De retour de son périple estival triomphal, l’Orchestre national du Capitole de Toulouse fait sa rentrée toulousaine à la Halle le samedi 30 septembre à 20h dans un concert dirigé par un Grand parmi les Grands de la direction d’orchestre, j’ai nommé Marek Janowski. Et ce, pour la première fois.
Le programme ouvre avec la Symphonie n°1 de Ludwig van Beethoven suivie de la Symphonie, “la Grande“, la dernière de Franz Schubert.
Quelques faits marquants concernant le chef. À 79 ans, Marek Janowski n’hésite pas et devient le nouveau chef principal de l’un des plus prestigieux orchestre du monde, l’Orchestre philharmonique de Dresde. Il prend ses fonctions à partir de la saison 2019/2020 et continue à façonner et à développer le profil de l’orchestre pendant trois ans et signera même une rallonge d’un an soit jusqu’en 2023. Il succède alors à un certain Michael Sanderling (51 ans), digne fils de son père Kurt, autre légende de la direction d’orchestre. C’est un poste qu’un chef comme Janowski ne peut refuser, même à son âge. Un chef, de toutes les façons, on sait qu’il ne s’arrête pas.
Né à Varsovie en 1939, la baguette dans le berceau, Marek Janowski a grandi en Allemagne et de par son caractère, a très rapidement compris que son avenir dans la musique, c’était avant tout de diriger, donc de diriger un orchestre. Pour faire simple, il n’y a pas une salle d’opéra de renommée mondiale où il n’a pas été régulièrement invité à la fin des années1970. Dans les années 1990, Janowski s’est éloigné de l’opéra pour se concentrer davantage sur le domaine du concert. Et depuis plus de vingt ans, il impressionne de façon toujours renouvelée le public des orchestres philharmoniques et symphoniques les plus en vue dans le monde. Il aura dirigé plus de 100 fois la Neuvième de Beethoven !! Et il a aussi un faible très prononcé pour Wagner, et Bruckner.
Il a par exemple, en son temps, remis sur pied, sur seize ans de 1984 à 2000, un certain Orchestre Philharmonique de Radio-France qui rencontrait quelques difficultés, et qui avait fort besoin de retrouver à sa tête un chef, comme on dit à poigne! Il reconnut par la suite que ce fut sa meilleure expérience en tant que…chef ! En suivant, il a dirigé de 2001 à 2003 l’Orchestre philharmonique de Dresde. Puis de 2002 à 2015, il a été chef d’orchestre principal du Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin. Etc…
Qu’il vienne faire l’ouverture de saison symphonique de l’ONCT n’est pas un simple autographe sur la carte de visite de l’Orchestre. Les musiciens peuvent, disons, manifester une certaine fierté. Et le public ne saurait qu’apprécier.
C’est à presque trente ans que Beethoven offre au public sa Première Symphonie. Elle est en do majeur. Op. 21. À 35 ans, Mozart était mort en 1792, laissant côté Symphonies, quarante et une partitions. Haydn dépassait quant à lui la centaine. Même le baron van Swieten, fin musicien et compositeur (dédicataire de cette Première) en avait écrit lui-même une douzaine.
1 – Adagio molto (introduction) – Allegro con brio.
2 – Andante cantabile con moto.
3 – Menuetto. Allegro molto e vivace.
4 – Finale : Adagio (introduction) – Allegro molto e vivace
C’est au cours du concert du 2 avril 1800 au Burgtheatre de Vienne qu’apparut en dernière partie la Symphonie n°1. Le programme offert était comme à l’habitude de l’époque, gargantuesque, et bien sûr, avec une symphonie de Mozart, suivi d’un air de La Création de Haydn, suivi d’un deuxième. Ensuite, c’est Beethoven au piano, quelque mouvement d’un de ses premiers concertos, des improvisations, puis, son Septuor op. 20 et enfin sa Symphonie en ut majeur. Elle se signale sur le champ par une impression de confiance, d’identité du moi, et de résolution résultant d’une entière conviction. En un mot, il fallait du toupet tout en usant toujours de l’orchestre d’un Haydn. Interroger l’oreille, la provoquer, attirer l’attention mais ne pas irriter. Des points de hardiesse, mais sans trop ! La Première a une durée d’environ vingt-cinq minutes.
Peu de compositeurs ont été autant défigurés par la légende que Franz Schubert. Génie méconnu, mort à trente-et-un ans après une vie passée plus ou moins dans la précarité, amant malheureux qui offrit pourtant au monde ses plus belles mélodies, Schubert compose un personnage pathétique à souhait, que des films, des romans faciles et de nombreux « journaleux » ont entretenu sous couvert de bonnes intentions.
Symphonie n°9 en ut majeur, “la Grande”, D. 944
“La grande”, un des triomphes de la période du début du Romantisme. On débat toujours côté numération : 7 ? 8 ? 9 ? Peu importe, c’est “la Grande“. Que son compositeur n’aura jamais entendu exécutée.
Mais laissons Robert Schumann, le découvreur de la partition en 1838, nous en instruire : « Cette symphonie nous entraîne dans des régions que nous n’avions jamais explorées auparavant :
La symphonie, arrivée à Leipzig, fut entendue, comprise, réentendue et joyeusement, presque universellement, admirée. L’éditeur Breitkopf & Härtel acheta l’œuvre et sa propriété, et la voici maintenant devant nous en parties, peut-être bientôt en partition, comme nous l’avions désiré pour l’utilité et le profit du monde entier. Je le déclare tout de suite et tout net : qui ne connaît pas cette symphonie ne connaît encore que peu de choses de Schubert, et certes, après ce que Schubert a déjà donné à l’art, cela peut sans doute passer pour une éloge à peine croyable.(…)
Ici, outre la magistrale technique musicale de la composition, c’est la vie dans toutes ses fibres, le coloris jusque dans la plus subtile nuance, l’expression la plus pénétrante de chaque détail, et, enveloppant le tout, ce romantisme qu’on connaît déjà si bien chez Franz Schubert. C’est cette ampleur toute divine de la symphonie, pareille à un grand roman en quatre tomes, une œuvre de Jean-Paul, (philosophe allemand) par exemple ; s’il ne semble jamais finir, c’est pour mieux laisser le lecteur imaginer la suite !
Comme cela rafraîchit, ce sentiment de richesse partout. Si on ignorait que cette symphonie est précédée de six autres et qu’elle a été écrite dans la plus mûre force de l’âge, on ne pourrait concevoir où Schubert a puisé du premier coup cette maîtrise, cette supériorité rayonnante qui se joue dans le maniement de l’orchestre. Celle-ci est d’ailleurs étonnante de la part d’un compositeur qui a si peu entendu exécuter ses œuvres instrumentales. Le maniement des instruments est si original, soit en particulier, soit dans la masse de l’orchestre, qu’il semble qu’on entende des voix humaines et des chœurs se mêler et se répondre les uns aux autres(…)
L’introduction pompeuse et romantique donne tout de suite cette impression de sécurité, bien qu’ici encore tout paraisse enveloppé des ténèbres du mystère. La transition de ce début à l’Allegro est aussi absolument neuve : le tempo ne paraît se modifier en rien, et nous avoir abordé sans savoir comment. Mais disséquer chaque paragraphe l’un après l’autre ne nous apporterait aucune joie : il faudrait transcrire la symphonie toute entière pour donner une idée du caractère de nouveauté qui souffle au travers. Je ne puis toutefois quitter la seconde partie sans une mention. Elle nous parle avec des voix si émouvantes. On y trouve un passage où un cor lance un appel qui semble très lointain…On dirait que cela nous arrive d’une autre sphère. Ici, du reste, tout est aux écoutes, comme si quelque hôte céleste rôdait à travers l’orchestre. Oui, cette symphonie a agi sur nous comme aucune ne l’avait fait encore depuis celles de Beethoven (…).
« Le maître – Felix Mendelssohn-Bartholdy – qui l’a étudiée avec une sollicitude si attentive et qui a rendu l’exécution superbe, a prononcé quelques paroles que j’aurais voulu pouvoir rapporter à Schubert comme la plus haute bonne nouvelle qui pût être pour lui. Des années s’écouleront peut-être avant qu’elle soit devenue familière à l’Allemagne ; mais il n’y a pas de danger qu’on l’oublie ou qu’on y fasse pas attention : elle porte en elle l’éternel principe de la jeunesse. » Robert Schumann – Ecrits – 1839
C’est en effet, Felix Mendelssohn qui en 1839 dirigera sa création. « Divines longueurs », dira encore Robert Schumann car, en effet, avec toutes ses reprises, la symphonie peut durer plus d’une heure. On compte près de mille deux cents mesures dans le Finale.
La postérité aura réservé un sort bien difficile aux œuvres symphoniques de Franz Schubert d’où les difficultés de numérotation rencontrées. Déjà le XIXe siècle ne prêta guère d’attention aux six symphonies écrites entre 1814 et 1818. Le public les considéra comme des œuvres de jeunesse sans importance, avant de reconnaître le génie de Schubert, mais bien plus tard, et sur les œuvres symphoniques ultérieures, surtout. Alors, huit, neuf, dix symphonies ? Combien de complètes, d’inachevées ? Grâce aux archives du compositeur, on sait aujourd’hui que cette « grande symphonie » – qui allait devenir la Symphonie en ut majeur – fut commencée dès 1825 ou 1826. On sait encore qu’il a tenté de la faire exécuter en 1828, mais elle fut jugée trop longue ! et trop difficile !, surtout le Finale avec trop de mesures pour les violonistes ! Comme on dit, Schubert a jeté l’éponge !
Et si l’on osait une sorte d’interprétation littéraire typique de 1828 ? Du style : « Un jeune homme se met en route avec ses compagnons pour faire un pèlerinage à travers la Vie, avec le plus grand enthousiasme. Il prend de mauvais tournants, mais retrouve son chemin. Il lui arrive des tragédies (deuxième mouvement) mais il continue sa route.
Ayant fait face à ces dangers, il se détend avec des danses et des chants (troisième mouvement). Et dans une affirmation de la nature et de l’humanité, il finit son voyage dans la sagesse et dans la joie. »
Quelques mots sur les quatre mouvements d’une durée totale d’environ 50’ :
I Andante-Allegro ma non troppo
II Andante con moto
III Scherzo – Allegro vivace.
IV Finale – Allegro vivace
Dans l’andante initial, avec sa lente introduction au cor et son allegro rythmé, d’aucuns pensent retrouver l’influence de la Septième de Beethoven, si l’œuvre ne baignait dans une tonalité tout à fait différente, qui ouvre à l’orchestre les voies d’un monde sonore tout à fait nouveau. Un thème en huit mesures, sorte d’appel mystérieux, joué à l’unisson par les deux cors, suggère à la fois le motif, le matériau thématique et la tonalité de l’œuvre. Il détermine l’atmosphère du paysage sonore. Il s’amplifiera jusqu’ à « décharger une puissance tellurique ». Malgré son rythme alla breve, Schubert impose à l’allegro un tempo modéré par l’indication « ma non troppo » – ce que les interprètes ne respectent pas toujours ! A partir du motif principal et du thème secondaire, exécuté par les vents sur un rythme de danse, le mouvement se déploie en d’amples passages contrastés qui lui procurent une extraordinaire tension dramatique. La grandeur tient précisément à l’alliance des contraires. Le céleste et l’infini y sont contrôlés plus que nulle part ailleurs.
De ce Schubert qui étire un temps plus épique et contemplatif que véritablement dramatique, on a pu lire : « L’impatience à atteindre un but et une fin lui est étrangère. Il faut l’écouter comme on écoute un conteur : les divagations, les digressions, les parenthèses ne gênent ni ne retardent l’essentiel, elles le constituent. »
L’Andante con moto concilie comme aucun autre mouvement lent du compositeur, le maximum de lyrisme au maximum de dynamisme. De façon symptomatique, le puissant sommet d’intensité qui, intervenant au début de la reprise, est suivi par le silence le plus vibrant de toute l’œuvre de Franz Schubert, conduit à des moments de suprême magie lyrique.
Le Scherzo débute par un thème joyeux, vif et bien charpenté qui s’oppose à l’envol d’une valse viennoise de la meilleure tradition et le développement est bien de nature à balayer la mélancolie de l’andante que le trio tente de rappeler. Mais la reprise du scherzo rejette toute hésitation.
L’Allegro vivace du dernier mouvement constitue un des finales les plus monumentaux de tout le répertoire, dont on souhaite ardemment entendre toutes les reprises. Il est parcouru d’un bout à l’autre par les deux idées émises d’abord, deux idées très courtes, qui se répondent et se complètent, et dont l’une sonne comme un appel tandis que l’autre impose une vie rythmique particulière. C’est la joie victorieuse, l’affirmation de la puissance vitale retrouvée qui n’exclue pas les joyeuses flâneries du rêveur impénitent qu’était Schubert. Une courte référence à l’Hymne à la Joie est un nouveau salut à Beethoven et ce Finale qui prend des allures de ländler n’en est pas moins d’une grandiose architecture. C’est le trémolo très doux des violoncelles qui annonce la coda finale, apothéose gigantesque de deux cent mesures dont le rythme persistant – toujours les mêmes quatre notes – et la pulsation irrésistible marqueront le triomphe de la marche en avant.
Orchestre national du Capitole