lyrique. Il est nécessaire d’en sortir au plus vite. Ce qui est vital dans l’opéra en tant que spectacle, c’est sa puissance, pas son style. Je n’aime ni la poussière ni l’arbitraire. En revanche, je n’ai pas peur de la beauté et de la grandeur. Ce que je retiens des commentaires de ces deux artistes c’est qu’il faut être main dans la main avec son public, le respecter et l’aimer. Notre mission est artistique et pas idéologique. Quand je vois des jeunes metteurs en scène qui viennent me montrer des projets et me disent qu’ils ont voulu donner leur vision du monde contemporain, je suis partagé entre l’affliction et l’hilarité. Mais ils pensent que c’est ce qu’il faut faire pour avoir du succès aujourd’hui…
En fait, quel est l’élixir de jeunesse du Capitole ?
C’est son énergie. Dans cette maison elle circule partout. Tout le monde ici est heureux de croire dans les productions que nous présentons. Cette maison est aussi portée par la passion et je suis toujours bouleversé à la fin d’une représentation par l’énergie que renvoie le public aux interprètes. Les artistes aiment ce théâtre car ils n’y sont jamais une case parmi d’autres. Ils sont aimés, choyés et portés par des équipes d’une grande gentillesse et très respectueuses. Et bien sûr ils sont dans les meilleures conditions pour donner leur meilleur sur scène. En ce moment, cette maison a la capacité d’enflammer tout le monde, les équipes, les artistes et le public.
Propos recueillis par Robert Pénavayre
Une chronique de ClassicToulouse